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Paroles d’étalonneurs : 3 visions du métier…

À la rencontre de trois étalonneurs qui nous parlent de leur métier, de leurs méthodes de travail... Trois parcours, trois visions !
Isabelle Barrière (en haut), Jacky Lefresne (en bas), et en photo de droite Stéphane Azouze-Cardin avec Daniel Meyer (à droite), chef opérateur, lors de la première de « Woman » à la Mostra de Venise. © DR

TROIS PARCOURS

Jacky Lefresne

Après une formation en arts plastiques dans les années 1990, une expérience dans le gouachage de dessins animés et la peinture de décors sur Photoshop, Jacky Lefresne s’est tourné vers l’étalonnage il y a une vingtaine d’années. Longtemps étalonneur permanent dans le laboratoire Mikros à Paris, il est maintenant indépendant, associé dans le collectif d’étalonneurs Herve Bay’s et continue d’étalonner dans les laboratoires des longs-métrages (il travaille notamment avec Robert Guédiguian depuis 2012), des clips, des documentaires et des concerts.

Isabelle Barrière

Après une maîtrise de cinéma/arts plastiques et une carrière dans l’audiovisuel en tant que cadreuse, réalisatrice et JRI média global, Isabelle Barrière s’est formée à l’étalonnage en 2011 à Paris puis à Londres, avant d’ouvrir sa salle d’étalonnage dans la foulée. Elle travaille sur des documentaires, fictions, pubs et spectacles vivants et intervient comme formatrice dans les BTS Audiovisuels. Elle est membre de la CSI et de Women in Film France. À son compte via une coopérative, elle est à la fois entrepreneuse et salariée.

Stéphane Azouze-Cardin

« Mouton à cinq pattes » comme il se définit lui-même, Stéphane Azouze-Cardin est un autodidacte au parcours éclectique commencé il y a une trentaine d’années : régisseur, assistant réalisateur, preneur de son, assistant vidéo, chef opérateur, ingénieur vision, puis DIT (il a collaboré à tous les projets de Yann Arthus-Bertrand en tant que technicien caméra aérienne et DIT depuis 2007). Devenu étalonneur des rushes, il réunit dès 2015 toute son expérience des métiers de l’image dans le métier d’étalonneur. Toujours ingénieur de la vision et DIT, il étalonne aujourd’hui des films documentaires, spectacles vivants, clips, pubs et courts-métrages de fiction.

 

TROIS VISIONS

Quelles sont les qualités d’un étalonneur ?

Jacky Lefresne : Il faut un sens esthétique et artistique en image, s’intéresser aux contraintes du filmage et à toute forme d’expression visuelle comme la photo, la vidéo ou la peinture. Il faut savoir s’adapter aux projets et travailler en équipe avec le chef opérateur et le réalisateur.

Isabelle Barrière : Il faut avoir l’œil et la technique, avoir assimilé la théorie et maîtriser ses outils. Savoir communiquer est aussi très important : avec un chef opérateur on utilise le même vocabulaire technique lié à la caméra et au logiciel, alors qu’avec un réalisateur on parle plus d’émotions, d’où la nécessité d’avoir un bagage culturel cinématographique et artistique. Plus on a de références visuelles, plus il est facile de communiquer avec eux. En résumé, être créatif mais rester cohérent, être force de propositions techniques et esthétiques tout en restant ouvert et attentif à leurs réflexions pour répondre à leurs attentes.

Stéphane Azouze-Cardin : Une réelle passion pour l’image, une solide culture visuelle, un œil et un cerveau exercés, un sens du détail tout en sachant prendre du recul, et bien sûr un goût certain pour la technique. C’est un métier riche, complet, qui réunit créativité et interactions humaines… Au-delà de la maîtrise des outils, l’étalonneur doit d’abord comprendre puis retranscrire les envies visuelles du créateur. Il n’est pas là pour mettre en avant son style. Même s’il est force de proposition créative, c’est un technicien hautement qualifié qui doit rester à l’écoute. Il est le garant de l’unité, de l’homogénéité du film, avec son récit, sa continuité, et aussi ses problèmes techniques de tournage. Avoir un rôle de DIT ou d’ingénieur vision sur le tournage ou la captation est un plus : sur certains projets que j’étalonne, j’ai participé aux essais, je connais les rushes (j’ai pu étalonner les proxys du montage), je spatialise les décors et je connais les contraintes du tournage et du matériel utilisé.

 

Quelles sont les difficultés rencontrées ?

Jacky Lefresne : C’est un métier passionnant, mais qui peut être dur car on passe beaucoup de temps devant les écrans dans l’obscurité. Il faut parfois réussir à mettre d’accord un réalisateur et un chef opérateur, par exemple pour leur faire approuver un réglage.

 

Isabelle Barrière : Les scènes les plus chronophages à étalonner proviennent souvent de documentaires ou de fictions tournés en extérieur, à la lumière naturelle qui, soit change rapidement (fausses-teintes dues aux nuages qui passent), soit finit par changer quand le tournage se prolonge (levers et couchers de soleil). Il faut alors aligner des plans avec des luminosités et des températures de couleurs différentes, dans des scènes qui sont souvent montées dans un ordre différent de celui du tournage. Par ailleurs, un focus mal défini sur une image 4K ou 6K ne pardonne pas. Pour pallier cela, on tente généralement un rattrapage de point en boostant le détail et le contraste où il devrait être et, inversement, on casse légèrement le point qui est au mauvais endroit, afin qu’il attire moins l’attention.

 

Stéphane Azouze-Cardin : Pour proposer un rendu (un « look »), l’étalonneur doit comprendre l’intention de quelqu’un qui bien souvent n’a pas le même vocabulaire que lui. Il faut donc échanger, décoder, établir une sorte de dictionnaire. Par exemple pour « une image moins blanche » : s’agit-il d’une image moins lumineuse ? Parle-t-on dominante de couleur ?

Autre difficulté, marier des images de caméras et d’optiques très diverses aux capacités visuelles inégales, il faut « raccorder » les images. Sur le spectacle de Dany Boon en 4K (Netflix Originals), l’exigence de qualité était élevée et les contraintes nombreuses dans un dispositif très varié (caméras lourdes, portables, embarquées, grue, junior, steadycam, cable-cam). Caméras à grands capteurs, caméras broadcast, caméras miniatures : toutes étaient 4K mais toutes ne se valaient pas. La demande était bien sûr un rendu cinégénique avec une attention particulière pour la peau de Dany Boon. Heureusement, des outils et des techniques existent pour embellir les peaux sans pour autant les lisser, ni en perdre la texture originelle.

 

Quelles sont les différences entre les divers types de projets audiovisuels ?

Jacky Lefresne : Fondamentalement c’est le même travail car les projets sont tournés avec les mêmes caméras : Alexa, Red, Sony, Panasonic, Blackmagic… Après c’est une question de temps et d’intention, le travail est aussi différent dans le rendu que l’on souhaite donner dans la couleur de l’image, le grain et la texture. Sur un long-métrage, on sert une histoire, un récit. Sur une publicité, on magnifie le message pour servir un produit. Sur un concert, l’objectif est de mettre en valeur l’artiste et le show. Sur un documentaire, il faut rendre l’image moins brute et plus jolie. Sur une série, on lui donne une identité en homogénéisant une suite d’épisodes.

Concernant le temps qui nous est alloué, ce sont des normes établies en fonction du budget, et le fait d’être en bout de chaîne ne laisse guère de délai supplémentaire. Pour une fiction aujourd’hui, on n’a plus que deux semaines alors qu’avant on en avait trois ou quatre. Un épisode de série de 52 minutes s’étalonne en deux jours et demi. Il faut donc avoir réfléchi au style avant. En publicité, le délai d’une journée est court car il comprend le temps de visionnage avec le client. Dernière différence, le final cut appartiendra au réalisateur pour un long-métrage et à l’agence et au client pour une publicité.

 

Isabelle Barrière : Cela dépend du sujet, du temps alloué, du budget et du mode de diffusion visée (diffusion TV, sortie en salle, festivals, web…). Par définition, la fiction demande plus de soin et d’attention que du documentaire. Pour un documentaire, l’étalonnage sera plus naturel la plupart du temps, bien que des looks commencent à apparaître, comme pour certains sujets de magazines, voire du JT.

En termes de temps, un documentaire contenant des archives non restaurées provenant du monde argentique demandera un niveau de traitement plus ou moins important. Sans atteindre le niveau d’un logiciel de restauration comme Diamant, Resolve est équipé d’outils. Ils ne sont pas aussi puissants et rapides que ceux d’un logiciel dédié, mais ils nous permettent d’améliorer l’image grâce à un travail de nettoyage et de correction sur les poils, poussières, rayures, grains, taches, moisissures et déchirures.

 

Stéphane Azouze-Cardin : Chaque film est unique. Le travail à réaliser dépend à la fois de la complexité du montage (continuité, nombre de plans), de la qualité des images, des problèmes techniques rencontrés en tournage… Cela peut aller très vite quand la matière de base est bonne et cohérente, comme pour la série documentaire Planète chefs dont les rushes sont magnifiques (Sony FS7) et les consignes d’étalonnage du réalisateur très précises. Quand cela se produit, quand on se comprend si bien, étalonner devient jouissif. Pour le concert des 30 ans du groupe NTM, je n’ai eu que deux jours d’étalonnage pour un programme 4K d’une durée de deux heures avec 2 300 plans sur onze caméras. J’avais certes l’avantage d’avoir pu étalonner le concert en « live » pour le direct sur France 4, le soir de la captation. Pour le spectacle de Dany Boon, j’ai eu cinq jours pour 1 800 plans, mais sur dix-huit axes caméras. De plus, le montage mélangeait deux captations très différentes, suite à des problèmes techniques d’éclairage et de machine à fumée…

Avec Le Maroc vu du ciel, film documentaire de Yann Arthus-Bertrand diffusé sur France 2 avec un budget et des workflows cinéma, on change totalement d’univers. Une seule caméra (Red Dragon), un montage lent, descriptif, des paysages riches, picturaux, variés, 400 véritables photos d’artiste en mouvement. Yann Arthus-Bertrand m’a demandé d’en restituer l’atmosphère, les lignes, la palette de couleurs, tout en respectant son univers de photographe, attaché qu’il est au graphisme, à la place de l’humain sur Terre. Travailler sur un tel projet, du tournage à l’étalonnage, en ayant le temps de « développer » chaque image comme autant de tirages photographiques, c’est très enrichissant, ce n’est que du plaisir.

 

Y a-t-il un projet ou une problématique qui vous a marqué ?

Jacky Lefresne : J’adore la fiction, c’est le graal, et j’aime les films engagés, qui défendent des idées comme Woman at war de Benedikt Erlingsson. C’était une vraie chance de travailler sur ce film, je le trouve génial d’un point de vue réalisation. J’ai aussi travaillé avec Lech Kowalski sur le film documentaire On va tout péter qui relate le plan social d’une usine. Toute l’équipe est allée à Cannes, les ouvriers aussi. Quand l’aventure continue après le film lors de festivals et qu’il obtient des récompenses, on vit des moments magiques. C’est le travail de toute une équipe qui est récompensé par le public ou par les pairs.

Par ailleurs, en 2019, j’ai travaillé avec une deuxième étalonneuse, Magali Leonard, pendant quatre semaines sur le concert de Mylène Farmer à Paris Défense Arena. C’était éprouvant, mais travailler avec Mylène Farmer est intéressant, c’est une artiste impliquée. Le projet a fait l’objet de multimastering (diffusion TV, DVD-Blu-Ray, cinéma). L’étalonnage devant être adapté au support de diffusion, après l’étalonnage des versions HDR 1 000 nits et SDR 100 nits pour la télévision, trois jours de finalisation HDR Dolby Vision ont été nécessaires pour la projection dans les salles de cinéma Pathé. Le film a fait 160 000 entrées et est sorti dans le monde entier. Le rendu puissant du HDR est vraiment adéquat pour ce genre de programmes.

 

Isabelle Barrière :  1917, le train de l’horreur est un documentaire d’Eric Beauducel sur le plus grand accident ferroviaire français. Un siècle plus tard, le film tente de faire la lumière sur les raisons qui ont conduit à une catastrophe sans précédent à l’aide d’experts, d’archives et de modélisations. Il a fallu faire des nuits américaines sur une bonne partie du film car tous les plans avaient été tournés de jour et l’idée de basculer en nuit, pour appuyer la narration, s’est imposée au montage. La tâche s’est complexifiée quand il a fallu simuler les phares de la locomotive : en vue subjective depuis la cabine c’était relativement linéaire, mais pour les prises de vues aériennes – où la perspective varie selon les trajectoires respectives du train et du drone –, il a fallu faire un nombre impressionnant de images-clefs pour que cela reste crédible, sans avoir à basculer complètement vers des effets spéciaux.

 

Stéphane Azouze-Cardin : Le long-métrage documentaire Woman de Yann Arthus-Bertrand et Anastasia Mikova, sur lequel j’ai travaillé de 2016 à 2019. Comme Human, le précédent film du réalisateur, un récit binaire alterne paroles de femmes face caméra, scènes de vie mises en scène et paysages. Contrairement aux films « classiques », il n’y pas eu de chef opérateur nommé à l’échelle globale du film, mais plutôt des chefs opérateurs invités, pour des séquences particulières, tels Caroline Champetier et Daniel Meyer. Le rôle de coordination esthétique globale fut réparti entre les deux réalisateurs et moi. Impliqué dès les premiers essais, je les ai aidés à construire l’image du film, à charter la mise en lumière et le protocole de tournage des interviews. J’étais présent sur certains tournages comme DIT et tout au long des trois années de production, j’ai travaillé les rushes sur Resolve. Pour l’étalonnage, je me suis formé sur Baselight, d’abord aux Lapins Bleus, puis avec l’aide d’autres étalonneurs, l’équipe de Mikros et enfin Matthieu Straub, spécialiste workflows chez Filmlight, qui m’a épaulé et suivi dans cette aventure passionnante.

Une des séquences à la fois forte et délicate du film, qui s’attache au regard de l’empreinte de la maladie sur le corps de femmes nues, a été photographiée par la chef opératrice Caroline Champetier (AFC), sous le regard du photographe invité Peter Lindbergh, grand maître du portrait en noir et blanc (décédé en septembre 2019). L’enjeu de cette séquence : s’intégrer dans un récit qui présente une succession de visages en gros plan, donc de teintes chair, certes différentes, mais auxquelles le cerveau, à force de persistance visuelle, finit par s’accoutumer. La transition d’un plan d’une femme en pleurs (et donc qui rougit) en gros plan vers ce noir et blanc fut d’abord fatale. Après une heure passée à voir des visages, le cerveau compense et le noir et blanc se teinte d’un léger voile vert désastreux. Après quelques essais, j’ai proposé de décolorer progressivement la femme en pleurs pour tendre vers un noir et blanc légèrement teinté de la séquence suivante, et à l’inverse en sortie de séquence de revenir doucement en saturation.

 

Comment rester à jour sur la technique et les outils ?

Isabelle Barrière : Une partie de notre travail consiste à maintenir une veille technologique croissante. En plus de l’étalonnage qui s’étoffe et s’étend vers le compositing, le trucage, les effets spéciaux et la restauration d’archives, il faut aussi connaître les caméras, les codecs, la calibration des moniteurs et bien entendu l’informatique. L’échange d’informations avec les chefs opérateurs, en salle d’étalonnage, est donc primordial : selon le cas, ils expliquent comment ils en sont arrivés là. On voit alors ensemble ce qu’on peut faire et dans quelle mesure ; ce qu’on peut gérer en postproduction, plus ou moins facilement, et ce qui sera difficile voire impossible selon le temps et le budget alloués…

En parallèle, il faut se tenir au courant de ce que font les productions, les collègues de la profession et les bêta-testeurs, en France et à l’étranger. Avec les réseaux sociaux et YouTube, il y a pléthore d’informations : depuis le début de la crise sanitaire, énormément de webinaires et d’échanges ont vu le jour grâce à MixingLight (plate-forme éducationnelle avec des articles, tutoriels et webinaires), Alexis Van Hurkman (étalonneur, réalisateur et rédacteur du manuel officiel de Resolve), Philip Bloom (chef opérateur et réalisateur) ou l’International Colorist Academy (ICA)…

 

Stéphane Azouze-Cardin : C’est pour tous les techniciens le même casse-tête : se tenir à jour des évolutions des logiciels, des formats de diffusion, des standards, du matériel de tournage… Aujourd’hui tout est plus foisonnant et les outils tendent à se complexifier, mais il est tellement plus facile de se tenir informé, de tester, d’expérimenter et de partager. J’adore me rendre dans les salons tels le NAB, l’IBC, rien de mieux que de rencontrer les concepteurs, les développeurs, de poser des questions, d’assister à des ateliers.

 

Quelles (r)évolutions passées avez-vous connues dans votre métier ? Et l’avenir ?

Jacky Lefresne : Quand j’ai commencé, les assistants mettaient des bobines dans un télécinéma et les séances d’étalonnage duraient jusqu’à 15-16h par jour. Il y a 15 ans, les premières caméras HD numériques sont arrivées avec des images dures, moins belles qu’en 35 mm. Aujourd’hui cela s’est beaucoup amélioré avec la Red et l’Alexa. Par ailleurs, les moyens de visionner les images se sont multipliés (tablettes, téléphones, ordinateurs…) et nos stations de travail ont gagné en puissance : moins de temps de calcul, lecture d’effets en temps réel, plus de stabilité.

Notre métier a lui aussi évolué, on commence à faire de l’infographie et du trucage car nos logiciels nous permettent maintenant de stabiliser un plan ou d’effacer un objet dans l’image comme une perche. Nous avons plus de compétences mais on nous donne moins de temps.

À l’avenir, le métier se concentrera peut-être plus sur du finishing couleur, de l’infographie, du vrai tirage photo ou des changements de colorimétrie. On parle aussi d’ACES avec un espace colorimétrique universel qui servirait de base pour tous les types de sorties.

 

Isabelle Barrière : Tout d’abord la démocratisation du hardware et software avec Blackmagic. Les stations d’étalonnage sont désormais accessibles à tous, ce qui a entraîné une démocratisation de l’accès à la formation et au métier. À l’époque de l’argentique, il fallait être assistant-étalonneur avant d’être soi-même étalonneur, et pour se former aux logiciels il fallait se rendre chez les constructeurs comme Baselight à Londres. Par ailleurs, le travail d’étalonnage commence aujourd’hui plus tôt dans la chaîne de production avec un pré-étalonnage sur les plateaux depuis l’apparition des métiers de DIT et Color Scientist.

Aujourd’hui, l’humain est encore indispensable dans le travail de l’image, mais avec l’intelligence artificielle, de plus en plus d’outils apparaissent pour faciliter et les travaux périphériques de postproduction comme la restauration d’archives : réduction de bruit numérique, accentuation de la netteté, High Frame Rate ou upscaling, intéressants lors de sorties de masters 4K à partir d’archives.

 

Stéphane Azouze-Cardin : En 30 ans, j’ai été témoin de la bascule entre un monde analogique et un monde numérique. La révolution informatique a entraîné plusieurs autres révolutions : la numérisation du signal, la dématérialisation, la HD, l’émergence des capteurs cmOS qui fit basculer le cinéma dans le numérique, le Raw, le relief, la 4K, le HDR… De nouvelles caméras « ordinateurs » sont arrivées et d’énormes progrès ont été effectués sur la compression. Bref, dans une course effrénée de quelques années, les constructeurs ont conçu des caméras, des optiques, des codecs, des projecteurs, des écrans, des supports de stockages et des outils incroyablement riches et puissants.

Aujourd’hui, vu les contraintes techniques et sanitaires, je me prépare à un nouveau type de séances d’étalonnage à distance avec une liaison de haute qualité pour les chefs opérateurs et les réalisateurs qui ne peuvent se déplacer.

 

Qu’en est-il du High Dynamic Range (HDR) en postproduction ?

Jacky Lefresne : Il y a plusieurs HDR et pour l’instant, ce n’est pas encore la norme partout. Certains réseaux de distribution comme Netflix l’imposent avec leur norme, certains diffuseurs commencent à le demander. C’est une évolution technologique qu’il faut apprendre à maîtriser. Le pipeline de postproduction et la façon de travailler sur le logiciel doivent être adaptés, nous sommes aidés et formés par les laboratoires.

 

Isabelle Barrière : Le HDR est prévu pour les diffuseurs TV et exigé par Netflix pour les nouvelles productions, mais il n’est pas nécessaire pour tous les programmes. À l’heure actuelle, il est soit expérimental, soit intégré dans un workflow et anticipé dès la préparation du film par le directeur photo et le réalisateur. Compte tenu de l’investissement matériel que la norme imposée par Netflix implique, ce sont surtout les laboratoires et les postproductions équipés qui peuvent travailler en HDR, mais les prix des moniteurs commencent à baisser et les étalonneurs indépendants pourront bientôt s’équiper à des prix plus raisonnables.

 

Stéphane Azouze-Cardin : Il y a là aussi une course effrénée pour procurer une expérience visuelle de plus en plus réaliste pour le spectateur. Comme pour la résurgence de l’image en relief au début des années 2010, la question reste de savoir, au-delà de la technique, quelle est l’histoire que l’on veut raconter. Le HDR amène son lot de questions, sur l’esthétique qu’on veut donner à une image bien sûr, mais aussi à la place des très hautes lumières dans le récit ; il ne s’agit pas que les spéculaires viennent gêner la lecture d’une image. La combinaison 4K + HDR apporte un vrai plus dans l’immersion visuelle de celui qui regarde. Détails très fins, palette de couleurs plus riches aussi bien en lumière qu’en densité, tout cela peut contribuer à accréditer un univers visuel, s’il est utilisé à bon escient.

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #37, p. 68-73. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.