Un contrôle de l’image stéréoscopique maximal au tournage
Le choix de proposer le film en relief (S3D) a été fait par les producteurs et diffuseurs alors que le film venait d’être écrit et entièrement story-boardé en 2D. Dès lors tourné en relief et en numérique, les choix d’équipements ont été arrêtés fin 2010 par le directeur de la photo, Denis Rouden, AFC, et Alain Derobe, superviseur de la stéréoscopie. À l’époque, il y avait deux alternatives, la Red et l’Alexa. Un grand nombre de prises de vues devant être faites à l’extérieur, Denis Rouden a choisi l’Alexa pour sa capacité à supporter les forts écarts de contraste. TSF a fourni sept Arri Alexa pour les rigs standards et deux caméras Sony P1 pour le rig léger Steadicam. Les tests ont été conduits entre l’enregistrement ProRes et le non compressé, afin de vérifier les capacités à étalonner les images compressées. La différence étant minime, le ProRes a été retenu.
Un deuxième choix a porté sur la machinerie. L’image, en mouvement permanent, entraîne une meilleure perception du relief. Denis Rouden et Alain Derobe ont donc choisi de monter les caméras en permanence sur grue Louma ou sur steadicam. Trois rigs P+S Technik dont deux Freestyles ont été employés. Alain Derobe et Jean Chesneau, à la machinerie, ont modifié un rig, agrandissant la boîte miroir pour les zooms 16-42. Quelques prises de vues ont été réalisées avec un rig côte-à-côte pour des points de vue très hauts sur la scène ou sur hélicoptère.
Pour pouvoir déplacer très rapidement l’ensemble grue-caméra d’un décor à l’autre, il fallait réduire le temps pour changer les optiques, enlever et remettre les moteurs. Des zooms Angénieux appareillés avec télécommandes CMotion 3D CVolution ont donc été retenus plutôt que des optiques fixes : « L’accès aux différentes focales est instantané », relève Joséphine Derobe, stéréographe. Malgré la qualité des Optimo 16-42 mm, de légères disparités aux focales extrêmes ont été constatées en post-production. « Cela impliquait de tourner entre 18 et 35 – rarement à 16 ou à 42. Cette contrainte a permis d’offrir une unité de boîte scénique, de volume », constate Joséphine Derobe. Cela a évité le balancement désagréable à l’œil entre des boîtes très larges et de très longues focales. Les optiques fixes Zeiss ont été utilisées pour le steadicam, qui avait déjà à supporter un poids élevé avec les deux caméras.
Les choix d’équipements ne se sont pas arrêtés là. Outre le fait d’avoir fourni les caméras et les zooms, et pour répondre aux souhaits de Denis Rouden et d’Alain Derobe, TSF a conçu et réalisé, sous la direction de Pascal Buron, le Visiovan S3D, une petite salle de cinéma relief mobile dans une caravane. Alain Derobe y supervisait en permanence les deux unités de tournage sur un écran de 1,65 mètre de base. En parallèle étaient gérées les sauvegardes des rushes (MacBook Pro, lecteurs multi-cartes Sonnet Qio, moniteur relief Panasonic, LaCie Bigdisk Raid 5, etc), qui partaient quotidiennement sur disques navettes chez Duboi.
Toute l’équipe – réalisateur compris – s’est intéressée aux questions de la S3D. Premier film de grande envergure pour tous, il n’a bénéficié que de peu de temps de pré-production. La formation de l’équipe (costumes, lumière, coiffeur, montage, etc.) s’en est trouvée réduite d’autant. Surtout : « Peu de temps a été laissé au réalisateur et au chef-opérateur pour assimiler certaines contraintes du tournage et leur donner la possibilité de les utiliser à des fins artistiques », constate Joséphine Derobe. Quelques lectures S3D ont été faites au cours de la pré-production à partir du story-board 2D, très suivi sur le film. Les décisions de cadre ont été prises par le réalisateur, Denis Rouden et Alain Derobe, après les essais effectués en décembre 2010. Le tournage très long (quinze jours à Malte, trois mois et demi en Hongrie et un mois et demi en Irlande) a débuté le premier avril et s’est terminé le 17 septembre. La question du temps est essentielle : « En avoir plus aurait évité d’avoir à trouver des solutions de dernière minute après avoir vu que certaines choses ne fonctionnaient pas », regrette Joséphine Derobe.
De plus, Alain Derobe est décédé brutalement en mars 2012 alors qu’il assurait la supervision des différentes étapes de post-production. C’est sa fille, Joséphine, formée à son école, qui a pris le relai jusqu’à la dernière étape de l’étalonnage relief, après validation du montage et des effets spéciaux.
Découverte expresse du Mistika
Duboi faisait des copies des rushes en DNx36 pour le montage en appliquant des Luts de tournage donnant des images pré-étalonnées et montables. Les rushes étaient reçus par le montage. Les images repartaient au fur-et-à-mesure sur le lieu de tournage pour être vues et validées par le chef-opérateur et le réalisateur. Les disques durs faisaient des navettes quotidiennes.
La post-production avait été préparée par Duboi. À la suite de l’accident industriel subi par le groupe, c’est Digimage Cinéma qui a repris le film, alors que le tournage était juste terminé. « Historiquement, il ne s’était pas encore vu de film de cette envergure changer de laboratoire en plein cours de fabrication ! », remarque Tommaso Vergallo, Digimage Cinéma.
Les deux semaines entre Noël et le Jour de l’An ont été consacrées au transport des 50 téra-octets de rushes en ProRes, un volume énorme par rapport à la petite taille d’un fichier en ProRes. Avant tout, il a fallu trouver les ressources matérielles pour accueillir cette masse de rushes.
En même temps, Digimage, déjà équipé pour le relief et possédant son propre savoir-faire, a dû s’adapter aux outils employés par Duboi et différents des siens. Tous les postes étaient concernés, conformation, trucages, étalonnage et fabrication des copies et des DCP. Digimage a suivi les desiderata d’Alain Derobe qui avait fait Pina Bauch de Wim Wenders avec le Mistika de SGO. Tommaso Vergallo raconte : « Nous sommes allés avec notre directeur technique le 2 janvier à Madrid voir la société SGO et faire un tour très approfondi sur le Mistika. La machine est arrivée chez Digimage le 6 janvier. Nous avons aussitôt commencé à sortir les premiers rushes traités en color matching (égaliser les couleurs des deux yeux). Puis nous avons sorti les 600 plans à truquer chez Mac Guff d’une part et Mikros Image Montréal d’autre part. » Sergio Ochoa (démo-artiste pour SGO sur Mistika), grand connaisseur de la machine, est venu compléter l’équipe.
Celle-ci était constituée de quatre personnes dédiées au traitement de l’image, de la dépolarisation (la polarisation d’un seul œil provoquée par le miroir sur une des deux caméras) à la stéroscopie en tant que telle. Le Mistika demande une bonne prise en main, mais « il nous permet de bien travailler, explique Tommaso Vergallo, le color match et le geometry match sont très importants. Mais le Mistika a en plus pour lui de nous permettre d’aller dans l’artistique sur un véritable étalonnage S3D, de redonner une cohérence relief sur l’ensemble d’un long-métrage, de faire des interventions sur un Z disparity, sur du warp, sur des choses très importantes sur l’ensemble des séquences ou d’un groupe de plans, pour avoir un étalonnage relief abouti. »
Sur le Mistika, ajoute Joséphine Derobe, « nous avons choisi de faire un color match (étalonnage) basique. » Les plans partent ensuite aux VFX, reviennent des VFX. C’est à ce moment qu’est fait un ajustement géométrique assez poussé. Certains plans sont repris avec le Mistika, à cause des déformations ou des réglages relief, de luminosités gênantes à l’intérieur du plan. Le Mistika offre de nombreux outils pour améliorer le matching géométrique entre les deux yeux. Il permet d’intervenir de façon manuelle sur la géométrie et de façon plus pointue, comme il serait fait dans un compositing. Malgré le fait qu’au tournage le stéréographe fasse de bons réglages plan après plan, il reste qu’après le montage se retrouvent des plans avec des boîtes scéniques, des environnements lumineux, des réglages relief et des optiques très différents. Dans certains cas, les plans raccordés au montage ne fonctionnent bien pas au niveau du relief. Avant même le finishing, il faut gérer les fenêtres flottantes, les fenêtres trichées, les transitions.
Pour la partie stéréographique, le Mistika fait des propositions de correction géométrique de base et de match color automatique, avec des résultats déjà d’excellente qualité, ce qui est un énorme gain de temps. Même s’il faut ensuite affiner manuellement, il laisse plus de temps pour les réglages en profondeur des plans problématiques.
Relief et effets 3D chez Mac Guff
« Lorsque nous avons repris les plans de Duran Duboi, on nous a dit qu’il n’y avait qu’à continuer les plans, que tout était prêt ». C’était sans compter qu’au montage, la mise en scène a refait un point sur le film. La version Duran Duboi a été complètement réécrite. Mac Guff s’est retrouvé avec 280 plans à livrer en quatre mois mais n’a pu récupérer que certains modelings et quelques textures.
En terme de workflow, témoigne Yann Blondel de Mac Guff : « Il est assez rare de travailler pour les effets sur des images qui sont uniquement corrigées colorimétriquement et de livrer des plans avec des aberrations, sur lesquelles on n’a pas apporté de corrections géométriques. Je ne recommanderai pas ce pipe-line à quelqu’un qui ne serait pas équipé du Mistika ! Le Mistika a la capacité de traiter un plan avec trois disparités géométriques différentes. Quand on assemble un plan à trois profondeurs d’éléments, par exemple un premier plan avec Jules César, un second plan avec le bateau et un troisième plan avec de la mer et que ces trois éléments ont des différences géométriques, pour moi, il était sûr que c’était impossible. Nous avons fait le test. Le plan a très bien marché. Et avoir pu travailler en s’amendant de la contrainte des corrections géométriques et colorimétriques, en se disant je mets juste mon effet dessus et après cela part au Mistika, c’est un vrai confort ! Même si finalement on devient son pire ennemi quand on fait cela. Il aurait été difficile de sortir le film en quatre mois si l’on n’avait pas adopté ce workflow. Cela dit, il reste des choses qui ne sont pas possibles. »
L’étalonnage a été fait en 2D car le film sera également vu en 2D. L’adaptation à la S3D se fait lorsque la boîte scénique a été finement réglée. Les adaptations à faire sont dues à la S3D, par exemple une amorce un peu trop éclairée qui pourrait attirer l’œil vers un endroit alors que l’action se passe ailleurs. Il faut anticiper comme mater un peu les hautes lumières pour atténuer cette amorce.
« Il faut savoir que tous les artifices et stratagèmes habituels dans les trucages sont impossibles à faire en stéréographie, du fait de la profondeur ». Il faut donc être très procédurier, très juste dans l’espace. Non contrainte par un tournage live de cohérence, l’image de synthèse est plus simple à réaliser du fait des caméras virtuelles 3D. Pour le plan de Gérard Jugnot en pirate : « Notre intervention s’est limitée à faire un raccord de mer du fait que le plan a été tourné dans un bassin et que l’on voit une ligne de démarcation entre le bassin et la mer. C’est un plan qui semble être très simple, en 2D on aurait juste à faire un bandeau de mer pour raccorder. En 3D on a rajouté de la brume et une mer à l’horizon. On a fait un petit raccord qui passait très bien sur nos petits écrans et notre petit vidéoprojecteur. Mais en projection, une sorte de mur est apparut au milieu de l’image. En stéréoscopie, cela se joue au demi pixel. C’est quelque chose de très difficile à régler. »
« Dans la communication avec Digimage, on a demandé à travailler sur des images uniquement corrigées en colorimétrie (image droite et image gauche) mais pas corrigées en géométrie. Car en 3D, lorsque l’on doit tracker, donc acquérir la topologie de la scène tournée, on a besoin d’une exactitude du lieu, or une petite déformation d’un seul pixel va générer des erreurs lors du tracking. »
Le point de convergence
Initialement le projet était hébergé sous un toit où tous les corps de métiers étaient réunis, le montage, le trucage, la conformation… Finalement le travail a été mené sur trois lieux différents, dont un à 6 000 km. « Il nous a fallu nous organiser pour qu’à certains moments-clés il y ait des présentations en présence de tous les chefs de postes, de la réalisation, de la direction de la photographie et de la production. Nous avons fait une projection hebdomadaire ou deux fois par semaine en regroupant des plans. Nous avons mis en place un pipe-line adapté afin de faire face à des délais extrêmement courts », relate Tommaso Vergallo. Avec en particulier une salle dédiée à la production avec un projecteur 4K offrant la luminosité nécessaire au contrôle des images venant de Mac Guff, Mikros et Digimage.
Une livraison typique en stéréographie tourne autour des 100 000 images. Ce n’est donc pas une petite livraison, à faire à la légère. Des procédures ont été mises en place pour livrer les bons time-codes, avec une normalisation des procédures, afin d’éviter les nombreuses reprises de conformations, typiques sur ce genre de projets. Une automatisation a été mise en place afin d’éviter l’inévitable tension ressentie autour des 60 000 images reçues toutes les semaines !
Astérix et Obélix : Au service de sa Majesté
Réalisateur Laurent Tirard
Production
Producteur Olivier Delbosc
Producteur Marc Missonnier
Scénariste Laurent Tirard
Scénariste Grégoire Vigneron
D’après l’œuvre de René Goscinny
D’après l’œuvre de Albert Uderzo
Équipe technique
Directeur de la photographie Denis Rouden
Stéréographie Alain Derobe
Réalisateur de 2nd équipe Alan Corno
Monteuse Valérie Deseine
Superviseur des effets spéciaux Gabor Kiszelly
Superviseur des effets visuels Kevin Berger
Effets spéciaux Olivier Marais