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2 minutes, un studio qui prend son temps !

Des animations Flash du début au long-métrage d’animation mixte, 2 minutes a appris en vingt ans à s’ajuster aux techniques, aux publics et aux formats. Un parcours sans faute !
« Calamity, une enfance » de Martha Jane Cannary, réalisé par Rémi Chayé, est le cinquième long-métrage coproduit par le studio 2 minutes. Avec Maybe Movies, Nørlum et France 3 Cinéma. © 2 minutes

« Nous prenons notre temps et notre progression est certes lente mais elle est assumée, régulière et toujours réfléchie », reconnaît Jean-Michel Spiner qui a ouvert en 2000 2 minutes à Paris. Deux minutes ? C’était la durée moyenne d’attention de la lecture d’une page web… Comme son nom l’indique, le studio d’animation se destine à la production de formats courts pour le web. Et ce, en recourant à un outil émergent et révolutionnaire, Adobe Flash.

Très vite, le studio s’aperçoit du potentiel du logiciel pour les séries télévisuelles à condition de pallier quelques-unes de ses lacunes pour que les animations passent la rampe du petit écran. Pour Jean-Michel Spiner, auteur de Pegs, un logiciel 2D de scan et gouache (toujours utilisé dans certains studios) puis du système TTK (créé chez Toutenkartoon qu’il cofonde avec Jean-Louis Rizet), développer en « Flash ++ » est loin d’être une contrainte, et la R&D s’inscrit d’office dans l’ADN du jeune studio.

 

Flash back en 2 minutes

« En 2000, ouvrir un nouveau studio 2D n’était pas vu comme un choix judicieux. On nous disait que la 2D allait disparaître au profit de la 3D », rappelle en souriant Jean-Michel Spiner. Les premières productions sur Flash ont vite raison de ces remarques comme la décapante série Les Durs du mur (39 fois 7 minutes pour France 2) d’après Jacek Woźniak, laquelle arrive à reproduire en Flash le trait acéré du dessinateur.

La série, qui raconte les intrigues de trois loulous de banlieue, ne se borne pas à être qualitative, elle fait aussi partie des premières à être entièrement fabriquée en France. 2 minutes est lancé, et l’animation 2D Flash s’impose : « Les studios de l’époque avaient quasiment fait leur deuil de l’animation qui était sous-traitée en Corée du Sud et en Chine. Notre pari était alors de dire que cet outil allait permettre à la fois de réduire les coûts (via des gains de productivité) mais aussi de relocaliser l’animation en France. »

En 2003, 2 minutes ouvre le studio 2 minutes Animation à Angoulême pour traiter l’ensemble des tâches de préproduction et de fabrication jusqu’au compositing puis, l’année suivante, 2 minutes Montréal (Québec) pour les décors et l’animation, et afin de faciliter les coproductions internationales. 2 Minutes, de prestataire, commence en effet à passer à la production exécutive et à la coproduction (minoritaire). Ce seront les séries 2D Yakari (78 fois 13 minutes pour Storimages), Raymond (78 fois 7 minutes pour Everybody on Deck) ou Zoli & Pokey (52 x 13 minutes pour Dog House)…

En 2010, le studio grimpe encore les échelons et devient producteur délégué en produisant cette fois-ci ses propres programmes pour enfants. Les premiers projets sont réduits en minutage comme Rosie (102 fois 1 minute pour la première saison) pour Gulli et AB Thématiques, voire atypiques comme la série Le Frigo (26 fois 4 minutes) qui recourt à un système expérimental de prises de vue photographiques afin de raconter la vie secrète de pots de yaourt entassés sur les clayettes d’un frigo. Suivront des volumes plus importants comme Les Souvenirs de Mamette (52 fois 13 minutes pour M6).

En 2005, 2 minutes ouvre en Chine son propre studio à Nanjing, 2 Minutes China. « Nous nous sommes aperçus que l’équation financière ne tenait pas toujours lorsque nous fabriquions dans le même lieu. Après avoir connu des fortunes diverses en sous-traitant l’animation en Chine, nous avons choisi d’être indépendants et de sous-traiter à nous-mêmes. »

Automne 2017, 2 minutes s’implante à Saint-Gilles (La Réunion). Et fête, trois ans plus tard, la sortie de sa première série 2D Toc Toc ! (78 fois 7 minutes pour France 3) adaptée de l’album jeunesse Psicopattes (éditions Glénat Poche). « C’est une production atypique car les auteurs (Hélène Bruller et Fabrice Ravier) ont écrit à eux seuls la totalité des épisodes. Ce qui représente une petite prouesse ! » Sur cette production propre dont la fabrication a suivi le pipeline historique basé sur Flash, les quatre établissements ont été mis à contribution : Paris se chargeant de l’écriture et de la postproduction, La Réunion effectuant les décors et la moitié de l’animation, la Chine l’autre partie et Angoulême signant la préproduction (animatique et storyboard) et le compositing.

Au fil des projets, la chaîne de fabrication continue à grandir. Harmony (Toon Boom Animation) succède à Flash. « Avec tous les outils que nous avons développés, Flash est devenu performant en animation et a atteint presque le même niveau de productivité qu’Harmony. Mais, pour faciliter le travail avec d’autres studios, il était important de mettre en place le logiciel de Toon Boom. Celui-ci ouvre aussi de nouvelles perspectives. Pour nous, c’est un nouveau champ à explorer. »

2 Minutes, qui se cantonnait jusqu’à présent dans des productions pour les enfants et la famille, en profite pour approcher les ado-adultes. Libres ! (10 fois 1 minute 30 pour Arte), d’après une adaptation du manifeste d’Ovidie (Delcourt) qui pourfend les diktats dans la sexualité, sera la première série à inaugurer le nouveau pipe : « C’est un retour aux sources ! », se félicite son producteur. « Comme pour les Durs du mur, toutes les équipes – y compris l’auteure et le réalisateur – vont se retrouver sur le même site, à Angoulême. »

Restera au studio à franchir le cap du temps réel. Une évolution, là encore, qui viendra en temps et en heure. Et c’est une série originale 3D et 100 % maison, Les Pliboux (52 fois 11 minutes), qui introduira de nouveaux processus dans la fabrication : « Pour cette série full 3D, nous allons probablement mettre en place un pipeline sur une base Maya avec Redshift pour le rendu. À moins que tout ou partie de ce rendu ne se fasse en temps réel avec Unity. Le temps réel implique un gros travail en préparation. Il ne faut pas que les bénéfices se montrent inférieurs aux contraintes. »

 

Quand le long s’invite dans la production

2 minutes, qui se concentre essentiellement sur les programmes audiovisuels (à ce jour plus d’une quarantaine de séries 2D), a été amené à aborder, il y a dix ans, le long-métrage en tant que producteur exécutif. Là encore, la montée en charge se fait de manière naturelle et progressive : « Avant de nous lancer dans la fabrication du long-métrage Allez raconte ! produit par les Armateurs (Didier Brunner), nous nous étions fait la main sur les quatre courts de Loulou et autres loups produits en 2003 par Prima Linea et en 2009 sur le long Totally Spies (pour Marathon à l’époque). »

Papa raconte ! bénéficie aussi d’une chaîne de production sur Flash éprouvée puisqu’une série du même nom avait déjà été réalisée par le studio trois ans plus tôt. La fabrication du film, doté d’un petit budget (3 millions d’euros), est partagée avec Mélusine, le studio d’animation luxembourgeois fondé par Stephan Roelants.

Les quatre films qui vont suivre se montrent plus ambitieux à la fois dans le propos et le public visé (un peu plus âgé) que dans leur production. Couleur de peau : miel, coréalisé par Laurent Boileau et Jung Sik-jun (production Mosaïque Films et Artémis) d’après la bande dessinée de ce dernier (sortie en 2012), narre l’enfance déracinée d’un petit orphelin coréen adopté par une famille belge. Le film fait l’objet d’une coproduction éclatée entre la France, la Belgique, la Suisse et la Corée du Sud. Et sa fabrication hybride mêle images d’archives, prises de vues réelles et animations 2D et 3D.

Réalisé par Rémi Chayé (prix du public au Festival d’animation d’Annecy en 2015), Tout en haut du monde, qui situe cette fois-ci l’action au XIXe siècle en Russie et au pôle Nord, se démarque par un ton épique, une animation épurée et une image tout en subtils aplats de couleurs. La direction artistique penche nettement vers la 2D, même si une partie des décors (banquise et bateau) est fabriqué en 3D.

Le vrai saut technologique se produit toutefois avec le long-métrage Zombillenium, du nom de la célèbre BD d’Arthur de Pins, pour lequel 2 minutes inaugure son premier pipeline en 3D : « Je remercie le producteur Henri Magalon (Maybe Movies) de nous avoir fait confiance car notre expérience en 3D se limitait alors à quelques séries courtes. Pour notre premier film 3D, nous ne voulions pas nous lancer dans des expérimentations, même si cela nous faisait envie. Nous avons préféré utiliser des outils standard et connus comme Maya pour la 3D, Arnold pour le rendu, Nuke pour le compositing… »

Avant de se lancer dans la fabrication (qui ne prendra que 18 mois), le studio consacre plusieurs mois pour élaborer toute l’infrastructure de production et concevoir un pipeline multi-site : la fabrication s’effectuant aux studios Pipangaï (La Réunion), DreamWall (Belgique), 2 minutes Paris et 2 minutes Angoulême. La R&D double ses effectifs (elle passe à six personnes) et met au point des outils autour du logiciel d’Autorig Oscar, d’Arnold (pour définir des toonshaders)… Quant à la ferme de rendu, peu adaptée à de tels calculs, elle est renforcée et complétée par une trentaine de serveurs puissants.

Parce que chaque film demeure un prototype, le dernier long-métrage en date sur lequel s’est penché le studio, Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary (toujours coproduit avec Maybe Movies), met la barre encore un peu plus haut. Et fait définitivement basculer 2 Minutes dans la cour des grands du long-métrage hexagonal d’animation.

 

Calamity…, un long à surveiller

Alliant la nostalgie des grands espaces avec une figure féminine mondialement connue pour son indiscipline, Calamity… revient avec verve et fraîcheur sur la conquête de l’Ouest américain. Toujours produit par Maybe Movies et Sacrebleu Production, le second film, réalisé par Rémi Chayé à partir d’un script original, revient sur l’enfance de Calamity lorsqu’elle commence à prendre son destin en main en apprenant à tirer au fusil et monter à cheval.

Reconstituant en partie l’équipe de Tout en haut du monde, le film doté du budget « parfait » de 8 millions d’euros pousse vers le haut la plupart des curseurs : « En cinq ans (date de fabrication du premier film de Rémi Chayé), nous avons gagné en maturité », observe le producteur. « Comme nous savions où nous allions, nous avons diversifié et sophistiqué les décors (montagnes, grandes plaines arides ou herbeuses de l’Ouest…), multiplié les plans (plus de 1 300), le nombre de personnages (plus de 50) ainsi que les animations 3D (chevaux et chariots). La 3D constitue en effet un excellent outil d’aide à l’animation lorsque celle-ci s’avère complexe à réaliser. »

Responsable de la passerelle entre Maya et Flash, le studio, qui effectue la plupart des animations 2D et 3D, développe également des outils permettant de lisser le rendu des animations, lequel joue sur les lignes de bascule des couleurs afin que la lumière corresponde à celle voulue par la direction artistique : « Nous avons choisi une gamme de couleurs qui, placées côte à côte, vibrent comme dans les tableaux impressionnistes, créent d’intéressants effets de lumière et produisent des ombres riches », précise Rémi Chayé lors d’une présentation du film au festival d’Annecy en 2019.

Cette palette de couleurs, indexée en « ombre » et « lumière », s’ajuste quasi automatiquement selon les plans : un effet qui semble avoir été obtenu à la main et qui, en plus, a fait gagner beaucoup de temps aux animateurs. Fabriqué en à peine 15 mois à Paris et Angoulême (le compositing a été effectué au Danemark chez le coproducteur Nørlum), le film a réuni, autour du réalisateur Rémi Chayé, une cinquantaine de personnes au plus fort de sa production. Une production à taille humaine pour un film à l’aspect résolument « dessin » comme les apprécie Jean-Michel Spiner : « Nous avons réalisé le film dont nous avions envie… sans mettre en péril notre studio [120 personnes réparties sur les différents sites, ndlr]. »

Prévu pour une sortie en salle le 14 octobre (distribution par Gebeka Films Gebeka et Indie Sales pour les ventes internationales), Calamity… sera prolongé par une série feuilletonnante (26 fois 26 minutes pour 6,5 millions d’euros) qui racontera la suite des aventures de l’indomptable pionnière.

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #37, p. 74-77. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.