Le laboratoire, au sens audiovisuel du terme, est le trait d’union technique entre la production audiovisuelle et les réseaux de distribution ou de diffusion des films, émissions de TV, documentaires ou autres séries. Le master, une fois validé par l’équipe de réalisation, ou les copies détenues par les ayants droit sont confiés aux laboratoires pour être dupliqués et/ou adaptées aux spécifications du pays ou du réseau de diffusion pour préparer le livrable (ou PAD). À l’époque du cinéma argentique, puis de la cassette vidéo, les processus étaient basés sur la manipulation d’objets physiques avec des caractéristiques et spécifications techniques en nombre limité et bien maîtrisées par l’ensemble de la chaîne technique de distribution. Ils suivaient des cheminements clairement balisés avec des acteurs identifiés et dans un mode d’échange « one to one ».
Le passage à la dématérialisation a largement bouleversé l’organisation de ces processus techniques, d’autant que les deux extrémités de la chaîne ont connu des évolutions majeures au cours de ces dernières années. Du côté de la production, la généralisation d’outils de montage et de postproduction et la baisse de leurs coûts ont démultiplié le nombre d’acteurs en capacité de produire et de finaliser eux-mêmes les contenus vidéo. Le nombre de sociétés de production a explosé face aux acteurs traditionnels comme les grands studios ou les détenteurs de catalogues. Il constitue un monde très divers avec un esprit plus créatif qu’industriel.
Les laboratoires face aux évolutions de la production et de la diffusion
Côté diffusion, la multiplication des chaînes TV puis l’émergence de l’OTT et des services de VOD, exigent de démultiplier dans des proportions exponentielles les formats et versions à livrer aux diffuseurs, pour faire face à la diversité des réseaux de distribution et la multiplication des terminaux de réception (smartphones, tablettes, navigateurs web, smart TV…). Du fait de la pluralité des versions linguistiques, de la nécessité d’approvisionner les contenus (séries) en masse et du nombre de canaux de diffusion, les diffuseurs sont obligés de systématiser leurs procédures. Les laboratoires doivent passer à une échelle industrielle pour le traitement des contenus audiovisuels face à l’abondance des sources de programmes avec une extrême variété d’acteurs et de structures aux niveaux de compétences fort variés.
En 2016, Jean Gaillard et son associé Sébastien Crème ont décidé de créer Nomalab en réunissant leurs expériences respectives, pour le premier dans la mise en œuvre de processus de dématérialisation pour la publicité TV, et pour le second dans la construction d’architectures web à grande échelle. En mettant à plat toutes les fonctions du laboratoire numérique, ils ont décidé de repartir d’une feuille blanche pour construire une nouvelle architecture technique en s’appuyant sur la puissance et la flexibilité offertes par les nouveaux services du cloud et du web, afin de dépasser les limites d’une infrastructure matérielle physique et les contraintes des logiciels commerciaux.
Jean Gaillard explique : « Le cœur de notre métier est de garantir aux producteurs du programme que nous serons capables de l’acheminer et de le livrer dans les meilleures conditions à un diffuseur, dans tous les sens du terme. Et pour ce diffuseur, lui garantir qu’il reçoit les bons fichiers en respectant ses spécifications particulières de PAD et avec le minimum d’interactions et d’interventions avant la diffusion et/ou la mise en ligne. En d’autres termes, réduire la complexité et garantir le chemin le plus court et le plus sûr vers la mise à l’antenne et la publication, avec le strict minimum de mouvements de fichiers et uniquement de fichiers corrects. »
Des traitements exclusivement dans le cloud
Il poursuit : « Au fil du temps, l’audiovisuel est devenu une industrie qui doit traiter à la fois des éléments unitaires comme des films ou des émissions de prestige, mais aussi des masses de fichiers comme avec les séries à succès. Contrairement aux chaînes linéaires qui diffusent les épisodes avec une chronologie régulière, les services d’OTT mettent en ligne des saisons entières d’un seul coup dès l’ouverture des droits. Sébastien et moi-même sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait créer une plate-forme sans contrainte matérielle, ni logicielle. Nous voulons pouvoir traiter instantanément les pointes et les besoins de nos clients. Dans un laboratoire classique, effectuer 500 livraisons d’un coup exige de l’organisation et de la planification pour répartir le travail dans le temps et sur le parc de machines et de licences disponibles. »
Pour répondre à ces défis, les fondateurs de Nomalab ont effectué des choix radicaux en concevant une architecture distribuée et containérisée, implantée à 100 % dans le cloud. D’où le nom de la société, NO MA(chine) LAB. Tous les composants entrant dans le traitement des contenus sont entièrement indépendants les uns des autres, et scalables sans limite. Ce terme de scalabilité, difficilement traduisible en français, signifie que la plate-forme déployée par Nomalab est extensible dans toutes les dimensions pour faire face à des pics de demandes, mais aussi élastique (en termes de souplesse) pour combiner et adapter les outils à des exigences particulières.
Le développement rapide de la SVOD et des services non linéaires des groupes historiques de TV, complique l’approvisionnement et la coordination entre les équipes. Cela rend encore plus indispensable une qualité constante quels que soient les volumes et le matériel fourni par les ayants droit, de plus en plus divers et dispersés géographiquement. Par ailleurs, même si les caractéristiques des fichiers à fournir aux groupes français sont largement communes, ces spécifications ne sont ni universelles, ni interchangeables.
Une interface web pour afficher les contenus à tout moment
Tout le fonctionnement de la plate-forme est centré sur le contenu. Pour Nomalab, il est important que les utilisateurs concernés puissent voir directement le contenu réel aussi bien pour les masters que pour les livrables. Il faut également que les parties prenantes puissent interagir avec le contenu, soit en le commentant, soit en enrichissant les métadonnées. Une interface web est l’outil parfaitement adapté pour une consultation à distance des contenus sans devoir effectuer des transferts de fichiers au préalable. Les outils de la plate-forme Nomalab sont donc accessibles depuis un simple navigateur, localement ou à distance. Il faut qu’il puisse interopérer avec les systèmes d’information des diffuseurs et pour cela ils sont complétés par des API.
Il existe déjà de nombreux services de distribution et d’échanges de contenus audiovisuels destinés au broadcast, mais ils sont basés sur des échanges de fichiers qui obligent à stocker les contenus sur place chez le destinataire, avec un temps de transfert non négligeable, et à prévoir un volume de stockage local.
Les fondateurs de Nomalab estiment qu’en 2019 de tels processus séquentiels alourdissent et compliquent les procédures. En faisant le choix d’associer le stockage des masters, les opérations de traitement dans le cloud et une consultation à distance, ils facilitent le travail de tous les intervenants, à la fois pour les équipes techniques de la plate-forme chargées de la préparation des livrables, mais aussi pour les équipes éditoriales des diffuseurs qui n’ont pas besoin d’attendre la fourniture du livrable avant de vérifier un élément de contenu.
Pour la mise en place de la plate-forme, Jean Gaillard résume les exigences qui lui paraissaient essentielles : « Nous ne voulions pas de limites physiques liées à des infrastructures matérielles. D’où le choix d’une infrastructure cloud qui offre des extensions quasiment infinies. Si demain nous avons mille « jobs » à effectuer, nous lançons mille machines. Ce ne sont pas des VM (Virtual Machine) mais des images machines que nous déployons à la volée. Un deuxième corollaire, nous ne voulons pas être limités par des logiciels métiers avec des contraintes de licences. La seule exception, c’est l’outil de QC (Quality Check) Baton que nous utilisons pour certains types de vérifications. Tout le reste de la plate-forme, c’est notre code développé en interne par une équipe technique. »
Des process automatisés
Quand un producteur « uploade » un master, la première étape consiste en une analyse du contenu pour répertorier ou vérifier les métadonnées techniques du programme : type de fichier, la cadence, le format d’image, la répartition et le contenu des canaux audio, ainsi que les éléments du début (mire, carton d’identification, décompte…) et de la fin, par exemple les fonds neutres. Selon les cas, cette première analyse technique automatisée est complétée par une vérification profonde du master qui fait intervenir un humain. Jean Gaillard confie que « même si les outils de mesure et de qualité ont fait de réels progrès, et que certains constructeurs ont suscité quelques faux espoirs, l’évaluation substantielle de la qualité nécessite encore pour quelque temps un arbitrage ou une interprétation humaine. »
Pour certains clients particuliers comme les studios d’animation, Nomalab reçoit les éléments séparés du master (animations, pistes audio, générique…) et procède à leur assemblage pour créer les masters définitifs complets.
Le contenu est ensuite stocké sur les infrastructures en fonction d’une structure hiérarchique qui varie selon les clients, le type de contenus et leur mode de répétition. À un moment donné, à l’initiative du vendeur ou de l’acheteur, Nomalab va fabriquer un fichier livrable à partir du master de manière automatique et selon les spécifications de celui qui va l’exploiter.
Après sa fabrication, il sera systématiquement analysé pour vérifier sa conformité par rapport aux spécifications du destinataire. Cette phase de vérification est toujours effectuée de manière automatique avec les outils de Baton. Si une vérification éditoriale du contenu s’avère nécessaire, c’est le destinataire qui l’effectue, mais directement à partir de l’interface web de l’outil Nomalab. Enfin le livrable est transféré vers le destinataire par une multitude de moyens, soit ceux que le distributeur exploite habituellement ou bien ceux proposés par l’équipe technique de Nomalab.
Jean Gaillard explique que « tous ces process sont conçus avec deux principes : une scalabilité sans limites pour pouvoir répondre de manière ultrarapide à des demandes quantitatives tout en restant fiable, et l’immutabilité qui garantit que les mêmes causes produisent les mêmes effets, c’est-à-dire que nos processus sont reproductibles avec un résultat toujours identique. Dans le passé, la qualité des livrables n’était pas garantie dans le temps du fait de la disparité du parc machines avec des niveaux d’usage variables et même parfois des opérateurs qui ne suivaient pas toujours parfaitement les consignes. Une autre grande partie de notre travail, c’est d’assurer la fiabilité des procédures et de la gestion des données associées aux contenus pour assurer au diffuseur que lorsqu’il achète l’épisode 8 de la saison 3 d’une série, il soit sûr de recevoir l’épisode commandé et que ce dernier soit diffusable. »
Certains vendeurs ou distributeurs de programmes ont déjà stocké leurs contenus dans le cloud. Et à l’autre extrémité, des chaînes ont mis en place des procédures de transfert de leurs livrables via le cloud. Pour ces partenaires, Nomalab a déjà effectué des livraisons qui sont déroulées intégralement dans le cloud avec uniquement des déplacements de fichiers à distance. Mais Jean Gaillard met en garde : « Même dans cette configuration intégralement gérée dans le cloud, il est préférable de limiter au minimum les déplacements de fichiers, entre autres à cause de leur poids, mais également pour des raisons évidentes de sécurité. C’est comme pour les supports physiques, moins on bouge les fichiers, mieux on se porte ! »
Quelques exemples concrets
Parmi ses clients, Nomalab compte le groupe M6, notamment pour le non-linéaire et son service 6play. Quand une chaîne du groupe M6 attend un programme à livrer par Nomalab, son système d’information envoie un flux de données qui crée une « capsule » dans la plate-forme Nomalab. Celle-ci notifie automatiquement la source du programme, qui déclenche l’upload du fichier master sur les serveurs de Nomalab. Une fois le fichier transmis, le contenu est validé sur la plate-forme, avant la fabrication sur celle-ci d’un livrable aux spécifications exactes du diffuseur. Une fois réalisé, il est vérifié de manière automatique et ensuite transmis vers l’ingest de M6, accompagné des métadonnées nécessaires.
Pour les contenus destinés à 6play, les quantités traitées sont très volumineuses et proviennent de sources très diverses. Les équipes éditoriales de 6play mettent à profit l’accès direct aux contenus effectivement uploadés pour les consulter via un navigateur web et les valider avant le lancement des livraisons. Cela leur permet de ne recevoir effectivement que des contenus et fichiers utilisables et d’éliminer les rejets tardifs et coûteux.
TF1 Studio regroupe l’ensemble des activités cinéma et fiction du groupe TF1. La filiale possède un catalogue de plus de 2 000 films et programmes de fictions qu’elle distribue auprès d’une multitude de réseaux : cinémas, e-cinémas, vidéo, VOD, chaînes TV internationales. Dès 2016, elle innovait sur le marché de la distribution en incluant systématiquement dans le prix de cession du contenu les livrables et leur livraison. TF1 Studio a choisi la plate-forme de Nomalab pour automatiser la préservation des contenus et les services offerts aux acquéreurs de ses programmes. Elle leur permettra de disposer de manière automatique de livrables conformes à leurs besoins et spécifications.
Nomalab accompagne également TeamTo, le studio indépendant français d’animation 3D pour les livraisons françaises et internationales de la série originale Mike, une vie de chien. À partir des corps d’épisodes et génériques dans leurs diverses versions, Nomalab assure la fabrication des masters finaux des 78 épisodes, leur vérification ainsi que le sous-titrage SME pour plusieurs pays. Nomalab assure ensuite toutes les livraisons internationales aux coproducteurs, diffuseurs et distributeurs de la série. TeamTO suit toutes les opérations en temps réel et procède à toutes les validations directement sur la plate-forme. Les livraisons finales d’une série sont un moment critique et délicat. Nomalab les rend simples et fluides.
Le lecteur pourra compléter les informations sur la plate-forme Nomalab en regardant ici l’interview de Jean Gaillard sur notre WebTV.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #35, p.78/80. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.