En 2016, le business des sonneries est en fort déclin. Cellfish Media va faire peau neuve et revoir sa stratégie. Elle change de nom, devient Alchimie et revoit son actionnariat. Anciennement détenue à 40 % par Lagardère et à 40 % par un fonds d’investissement canadien et la Caisse des dépôts du Québec, elle passe dans le giron du fonds d’investissement européen HDL (80 %), les parts restantes étant conservées par son PDG, Nicolas d’Hueppe.
« Alchimie est une société qui vient de la tech et du marketing. Elle s’est développée en vendant des sonneries et des SMS surtaxés. Cela sous-entend qu’elle a très tôt été capable d’adresser de la vidéo, du son et de traiter avec des ayants droit pour une exploitation en ligne sur des téléphones mobiles. Cela implique déjà un solide support Tech et des années d’expertise digitale », commente Antoine Robin, directeur des chaînes du groupe Alchimie depuis avril dernier.
Cellfish, transmuté en Alchimie, renaît et bascule à l’initiative de son PDG, Nicolas d’Hueppe. Lequel s’appuie sur les accords de distribution signés au fil des ans avec les ayants droit, mais surtout sur les opérateurs télécoms pour distribuer des chaînes en linéaire. Il ne s’arrête pas là et s’engage aussi dans la distribution en mode « librairie ». À côté d’un Netflix, dont l’enveloppe de production se chiffre à plusieurs milliards de dollars, il est difficile, voire impossible, de rivaliser dans des secteurs tels que la fiction ou le cinéma. Mais d’autres chemins s’offrent à Alchimie.
Une distribution optimale de A à Z
L’idée est de proposer à ses ayants droit, dont les catalogues ne sont pas encore en ligne, de les exploiter. « On ne propose aucun minimum garanti, on n’achète pas ces catalogues. En revanche, on se charge de tout : l’éditorialisation, la Tech, le marketing, la mise à disposition chez les FAI, la bande passante, etc. Le principe s’appuie sur un partage de l’abonnement à 50/50 », explique Antoine Robin.
Une nouvelle fois, la démarche portée par Nicolas d’Hueppe est regardée avec étonnement par le secteur qui ne voit que peu d’avenir dans cette stratégie. À l’époque, l’actuel directeur des chaînes du groupe Alchimie vient de créer un média 100 % digital, destiné aux 25-35 ans, Spicee. Il l’avoue, il n’imagine pas que cette offre de documentaires en SVOD pour jeunes puisse être proposée ailleurs que dans son environnement propre. « C’était oublier que les marques vendent en direct, mais qu’elles sont aussi proposées en grande surface », sourit-il.
Mais, en 2015, on est encore à l’ère du tâtonnement, à l’époque reine du « stand alone », une période belle et bien révolue où l’offre reste noyée dans la Toile. Ce n’est pas le chemin choisi par la nouvelle structure. Fort bien lui en a pris.
Alchimie, en 2019, totalise plus de 25 000 heures en mandats, officie avec 30 partenaires OTT présents dans le monde entier et travaille avec près de 250 ayants droit comme Arte, RTS, France 2, la ZDF, Euronews, mais aussi des producteurs tels que Mediawan… permettant à ces marques fortes d’être présentes sur un maximum de supports et ainsi d’optimiser leurs remontées de droits. À côté de ce rôle de distributeur, Alchimie va affûter ses offres et se voit aussi en coproducteur de contenus.
Mot d’ordre incontournable : éditorialiser
Si le contenu était existant et pléthorique, il restait le versant éditorialisation à affiner. C’est à ce moment-là qu’Antoine Robin intègre Alchimie. Journaliste de formation, passé notamment par Canal+, Eléphant, avant de prendre la tête d’Havas Production pendant près de sept ans, Antoine Robin est rompu aux aventures audiovisuelles. Avant de plonger dans l’univers d’Alchimie, il a mis en route Spicee en 2015, une offre de vidéos par abonnement destinée aux millennials, proposant des documentaires sur le monde actuel, ne versant ni dans le trash, ni dans le strass. On lui propose alors de prendre en main l’éditorialisation de bouquets de chaînes destinées à des niches.
« La bataille des services généralistes n’est plus d’actualité, face à des Netflix, Amazon et autres Disney. En revanche, ces grands médias ne s’adressent pas à toutes les communautés et délaissent certaines niches », souligne-t-il. Son rôle consiste à identifier les communautés, trouver un axe différent de ceux existant déjà, bâtir une offre avec une incarnation forte, le tout étant proposé sous forme d’abonnement mensuel, sans engagement.
« Mon métier est de créer des chaînes boutiques, d’expertiser des communautés délaissées par les grands médias, de signer des producteurs avec des catalogues de qualité qui répondent à leurs thématiques préférées, de les éditorialiser en les agrémentant d’égéries et à terme d’enrichir ces offres de productions fraîches. Pour cela, une filiale vient d’être créée et quelques projets sont déjà en cours », reprend Antoine Robin.
Des niches bien diversifiées
Ces chaînes thématiques sont disponibles sur Internet ; plus que des webTV, elles agrègent des contenus premium sur des sujets pointus qui intéressent des passionnés. Elles ne peuvent pas survoler leur sujet, mais doivent être bâties par des experts, au risque, à défaut, de décevoir les puristes et de ne pas déclencher l’abonnement. Parmi les dernières nées, Army Stories est la chaîne 100 % digitale consacrée exclusivement à l’univers de l’armée, accessible pour 4,99 euros par mois.
« Après Humanity, la chaîne des grands documentaires de société, et Species, la chaîne des animaux en voie de disparition, Army Stories marque notre volonté de développer des marques fortes, dans des univers de passion, grâce auxquelles nos abonnés pourront satisfaire leur insatiable curiosité. Bien d’autres suivront très vite ! », s’enthousiasme le directeur des chaînes d’Alchimie.
Army Stories propose des contenus produits par Memento, la société fondée par Stéphane Rybojad et Thierry Marro qui, depuis 2002, travaille notamment avec le ministère de la Défense et a coproduit une soixantaine de films sur ce thème. Cette offre de SVOD permet de rendre accessible en ligne un patrimoine qui intéresse une niche de vrais passionnés de tout ce qui touche au monde soldatesque.
Autre exemple des programmes proposés par Alchimie, la chaîne Sexplora, en ligne depuis début juillet. Cette offre de SVOD reprend, pour le moment, les contenus de trois saisons des programmes pédagogiques crées et présentés par la canadienne Lili Boisvert, autour des questions de sexe, sans sombrer dans le trash. Proposée en partenariat avec Urbania Media, une plate-forme de production et de diffusion canadienne, Sexplora se propose, via ses programmes pédagogiques, inédits en France, de donner des clés sur la sexualité. Le but est ensuite d’enrichir cette offre initiale de productions maisons. Antoine Robin veut ensuite dénicher l’égérie idoine qui incarnera la chaîne afin de lui donner une vraie personnalité. Son point de rentabilité est aux alentours 15 000 abonnés, la mise à jour est hebdomadaire. Quarante heures ont été mises en ligne dès son lancement. Si actuellement Alchimie opère près d’une dizaine de bouquets digitaux, Antoine Robin espère en lancer sept nouvelles d’ici à la fin de l’année.
Indépendant et européen
À côté de ses deux métiers, l’agrégation de contenus et la distribution de chaînes traditionnelles, Alchimie a une troisième corde à son arc. Elle a signé avec SFR en juin dernier un contrat afin de proposer le Replay de 2 000 heures de contenus documentaires. Si les chaînes d’Alchimie sont disponibles sur les télévisions connectées, l’idée de les rendre disponibles partout reste majeure. Contrairement à une offre généraliste payante ou gratuite des géants tels que YouTube, l’extrême éditorialisation reste la valeur ajoutée de ces chaînes. Elles sont accessibles sur tous les terminaux, dont Samsung et Huawei, payables via Paypal.
« Nous envisageons d’aller sur les consoles type PlayStation, mais l’accès est compliqué. Pour Huawei, nous avons la chance de proposer des contenus européens et surtout nous avons les capacités technologiques pour intégrer les contenus pour les plates-formes non européennes. L’avantage d’Alchimie est d’être assez solide pour cela, mais aussi très souple. »
Forte de 120 employés, la société est historiquement très présente à l’international, avec un bureau aux abords de Paris, un à Düsseldorf (Allemagne) et un à Sydney (Australie). Son offre n’est pas vouée à se substituer aux grandes plates-formes, mais à compléter le tout avec des abonnements peu chers et sans engagement.
Prochaines étapes : rendre les chaînes de niche accessibles en les traduisant notamment en anglais et les distinguer avec des incarnations fortes. Avec le rachat de Molotov par Altice, Alchimie est désormais le dernier agrégateur et distributeur de contenus indépendant européen.
ALCHIMIE EN CHIFFRES
120 collaborateurs
30 partenaires OTT
25 000 heures de programmes
80 chaînes
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #33, p.32/33. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.