Mediakwest : Quel bilan tirez-vous de l’année écoulée ?
Thierry de Segonzac : En 2012, nous avons encore été sous l’impact de la liquidation du groupe Quinta Industries qui a vraiment marqué les esprits. Cela a servi à catalyser les problèmes endémiques de notre secteur. Je crois pouvoir dire, qu’en 2012, les industries techniques ont pratiquement fini leur mutation technologique vers le numérique. Cette mutation s’est faite parfois violemment, comme dans le cas Quinta, mais d’autres laboratoires ont assumés les efforts de restructuration nécessaires.
Si toutes les réformes utiles ne sont pas encore achevées on emprunte, me semble-t-il, la voie d’une évolution positive des méthodes de financement de la production et des comportements, sans gâcher le plaisir de faire un beau film avec des moyens adaptés. Plus que jamais il faut ajuster les moyens techniques d’une œuvre dans son ensemble, en mettant les financements aux bons endroits. Ce cercle vertueux n’est pas encore présent sur tous les secteurs de l’audiovisuel. La post-production reste très fragile.
Quelles sont les perspectives 2013 ?
Je pense que 2013 pourrait être l’année du rebond, à deux réserves près. La première est que le marché reste actif avec le même dynamisme que nous avons eu en 2012 et la deuxième réserve concerne le fait que les industries techniques trouvent l’accompagnement financier nécessaire à leur déploiement et leur investissement. Depuis 2008 et le choc bancaire qui a touché toutes les PME, nous avons été impactés fortement et nous avons la plus grande difficulté à trouver du financement. Les banquiers n’hésitent pas à amplifier l’analyse de leurs risques par une crainte d’assister à de nouvelles mutations technologiques aussi brutales.
Il est difficile de leur faire partager le constat que de telles ruptures n’ont lieu que tous les 20 ou 30 ans. La principale difficulté ayant été de se replacer dans un modèle économique qui intègre les nouveaux cycles de renouvellement, ce qui est le cas aujourd’hui. Nos prix doivent être déterminés évalués par rapport à l’obsolescence rapide des machines, désormais assimilées à l’informatique. Ce n’est pas en se plaignant toute l’année que nous allons retrouver la confiance de nos partenaires.
Pensez-vous que la production restera stable ?
Le marché, en 2013, devrait être assez bon, hormis peut-être un tassement du côté de France télévisions et de la publicité chez les diffuseurs privés.
Côté cinéma, 2012 a été un bon cru, ce qui prouve que la France est un vivier de talents. Il faut avoir la capacité à accompagner cette nouvelle génération. 2013, devrait donc être dans la même ligne. Il faudra toutefois être vigilant aux évolutions de la convention collective. Si, comme le dise les producteurs, la convention collective va engendrer des surcoûts importants, ce sont sans doute les films avec une économie fragile qui vont souffrir. Pire encore, ceux de l’économie intermédiaire, car les films avec une économie fragile auront normalement un traitement un peu moins rigoureux. Néanmoins je nuancerais ce constant, car les crédits d’impôts qui ont été adoptés pour la fiction, pour le long-métrage et pour l’international, si la Commission européenne veut bien valider cette décision, devraient rétablir un équilibre.
Le délai d’instruction de la Commission européenne devrait être assez rapide, mais cela risque de se télescoper avec la publication de la « Communication sur les Industries Culturelles» de la Commission européenne, reporté plusieurs fois mais désormais annoncée pour février. Nous avons peur que la France, qui est très dynamique sur ce sujet, soit par ailleurs prise en tenaille avec ses 3 amendements de crédit d’impôts (fiction, long-métrage et international). Tout cela est très politique et totalement imprévisible. Nous sommes toutefois confiants que les décrets entrent en application en mars ou en avril avec un effet rétroactif au 1er janvier 2013. Avec ces mesures, la France rejoindra le peloton de tête des pays européens disposant de mesures fiscales très attractives pour la production sur leur territoire. Et même si certains pays voisins conserveront quelques avantages, les coûts supplémentaires qu’induisent les délocalisations réduiront cet écart : Par exemple, un producteur français souhaitant tourner dans le Benelux est contraint de s’appuyer sur un producteur du pays choisi. Et celui-ci a un coût. Tout comme un tournage qui s’installe dans les studios d’un pays voisin impose au producteur d’assumer les hôtels et les déplacements de ses acteurs, réalisateurs, etc..
Nous avons relativement confiance de voir revenir vers nous les 66 % des productions de plus de 10 millions d’euros qui se délocalisaient vers la Belgique. Et si les producteurs trouvent un terrain d’entente sur la convention collective, cela devrait permettre la relocalisation sur le territoire de nombreux films y compris les plus modestes grâce à l’élargissement de l’assiette des dépenses.
Que faut-il faire pour faciliter le financement des PME ?
Nous avons tout d’abord besoin aujourd’hui de renforcer les « fonds propres » de nos entreprises. Beaucoup de Chefs d’entreprises sont prêts à ouvrir leur Capital pour cela. Cette consolidation normalisera nos relations avec le secteur bancaire, facilitant l’accès aux crédits d’équipements.
Derrière le foisonnement d’idées, de compétences techniques, on ressent également le besoin de formation. La connaissance générale et particulière est précieuse.
Quels sont les points qui vous paraissent préoccupants pour 2013 ?
Concernant le programme de flux, l’année 2012 a été marquée par la concurrence sur le marché français du groupe MediaPro. Son marché, assez fragile en Espagne, a poussé le groupe à venir sur le territoire français avec des tarifs très a la baisse, et mettant en difficulté les acteurs nationaux. Surtout, de nombreux techniciens de pays européens viennent travailler en France pour des conditions financières déroutantes, et cela fragilise l’écosystème. Mes confrères vivent douloureusement la chose alors qu’ils n’ont pas achevé la transformation de tout leur parc de car régie HD, alors qu’ils ils subissent simultanément une pression des diffuseurs sur les prix, et donc des marges qui s’effondrent. .
L’activité studio reste un problème tant pour la fiction que pour le long-métrage. On voit encore, dans le cadre de la fiction, le recours à des friches industrielles en lieu et place de plateaux de tournage. Les budgets d’access prime time ne permettent pas toujours d’utiliser des studios, et surtout les diffuseurs attendent le succès de la première saison, lorsqu’il s’agit de série, avant de donner leur accord pour une nouvelle saison, ce qui implique des frais élevés s’il fallait maintenir les décors construits sur place. En même temps on voit certains studios qui ne trouvent pas de clients, les budgets étant insuffisants. .
Et à titre privé, en tant que chef d’entreprise comment va TSF ?
2012 nous a permis de retrouver la voie du profit après 4 années de perte. Cela a été rendu possible par un travail pédagogique avec nos clients et leurs équipes afin de faire partager la réalité des coûts du cinéma numérique. Nous avons appris aussi à dire non à certains projets dont les budgets ne nous permettaient pas de couvrir nos coûts. . Certains clients ont reconnus avoir été trop loin dans leurs exigences antérieures, tant au niveau des prix attendus par le Directeur de Production que par les équipements exigés par les équipes, mettant les Prestataires dans une tenaille insupportable.
Le plus beau projet artistique et technique du moment ne pourra jamais justifier la mort d’un Prestataire, écrasé entre le désir de satisfaire une équipe et le refus d’une Production d’assumer le vrai coût des choses. Nous pouvons dire aujourd’hui qu’une forme de prise de conscience voit le jour. La part des coûts artistiques à peut être pris le pas de manière trop importante sur le reste des autres postes de fabrication d’un film. Une réflexion qui prend corps grâce également aux prises de paroles des diffuseurs, des distributeurs, des organismes de financement qui, nous l’espérons, aboutira à une plus juste répartition du financement de l’oeuvre.
Notre niveau de prix a donc progressé, mais c’est sans encore insuffisant si nous voulons préserver notre indépendance et maintenir notre niveau technologique, continuer enfin d’être présent auprès de toutes les formes de production.