Dossier: En quête de 4K (caméras et workflows)

Derrière cette plus grande résolution se cachent bien des variantes: la taille des photosites, la taille du capteur, les compressions, les débits, les codecs, l’analyse de la couleur, la dynamique… Toutes les caméras et tous les workflows ne se valent pas, leur choix dépend souvent de contingences artistiques et économiques. Petit tour d’horizon dans la jungle de la très haute définition. Avec le concours et les témoignages précieux de Luc Bara (Panasonic), Thierry Beaumel (Eclair), Danys Bruyère (TSF), Natasza Chroscicki (ImageWorks), Patrick Leplat (Panavision) , Guillaume Lips (Digimage), Jean Yves Martin (Sony).
28052015_MK11_4K_1.jpg

 

Définition du 4K

Il existe deux normes 4K, une pour le cinéma, c’est la norme DCI (4096 X 2160 pixels, soit 8,8 millions) et une pour la télévision, c’est la norme UHD. (3840 X 2160 pixels, soit 8,3 millions, 4 fois la définition de la HD : 1920 X 1280). La taille d’image diffère donc légèrement. En cinéma, on définit communément la norme 4K pour les caméras par le nombre de pixels à la base du capteur, c’est-à-dire dans la largeur sans appliquer le multiplicateur du nombre de pixels en hauteur. Si on le faisait, on arriverait à des chiffres très importants comme 19 millions de pixels pour la RED Dragon (6144 X 3160), 6K.

Les poids d’images approximatives suivant les types de fichiers (données Patrick Leplat) :

• 4k 4096*2160 RVB : 42Mo

• 4k 4096*2160 RAW : 14Mo

• 4k RAW compressé F55 : 4.8Mo

• Alexa S35 : 7Mo

• HD RVB 10bit : 8Mo

 

Analyse des couleurs

Ce qui différencie, à l’heure actuelle, les caméras entre elles, au-delà de la définition, c’est leur capacité à analyser et à restituer les couleurs. Pour cela, certaines utilisent un espace colorimétrique très large comme la F65. Intervient ensuite la dynamique de l’enregistrement qui rend compte des contrastes et des nuances par couleur Rouge, Vert, Bleu :

• 8 bits= 2 8 = 256 nuances par couleur

• 10bits = 2 10 = 1 024 nuances par couleur

• 12 bits = 2 12= 4 096 nuances par couleur

• 14 bits =2 14 =16 384 nuances par couleur

• 16 bits = 216 = 65 536 nuances par couleur

 

Les modes d’enregistrement

Ensuite, il existe différents modes d’enregistrement : RVB, RAW non compressé (Alexa, Varicam Panasonic, Canon C500), RAW compressé (Sony F65, F55, F5, FS7, RED Dragon, RED Epic). C’est l’enregistrement noble, ensuite viennent les Codecs qui compressent plus ou moins le signal : DNX, DNX HD, ProRès 4.2.2, ProRès 4.4.4, ProRès XQ, XAVC, XAVC intra, AVC ultra…

 

Les débits d’enregistrement

Le débit est cumulé entre les informations fournies par la caméra et la capacité du support d’enregistrement. Il faut que les informations puissent s’adapter à la vitesse d’enregistrement maximum du support, c’est le débit. C’est aussi ce dernier qui détermine les vitesses de prises de vue maximum. Ainsi, il est courant de devoir amoindrir la définition, la quantification donc la quantité d’information en très grande vitesse. Les informations seront donc compressées ou non par un algorithme qui sera plus ou moins efficace ou destructeur d’une caméra à l’autre, d’un codec à l’autre. Ces débits vont de quelques Mo à plusieurs centaines de Mo. Typiquement, les aplats dans l’image avec des petites nuances comme un champ de neige comprenant des petits reliefs sont difficiles à coder. En effet, dans ce cas, on a l’impression, de loin, que tout est pareil, alors qu’en fait il existe une foule de petits détails différents. L’algorithme rendra difficilement compte de ces variations. Un autre exemple très parlant, cité par Patrick Leplat de chez Panavision, serait un fin mat de bateau sur la mer et sur un ciel bleu : l’aplat de couleur du ciel et de la mer avec ses reflets est tellement difficile à coder que, sur certaines images, les faibles mouvements du mat du bateau peuvent disparaître. On parle de compression sans perte (loss less), pour une compression inférieure ou égale à 2 :1 suivant les algorithmes. Vient ensuite la compression sans perte visuelle (visual loss less) en dessous de 5 :1.

Quels avantages a-t-on à compresser le signal? Une compression, même faible, permet d’alléger le poids des informations, donc le coût du workflow tout en conservant une grande qualité d’image. Par exemple, si le débit en sortie du capteur est de 500 Mb/s et que l’on applique une réduction de débit de 2 :1, on obtient 250 Mb/s en vitesse d’enregistrement et un poids de fichier réduit de moitié sans perte de qualité. C’est le choix fait par nombre de constructeurs. Le débit dépend aussi du support d’enregistrement. Les supports permettant des débits élevés sont plus chers. Le traitement des fichiers plus lourds en postproduction a un coût plus élevé. Le choix de la compression devient absolument crucial et définit le coût d’une caméra à l’utilisation. Cela peut être un critère de choix encore plus important que le coût de la caméra à l’achat ou à la location.

 

Les Caméras

Tous ces préalables posés, il est maintenant aisé de comprendre que le 4K ne veut pas tout dire. Petite revue des caméras disponibles sur le marché :

 

Blackmagic design

Commençons par l’URSA de chez Blackmagic design : 4 K, capteur Super 35 mm, une latitude d’exposition de 12 diaphragmes. Formats d’enregistrement : Raw 12 bits. DNG RAW UHD 12bits et Apple ProRès. Support d’enregistrement : carte Cfast à 350 Mb/s. Montures PL, EF, B4. Logiciel Da Vinci Resolve inclus, global shutter, pas de viseur, uniquement un écran de 10 pouces. Voir première prise en main dans ce numéro.

 

AJA

L’AJA Cion : 4K, UHD, 2K, HD. Capteur APS-C (22,2mm X 14,8 mm), une latitude d’exposition de 12 diaphragmes . Formats d’enregistrement : ProRès 4.4.4 ou 4.2.2, RAW avec un enregistreur externe, enregistrement sur carte SSD 256 Go ou 512Go monture PL, global shutter. Cette caméra n’est pas encore arrivée chez les loueurs en France.

 

Canon

La Canon C500 a déjà fait ses preuves en tournage, notamment sur Salaud on t’aime de Claude Lelouch, éclairé par Robert Alazraki. Capteur Super 35 mm, 4K. Monture EF. Enregistrement en RAW 10 bits et simultanément en MXFfull HD Mpeg2 sur carte Cf à 50mb/s pour les proxys. Il est aussi possible d’enregistrer en 2K RVB (4 .4.4 à 10 ou 12bits), en full HD RVB.

 

Arri

Un petit tour chez Arri maintenant avec la célèbre Alexa qui frôle le 4K (3,4 K exactement) dans sa version Open Gate. Quant à l’Amira, avec sa nouvelle mise à niveau, elle enregistre en UHD à partir d’un capteur 3,2 K. La conversion vers l’UHD se fait dans le processeur de la caméra entre le capteur et l’enregistreur. Arri défend la position suivante : nous préférons faire un capteur avec des photosites plus gros et plus efficaces en termes de couleur et de latitude d’exposition plutôt que de courir après une définition accrue. En augmentant le nombre de photo sites, nous ferions des sacrifices sur la qualité de l’analyse de l’image. Cette philosophie se retrouve dans le mode d’enregistrement en RAW qui est non compressé. Les fichiers atteignent ainsi des tailles très conséquentes de l’ordre de 600 Go/Heure en sphérique et 800 go/heure en anamorphique sur enregistreur Codex. Le format Open Gate suppose d’utiliser absolument toute la surface du capteur (28,17 mm x 18,3 mm) et nécessite des optiques capables de le couvrir (diamètre 33,5 mm). Le format d’image devient du 1 :55, ratio qui n’est pas utilisé en projection. En fait, ce grand format est utile pour les effets spéciaux, convertir en 4K et pour pouvoir grossir et tailler dans l’image sans perte de définition. L’Alexa et l’Amira permettent aussi des enregistrements dans différents ProRès et en DNX HD. (Cf Tableau). Dans le cas d’enregistrement en codec, il est conseillé d’utiliser la courbe Log de la caméra pour récupérer le maximum d’informations en latitude d’exposition dans l’image. Par ailleurs, il faut souligner que le succès de l’Alexa est dû à sa grande ergonomie. Les équipes images ont retrouvé avec cette caméra un grand confort de travail.

 

Panasonic

Panasonic revient sur le terrain du 4K avec l’arrivée de la nouvelle Varicam 4K. Capteur Super 35mm de 24,576 mm et 4096 pixels de large. Cette caméra possède une particularité : elle a deux sensibilités natives 800 ISO et 5000 ISO. En effet, un circuit analogique convertit les charges électriques à la sortie du capteur en niveau de signal électrique, si les photosites sont à moitié remplis, on aura une sensibilité de 800 ISO. Un deuxième circuit convertit ces charges à 5000 ISO à la demande. Ainsi, on n’agit plus sur le gain pour augmenter la sensibilité. Cela a donc pour conséquence l’absence de bruit à très haute sensibilité. La latitude d’exposition reste centrée de la même manière et on gagne 2 2/3 de diaphragme. Les zooms, qui ont de moins grandes ouvertures de diaphragmes que les focales fixes, peuvent ainsi être utilisés la nuit. Autre particularité, il est possible d’émuler des LUT (Look Up Table) dans la caméra via une LUT Box interne contrôlée par le logiciel Life Grade Pro. Par ailleurs, la Varicam est dotée d’un double enregistreur, l’un en AVC Ultra (qui recouvre plusieurs codecs) sur cartes express P2 256 Go, l’autre en AVC proxy. Dans ce cas, une courbe Vlog est intégrée à la caméra. Il est aussi possible d’ajouter un enregistreur RAW Codex. Ce dernier offre la possibilité d’enregistrer en VRAW non compressé sur 12 Bits, taille des fichiers en 4K : 1,13 To/ heure sur des cartouches de 2 To.

 

Sony

Chez ce constructeur, on trouve quatre caméras 4K (la F65, la F55, la F5 et la FS7) très différentes les unes des autres, conçues pour répondre à diverses situations.

La F65 est la plus complète avec son espace colorimétrique très étendu, son capteur super 35mm 8K, son enregistrement en RAW 16 bits lin 4K compressé à 3.6 avec un débit de 5 Go/s sur carte SR Memory. Vitesse de 23.98P à 120P. Monture PL. 14 diaphragmes de latitude d’exposition.

C’est, à l’heure actuelle la caméra considérée comme la plus aboutie en terme d’analyse de l’image. Il est même possible de faire une image HDR (High Dynamic Range) à partir du RAW de la F65, la latitude d’exposition est suffisamment grande.

La F55 a pas un espace colorimétrique aussi étendu que sa grande sœur la F65, mais il est plus grand que la norme P3 DCI. En lui adjoignant l’enregistreur externe AXS-R5, il est possible d’enregistrer en RAW 16 bits lin en 4K sur des cartes mémoire AXS de 512 Go à 2,4 Go/s. L’enregistrement interne est prévu du XAVC 4K au Mpeg2 HD. Sony a mis au point deux courbes Log pour répondre à différentes situations de lumière : le Slog2 et le Slog3. Monture PL avec adaptateur, monture FZ d’origine. Sensibilité 1250 ISO, 14 diaphragmes de latitude d’exposition. Capteur Cmos Super 35mm équipé de la fonction Global Shutter. Vitesse de 23.98 P à 59.94P. C’est une caméra à l’ergonomie bien pensée qui a séduit nombre de productions.

Sa petite sœur la F5, possède un capteur 4K super 35 mm mais enregistre en 2K en interne du XAVC 2K 4.2.2 au Mpeg2 HD. Sony propose une mise à jour payante (environ 850Ä) pour activer l’enregistrement 4K XAVC dans cette caméra. Pour enregistrer le 4K en RAW, il faut ajouter l’enregistreur externe cité plus haut. Elle travaille sur un espace colorimétrique RT-709 plus petit que celui de la F55. Sa sensibilité est de 2000 ISO. Vitesse d’enregistrement de 23.98P à 59.94P. Monture FZ et monture PL avec un adaptateur. 14 diaphragmes de latitude d’exposition. Courbe Slog2 ou Slog3, 6 Hypergammas et 6 gammas standards. Elle n’est pas équipée de la fonction Global shutter ce qui la différencie de la F55.

La dernière née s’appelle FS7. C’est une caméra tournée vers le documentaire comme l’Amira. En ce qui la concerne, il faut saluer l’effort d’ergonomie accompli par Sony. Elle possède un capteur Super 35mm 4K (le même que la F5). Elle permet d’enregistrer en 4K sur XAVC en interne jusqu’à 60P. Sensibilité 2000 ISO, latitude d’exposition de 14 diaphragmes. Monture α ouE. Plusieurs courbes Log à disposition S-Gamut3.Cine/S-Log3, SGamut3/S-Log3. Enregistrement sur cartes XQD en simultané ou en relais.

 

RED

Un petit tour chez RED pour finir avec la RED EPIC Dragon. C’est une caméra modulaire, le corps caméra d’origine est peu encombrant. Pour la rendre plus facile d’emploi, on peut être tenté de lui adjoindre une foule d’accessoires et d’appendices. Elle possède un capteur 6K de 19 méga pixels (6144 X 3160 pixels, 30,7mmX 15,8 mm) et peut tourner jusqu’à 100 IPS en pleine résolution plus de 300IPS en résolution moindre. Enregistrement en RAW avec une compression de 3.1 à 18.1. En 6 K full gate 1.9, la compression minimum est de 4 :1 à 141 mb/s à 24 IPS selon le type de médium. Monture PL. Enregistrement sur Carte SSD propriétaires RED.

 

Influence du capteur Full Gate sur l’image

Pour comprendre cette notion, il faut revenir aux caméras 35mm, avec lesquelles on parlait de Full Gate pour désigner une fenêtre d’impression qui dévoilait toute la surface sensible de la pellicule. Les capteurs appelés ainsi ont donc une surface d’impression de l’image plus grande, ce qui modifie la taille de l’image et donc modifie la perception de l’espace, du modelé et du volume de l’image, insiste Danys Bruyère. Le rapport d’angle de champ des focales s’en trouve modifié. Par exemple, une focale 20mm en Super 35mm peut devenir un 25mm ou un 30mm en full gate. Il convient donc de vérifier la couverture des focales sur de tels capteurs.

 

Le workflow

Il existe plusieurs solutions de workflow du 4K suivant le mode d’enregistrement RAW ou codec. 

Selon Thierry Beaumel (Eclair), pour obtenir un fichier ProRès de meilleure qualité, il est préférable de le faire à partir d’un fichier RAW au labo de manière plus lente. Les conversions en ProRès internes aux caméras sont plus destructives car plus rapides (temps réel), le processeur de la caméra n’est pas l’outil le plus puissant pour compresser une image dans un codec. Le codec fige la débayerisation. Justement, parlons de cette mystérieuse opération de débayerisation, comment est-elle effectuée ? Les fabricants de caméra fournissent aux fabricants de softs d’étalonnage des logiciels appelés SDK qui peuvent être intégrés dans n’importe quelle machine d’étalonnage (Lustre, Da Vinci Resolve, Mistica, Nucoda, Firefly, Colorus d’Eclair). Certaines machines d’étalonnage permettent des réglages sur le SDK ou non ce qui modifiera ou pas la débayerisation. Chez Eclair, l’étalonnage se fait directement sur le RAW 4K. Le film est ensuite conformé et encodé dans la norme DCP DCI. Digimage a une approche différente : l’étalonnage s’effectue sur du RAW 4K visualisé en 2K et un rendu en 4K. Il n’y a pas de changement de colorimétrie entre les deux fichiers souligne Guillaume Lips, il n’y a que la définition qui change. Sur certains projets comme « Les saisons » de Jacques Perrin photographié par Eric Guichard, toute la postproduction se fera en 4K. Cela permettra de faire de la réduction de bruit sur certaines images tournées dans des conditions particulières. En effet, les valeurs appliquées dans ce traitement de l’image ne sont pas les mêmes en 2K et en 4K.

La norme 4K offre donc beaucoup plus de possibilités créatives, ce n’est pas seulement une plus grande définition. C’est un formidable terrain de jeux lorsque les règles en sont bien comprises.


Articles connexes

Dites bonjour à HELO Plus
 5 septembre 2024