État du transport dématérialisé
Sortir son film numérique occasionne quelques changements de gestion et de pratiques de la part des distributeurs. Des prestataires de transports de contenus dématérialisés de films vers les salles de cinéma, ainsi que des distributeurs ont tenté, par l’intermédiaire d’Étienne Traisnel, médiateur de la conférence, de répondre aux questions posées par le transport dématérialisé d’une part, mais aussi par le calcul du montant des VPF (Virtual Print Fee) maintenant en œuvre et la génération des KDM (key delivery message).
Ébauchant un état de l’art, Nicolas Dussert (SmartJog) décrit le réseau actuel de SmartJog en France de 680 cinémas connectés comprenant 1 050 projecteurs numériques dont plus de 60 % sont connectés. Cinq cents sont éligibles à la réception des longs métrages. Le service s’étend sur l’Europe, notamment sur la Belgique et la Suisse pouvant offrir une version identique à la version française et livrant simultanément dans ces trois territoires. « L’objectif est de couvrir l’ensemble des cinémas afin que la dématérialisation soit majoritaire par rapport à l’envoi des disques durs », développe Nicolas Dussert.
Système hybride, le cinéma est connecté à la fois par ADSL et par satellite, les deux chemins permettant d’assurer un back-up par rapport à l’autre. Les temps de livraison dépendent de la connexion du cinéma. Même si SmartJog demande 72 heures pour la transmission d’un long-métrage classiquement gourmand en bande passante, le temps moyen observé en 2011 est de 43 heures, laissant la marge nécessaire à l’envoi d’un disque dur en cas de problème de transmission. Les 43 heures sont également requises pour livrer plusieurs films simultanément sur plusieurs points. En cas de livraison urgente, le temps effectif est réduit à moins de douze heures dans les salles connectées par une parabole satellite. Le système est complété d’une interface web qui permet à l’exploitant et au distributeur de suivre en temps réel l’état des livraisons et de diagnostiquer un problème sur la livraison d’un cinéma, déclenchant l’envoi d’un disque dur de secours. Cette interface permet au distributeur de stocker ses contenus en ligne, de gérer son archivage en ligne et de lancer l’envoi vers les salles depuis cette archive. Une interface sur Smartphones permet de suivre les transferts.
Dans les cinémas se trouve un petit serveur de réception (deux tailles qui permettent de stocker entre 25 et 80 films), servant au stockage des DCP (Digital Cinema Package). Un film peut être livré quelques semaines en amont, lors des avant-premières et restera stocké le temps que le cinéma puisse le charger dans son serveur de projection.
GlobeCast, pour sa part, revendique 260 sites installés dont la plupart des réseaux d’exploitants (Gaumont-Pathé, UGC, CGR et tous les réseaux moyens). « Quelques 450 sites sont prévus d’ici la fin 2012 », précise Frédérick Rochette de GlobeCast. Ici, le temps moyen de transfert d’un film est de six à douze heures selon la taille du film et des accès ADSL. Tranchant sur la question de la bande passante, le système repose exclusivement sur des connexions ADSL, agrégées par deux à quatre liaisons chez l’exploitant. Le débit peut varier selon cette agrégation. GlobeCast livre les copies de films et des bandes-annonces, travaillant directement ou indirectement avec vingt-cinq distributeurs, l’ensemble des régies publicitaires et des stocks.
Quelle offre possible pour les distributeurs
Les modes de fonctionnement entre GlobeCast et SmartJog diffèrent de par la technologie employée. Le réseau satellite SmartJog est dimensionné pour des films de sortie assez large, l’envoi pouvant être simultané sur 300 ou 500 salles. « Le fait de livrer dix ou vingt cinémas est plus difficile et par conséquent d’un coût moins intéressant », explique Nicolas Dussert. Mais : « Nous réfléchissons à la question de la circulation. Par exemple, les cinémas seraient livrés pour une sortie nationale et les DCP pré-chargés dans les serveurs seraient activés pour la continuation. Cette hypothèse apporterait la flexibilité au distributeur et nous pourrions proposer des coûts moins importants. »
Les exploitants utilisant le système GlobeCast disposent quant à eux d’une interface web, qui leur permet d’accéder au catalogue en ligne des distributeurs. Frédérick Rochette précise : « Un distributeur qui négocie avec des exploitants indépendants peut s’adapter à la programmation de chaque distributeur. Le distributeur reçoit un avertissement par e-mail et sur son interface dédiée indiquant que tel exploitant a fait la demande d’un film et lui demande son accord pour l’envoi. Le coût de transport pour nous ou pour les distributeurs est aujourd’hui le même que ce soit en sortie nationale ou en semaine suivante. La négociation a iieu directement entre distributeurs et exploitants. »
La circulation des disques durs
Avancer dans un univers numérique nettement plus marqué qu’il y a un an, faire la programmation, la livraison : « C’est une question de logistique », constate Eve Rummel, Le Pacte. Un test de transport dématérialisé de long-métrage a été mené avec GlobeCast sur le film Malveillance de Jaume Balagueró : « Nous souhaiterions tendre vers ce type de transport. Mais sur la plupart de nos films, la solution n’est pas économique. » Un film commercial avec essentiellement des contrats en première semaine, trouve un coût de transport dématérialisé avantageux (pour SmartJog, les prix sont de l’ordre de 80 à 70€ pour l’alimentation de toutes les salles en sortie nationale). Or Le Pacte travaille sur des films d’Art & Essai d’une durée de vie assez longue avec de nombreuses circulations, des redémarrages : « J’ai déjà servi 20 salles avec un DCP sur disque dur ! En même temps il arrive que des DCP cessent de fonctionner dès la deuxième salle ! » s’exclame Eve Rummel. « Les envois dématérialisés reviennent à faire un disque par salle », ajoute Olivier Masclet, Les Films du Losange.
Classiquement l’exploitant prend en charge le transport d’un film 35mm en sortie nationale. « Le problème avec le numérique est que l’on se dirige vers un système où le distributeur prend en charge l’ensemble du transport, que ce soit des films annonce, des longs-métrages et bientôt des affiches ! », poursuit Eve Rummel.
Le Pacte a choisi de favoriser les transporteurs pour rester sur un système qui a prouvé son efficacité. Le DCP est mis à disposition du transporteur de la première salle : « Et je fais en sorte que ce soit l’exploitant qui le fasse suivre par transporteur à une autre salle. Ce n’est pas toujours possible. Aussi il m’arrive de prendre en charge les suivis pour accélérer la circulation des DCP », constate Eve Rummel. Certains exploitants refusent d’envoyer un DCP à une salle qui se trouve à 10 km. Cette conduite est à mettre en relation avec la pratique de certains distributeurs, qui envoient directement un DCP depuis un laboratoire, allant jusqu’à fournir une enveloppe pré-payée pour le retour au laboratoire.
On rencontre parfois des salles qui demandent le DCP à leur stock comme elles demandent une copie 35. « Le savoir-faire des transporteurs est un élément qu’il est important de garder ! », confirme Olivier Masclet. « Avec le 35mm il y avait un lien : aller chercher la copie, c’était prendre des nouvelles des films, des affiches. Nous sommes dans une période où l’on envoie les KDM par e-mail, même la programmation est faite par échange d’e-mails. Mais nous attachons de l’importance au fait de se parler et d’avoir encore un contact ! »
ARP Sélection – représenté par Romuald Lagoude – partage une même politique de films appelés à faire de la profondeur. S’il n’y a actuellement pas de circulation économiquement viable pour ce type de films, en revanche : « Pour les films annonce, nous fonctionnons beaucoup par dématérialisation. Alors nous sommes sûrs que le film annonce arrivera directement dans la librairie, et qu’il sera pré-chargé. On ne peut avoir de réel suivi d’envoi de DVD à moins d’appeler la salle pour s’assurer que le film annonce a bien été “ingesté” ! » Olivier Masclet atteste : « Le fichier arrivant sur le serveur, nous n’avons pas le problème du transport du DCP et du disque qui ne veut pas se charger. » ARP Sélection a effectué un essai au mois d’août dernier sur une cinquantaine d’établissements : « Nous avons sorti This Must Be The Place de Paolo Sorrentino. Nous avions décidé de doubler le film au dernier moment et nous savions que la version française ne serait prête qu’une semaine avant la sortie. Nous avons fait circuler les disques durs de la version originale et demandé au laboratoire de faire un top-up avec les seuls fichiers VF représentant un package de seulement six gigas. Nous avions donc un DCP supplémentaire qui venait se greffer sur le DCP VO et qui permettait de jouer le film également en VF. » Si le prix était moins élevé que pour un long-métrage, le doublage demande cependant un supplément.