Pour en savoir plus sur sa « secret sauce », nous nous sommes entretenus avec Pierre-Yves Nussbaum, président de RE/AL Audio et de Karina Films, ingénieur du son ; Jean-François Grassineau, directeur général de RE/AL Audio, adaptateur, monteur son, et Jean-Christophe Perney, directeur du business development de CTM Solutions.
Remontons le temps. Pourquoi avoir repris il y a trois ans Karina Films et Paris Studios et, par la même occasion, fondé RE/AL Audio ?
Pierre-Yves Nussbaum : Je commencerai par un rapide historique. Karina Films a été créée en 1971 par Claudio Ventura. Nous fêtons les cinquante ans cette année ! Au départ, il visait la production cinématographique. Très rapidement, il s’est dirigé vers le doublage et le montage qui était son métier de base. Il a créé ses propres studios, Paris Studios, ici en 2001, il y a tout juste vingt ans.
Jean-François Grassineau : Je suis entré en 1998 à Karina Films dans les anciens locaux rue Legendre, Paris XVIIe. À l’étage, se trouvaient les bureaux ; deux salles de montage occupaient le rez-de-chaussée de l’immeuble. J’y suis resté trois ans avant de déménager ici, boulevard Berthier, dans le même arrondissement parisien.
Pierre-Yves Nussbaum : Quant à moi, je suis arrivé dix ans plus tard, en 2008, ici même. J’ai débuté chez Paris Studios comme technicien. Au fil des années, je suis devenu responsable technique et progressivement je gérais un portefeuille de clients. Vers 2015, Claudio a commencé à envisager de prendre sa retraite et la continuité nous a intéressés. Cela a mis un peu de temps. Nous avons fondé la société RE/AL Audio afin de racheter, en octobre 2017, les deux structures, Paris Studios et Karina Films.
À son arrivée ici, Claudio avait refait les studios, mais pas la décoration devenue très vieillissante. Notre premier objectif a donc été de redonner une jeunesse à ces locaux, un coup de modernité. Mine de rien, il fallait être présentable ! En gros, nous sommes en travaux depuis janvier 2018. Nous avons commencé par la partie décorative, avant de nous attaquer au matériel. L’Euphonix S5, qui se trouvait en bas, commençait à avoir de l’âge et les consoles Sony DMX-R100 des autres studios étaient à bout de souffle.
Combien de personnes travaillent ici ?
Pierre-Yves Nussbaum : Au départ, nous n’étions que trois : Stéphanie Raynal, Jean-François et moi-même. En janvier 2018, nous avons pu embaucher Lauriane Lynde au titre de chargée de production et de communication commerciale. En janvier 2020, nous a rejoints Nathalie Trinh qui s’occupe de tout ce qui est laboratoire vidéo.
Sur le plan commercial, comment s’est passée la transition ?
Pierre-Yves Nussbaum : Nous avons énormément progressé. En trois ans, nous avons plus que doublé notre chiffre d’affaires, trouvé de nouveaux clients, dont un cette semaine même.
Jean-François Grassineau : Et nous avons su garder les clients historiques de Karina Films. Lesquels, d’entrée de jeu, nous ont fait confiance : ils étaient super contents que ce soit l’équipe d’avant qui reprenne l’activité. C’était l’assurance d’une forme de continuité, de qualité de travail.
Pierre-Yves Nussbaum : Les deux gros clients historiques de Karina Films avec lesquels nous continuons de travailler sont HBO et Arte. Tous deux nous ont suivi : une très bonne chose ! Depuis, nous travaillons également pour Netflix, entre autres. Nous allons poursuivre notre démarche commerciale et enrichir notre projet.
En quoi avez-vous amélioré votre outil technique ?
Pierre-Yves Nussbaum : Nous avions vraiment besoin de le simplifier, de nous moderniser. Surtout, il nous fallait homogénéiser tous les studios pour pouvoir basculer d’un studio à l’autre. Avec CTM Solutions, nous sommes passés au tout Avid. Auparavant, nous travaillions déjà sur Avid Pro Tools, mais surtout sur Merging Pyramix. Les trois studios détenus depuis le départ sont désormais en « tout Avid ». Nous avons fait appel à la société Acoustique Concept Audio pour la conception et la construction d’un nouveau studio avec une cabine séparée, également tout en Avid. Il a été mis en route début décembre et nous sommes vraiment satisfaits du résultat. Nous avons donc dû faire de gros investissements en 2020 et le soutien financier du CNC a été primordial pour pouvoir tous les réaliser.
Quelles spécificités caractérisent votre société ? La crise actuelle a-t-elle fait évoluer vos activités ? Quel est votre marché ?
Pierre-Yves Nussbaum : Nous ne faisons quasiment que du doublage. Nous proposons de la postsynchro à quelques clients mais, pour l’instant, nous ne cherchons nullement à développer la pure location de studio, principalement en raison des travaux du prolongement du tram sur notre boulevard. Pas question de les décevoir et de s’entendre dire : « On ne peut pas travailler le jour du marteau-piqueur. » La partie postprod pure locative est donc en stand-by.
Nous sommes amenés à faire aussi du sous-titrage et de temps en temps de l’audiodescription. Mais vraiment notre cœur de métier, c’est le doublage pour la télévision et les plates-formes et nous avons été très occupés depuis 2019. Dès le départ, nous avons pris le parti de ne pas nous intéresser au cinéma. Au tout début, parce que, trois ans en arrière, nos studios étaient trop petits par rapport à la demande des clients (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui). De plus le doublage cinéma correspond à d’autres investissements, une autre façon de travailler. Ce n’est pas notre choix.
Avez-vous la volonté de conserver deux marques, RE/AL Audio et Karina Films, ou l’une s’effacera-t-elle au profit de l’autre ?
Pierre-Yves Nussbaum : Notre objectif dès le départ, et encore aujourd’hui, est de ne garder que RE/AL Audio. L’idée est de conserver Karina Films quelques années, le temps de la transition, parce que c’est sous ce nom que les clients nous connaissent. Mais nous avons encore du mal à définir combien de temps cela prendra.
Comment vous positionnez-vous face aux grosses structures du marché ? Quel est votre « secret sauce », la sauce magique qui explique que les clients vous restent fidèles ?
Pierre-Yves Nussbaum : Notre première force, à laquelle nous tenons absolument, réside dans notre côté artisanal, au bon sens du terme. Nos clients savent que, du début à la fin, nous ne zappons aucune étape. Par exemple, quel que soit le projet, il y aura toujours du montage, alors que cette étape commence ailleurs à passer à la trappe.
Jean-François Grassineau : Une petite équipe qui injecte de l’humain, beaucoup plus d’humain que dans les grosses structures le plus souvent très hiérarchisées, où chaque chose à sa place devient rare. Nous cherchons vraiment à créer quelque chose de vivant.
Pierre-Yves Nussbaum : Nous sommes ravis quand les clients, comédiens, directeurs artistiques nous disent qu’ils sont contents de venir chez nous, qu’ils s’y sentent bien. Notre équipe est géniale, incroyable, elle réalise un excellent travail, s’occupe à merveille de tous ceux qui viennent nous voir. Nous avons de très bons retours, c’est primordial.
Vous êtes cinq en interne, bientôt six. Travaillez-vous par ailleurs avec des intermittents, des ingénieurs du son réguliers ?
Pierre-Yves Nussbaum : Nous avons constitué un pool de professionnels avec lesquels nous œuvrons dans un bel esprit d’équipe, de famille. Nous nous entendons bien, nous savons que le résultat sera là. Ce pool comprend des ingénieurs du son, des DA (directeurs artistique), des monteurs, des auteurs et des détecteurs que nous appelons toujours en priorité. Mais comme nous nous sommes beaucoup développés, nous avons dû faire appel à de nouveaux visages. In fine, nous avons rencontré de nouvelles personnes qui ont agrandi favorablement notre pool.
Comment avez-vous géré le premier confinement ? En matière de méthodes de travail, que tirez-vous de cette crise sanitaire ?
Pierre-Yves Nussbaum : L’année 2020 est très particulière. Nous l’avons commencée très, très fort. Nous avons accompli énormément de travail au premier trimestre. Tous les chiffres étaient au vert, nous étions partis pour non seulement atteindre nos objectifs, mais les exploser. Comme tout le monde, nous avons été pris de court par l’annonce du premier confinement. Nous sommes restés fermé deux mois environ. Dans ce malheur, nous avons toutefois eu un peu de chance. Nous avons réussi à finir à temps tous les gros projets que nous avions en route au premier trimestre. Nous avons pu tout livrer au début du confinement. En revanche, des projets qui auraient dû commencer ont été décalés de deux mois. Au niveau gestion, c’était néanmoins plus simple.
En attendant la fin du confinement, les auteurs écrivaient, les sous-titreurs avançaient, nous avons tous travaillé de chez nous. On a pu livrer les PAD sous-titrés aux clients, c’est juste la version française qui devait attendre, elle arrivera deux mois plus tard. Ensuite, la reprise a été assez rude, il fallait rattraper le retard. Le ralentissement a commencé à se faire vraiment sentir en novembre-décembre dernier et tout est devenu plus calme jusqu’en février. Nous sentons vraiment que le doublage est en bout de chaîne. Le décalage s’est fait ressentir sur cette période, mais l’activité a repris intensément depuis fin février.
Parmi vos clients, figurent de grosses plates-formes que nous savons exigeantes en termes de sécurité, quelles mesures avez-vous adoptées ?
Pierre-Yves Nussbaum : HBO dresse tous les quatre ans son audit de sécurité. Netflix est venu il y a deux ans. Chaque plate-forme vient avec ses normes, lesquelles évoluent bien entendu. Nous suivons leurs demandes, la vidéosurveillance, les contrôles d’accès, le réseau sécurisé Pour 2021, nous visons l’agrément Trusted Partner Network (TPN). Nous avons œuvré activement sur la partie physique (caméras, etc.) qui est d’ores et déjà en place. Nous finalisons et investissons actuellement sur tout ce qui relève du réseau. D’ici le deuxième semestre 2021, nous espérons obtenir le TPN pour démarcher d’autres clients et leur dire : « Nous avons la sécurité maximale, venez chez nous sans crainte. »
Quid du laboratoire que vous avez développé ?
Pierre-Yves Nussbaum : Auparavant, nous externalisions le travail en laboratoire pour la fabrication de nos PAD. Nous avons rencontré plusieurs soucis liés notamment au timing. Avec des délais de plus en plus courts, il devenait compliqué de demeurer dépendants d’une structure extérieure. Nous risquions de ne pas pouvoir livrer à temps en cas d’erreur au regard de leur planning. Nous avons donc internalisé. Nous avons ainsi la main sur tout le processus, du début à la fin. Point besoin d’attendre que tout soit fini. Le contrôle se déroule à chaque étape, c’est beaucoup plus rassurant. Ce qu’ont bien compris nos clients qui ont vu cela d’un très bon œil.
Revenons sur la partie outils évoquée en amont, vous avez parlé d’innovation, d’uniformisation. Quels outils possédez-vous actuellement et pour quels usages ?
Pierre-Yves Nussbaum : Nous disposons du grand studio qui est en bas, le studio A de 270 m3, celui qui renfermait l’Euphonix S5 avant que nous ne la remplacions par une version étendue de la dernière configuration Avid S4. Nous avons pris les options avec les écrans TFT sur chacun des modules faders pour plus de confort. Nous avons modernisé ce studio en mettant une double projection pour une meilleure qualité d’image.
Nous avons ensuite le B, un studio de taille moyenne (130 m3) qui dispose d’une configuration Bundle avec trois Avid S1 et un Pro Tools Dock pour avoir vingt-quatre faders au total. On peut enregistrer et mixer. Le C (54 m3), le premier à avoir été refait il y a deux ans de cela, renferme une Avid S3 seize faders. Enfin, le studio D, le petit nouveau, comprend une configuration intégrant deux Avid S1 et un Pro Tools Dock. Cela nous permet, pour l’ensemble des studios, de proposer les dernières interfaces Avid MTRX Studio et gagner ainsi à l’exploitation un temps précieux.
Qu’utilisez-vous comme logiciel de doublage ?
Pierre-Yves Nussbaum : Mosaic, la transition s’est faite très vite.
Jean-François Grassineau : Quand un outil est hyper efficace, facile d’accès et d’utilisation, qu’il fonctionne bien en studio, pour les détecteurs, les auteurs, tout le monde y trouve son compte…
Avez-vous une spécificité quant au type de contenu ? Certains doubleurs travaillent davantage sur l’animation, d’autres sur le documentaire ou la fiction. Et vous ?
Pierre-Yves Nussbaum : Pour le coup, nous n’avons pas vraiment de spécialité, seulement des préférences comme tout le monde, mais plus affectives qu’autre chose. Nous faisons des séries, des téléfilms de fiction ou d’animation. Cela nous plaît de faire différentes choses. Nous faisons aussi des documentaires en voice-over.
Jean-François Grassineau : La différence est davantage marquée dans le choix des auteurs que dans les produits. Il y en a qui travaillent plus facilement sur de l’animation, de la série ou du documentaire. Et bien évidemment en fonction de la langue originale du produit.
Jean-Christophe Perney : J’ai visionné une nouvelle série brésilienne sur Netflix hier, La Cité invisible, sur laquelle figure votre logo. C’est bien !
Pierre-Yves Nussbaum : Netflix nous a bien gâtés en 2020 !
En termes d’investissement, de développement, quelle stratégie allez-vous adopter en 2021 ?
Pierre-Yves Nussbaum : Début 2018, nous avons développé notre stratégie sur cinq ans : développement, progression de chiffre d’affaires, etc. En 2020, nous avons atteint ce que nous avions étalé sur 2020-2021. Notre progression a été beaucoup plus rapide que prévue, et nous nous sommes trouvés techniquement limités. Nous ne devions pas ouvrir notre quatrième studio avant fin 2021 et l’avons fait en fin d’année dernière. Après trois ans seulement, nos outils sont neufs, tout comme nos locaux. Par conséquent, nous allons nous concentrer sur la sécurisation maximale, l’approfondir encore davantage et, pourquoi pas, commencer à réfléchir à un stockage collaboratif Avid Nexis… Mais en matière de sécurité, il ne nous reste plus grand-chose à faire !
Jean-Christophe Perney, à quand remontent vos relations avec RE/AL Audio et Karina Films ?
Jean-Christophe Perney : Nous nous connaissons depuis longtemps, nous nous sommes rencontrés régulièrement lors de nos différents « workshop » et événements autour de l’audio organisés par CTM Solutions dans nos locaux. La dématérialisation des fichiers a créé de nouvelles opportunités en termes de modernisation et de rationalisation des process de fabrication.
Vous parliez tout à l’heure du laboratoire, c’est vrai que les choses se sont à la fois complexifiées dans l’organisation et les contraintes (notamment en termes de sécurité imposées par les plates-formes de streaming), mais elles se sont aussi simplifiées sur le plan des outils. Un laboratoire vidéo, c’était avant six baies et deux personnes devant un nodal, aujourd’hui c’est une baie et une personne qui peut encore opérer en remote si nécessaire.
Si les installations se sont simplifiées, les process se sont complexifiés et nécessitent de nouvelles compétences et expertises. C’est pour cela que la formation continue du personnel au sein des entreprises pour acquérir de nouvelles compétences devient importante.
Simplification des installations : quand, par exemple, on a ouvert ici les planchers, on a trouvé les câblages des sociétés précédentes, chacun y mettant sa couche ! Aujourd’hui, notamment sur les produits de la gamme Avid, on est sur des protocoles de commande Eucon et des protocoles de transport audio qui sont en IP Dante. L’association des deux câbles au lieu des soixante auparavant permet de simplifier considérablement les installations actuelles et ainsi d’optimiser la place et les chemins de câbles correspondants.
L’avantage des surfaces de mixage Avid actuelles est la fois leur coût minimum d’acquisition et surtout la facilité d’exploitation et de maintenance. En cas de problème, il suffit de remplacer tout simplement le module défectueux par un échange standard grâce aux contrats de supports Avid et à l’intervention rapide des équipes de CTM Solutions. Grâce au support quotidien de nos équipes, les équipes de Karina Films peuvent se concentrer ainsi à l’essentiel de leurs métiers.
L’accompagnement humain est important pour CTM Solutions, de la phase d’avant-vente et de design du projet jusqu’au support de l’exploitation de nos clients afin de créer une véritable relation de confiance dans le temps.
Les évolutions futures que nous pourrons proposer aux équipes de Karina Films à la fois autour du stockage collaboratif, type Avid Nexis, leur permettant l’échange et le partage de projets audio à travers chacun des studios, mais aussi de nouvelles solutions « cloud for media » (solutions récemment primées aux césars techniques et innovations 2021) afin d’optimiser les process d’archivage, d’automatisation des envois des fichiers et de QC par exemple.
L’expertise acquise par CTM Solutions durant ces dernières années à travers l’intégration d’équipements et de solutions de postproductions chez les producteurs comme le Mediawan, Groupe Elephant ou des diffuseurs et laboratoires nous permettent de répondre avec efficacité aux nouveaux projets de postproduction et d’archivage et de faire bénéficier ainsi l’ensemble du marché de notre expérience.
Jean-François Grassineau : Pour conclure, nous ne sommes qu’au début de cette belle aventure qui nous passionne. Cette reprise a été une formidable opportunité pour nous de mettre nos compétences au service de nos clients et nous allons continuer à nous développer au côté de toutes nos équipes.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #41, p. 90-94. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.