Mediakwest : En quoi les Films du Poisson Rouge se démarquent-ils des autres studios ?
Catherine Estèves : J’ai créé cette structure parce que je ne voulais plus adhérer à la culture d’entreprise des studios d’animation. Je leur reprochais leur schéma de fonctionnement, leur manière de tayloriser nos métiers et nos méthodes de fabrication, ce qui s’avère sclérosant au niveau artistique. Ces studios ont une réflexion managériale et raisonnent toujours en parts de marché. J’avais vraiment envie de m’extraire de cela, de relever des défis et de ne pas m’enfermer dans une routine. Aux Films du Poisson Rouge, nous créons de nouvelles méthodes de fabrication pour chaque projet.
M. : Pourquoi la fabrication d’outils propriétaires se montre-t-elle aussi stratégique pour un studio d’animation ?
C. E. : L’outil est au cœur du studio et garantit une très grande porosité au sein des équipes. Si ces outils sont développés par des développeurs au fait du métier ou des artistes, ils privilégient l’artistique et le confort d’utilisation. Si ce n’est pas le cas, on peut craindre que la rentabilité soit leur seul objectif. Souvent, les outils dits « intuitifs » ne servent en fait qu’à augmenter les quotas de production…
M. : Outre l’avantage concurrentiel qu’ils représentent, ces outils logiciels sont-ils aussi garants du retour de l’animation 2D en France ?
C. E. : En partie. Là encore, il faut rester très vigilants. La relocalisation en France de gros volumes de séries ne se traduit pas toujours par plus de confort pour les équipes, mais par une exigence de rendement plus élevée car il faut trouver le moyen de fabriquer moins cher. En sous-traitant nos animations en Asie, nous avons dépouillé les pays en leur imposant nos styles graphiques, nos façons de travailler et nos outils. Aujourd’hui, il est très difficile en Chine ou en Corée de trouver des dessinateurs ou des graphistes sachant faire des pleins et des déliés par exemple alors qu’ils ont une culture graphique extraordinaire. Quand il nous arrive de travailler avec eux, nous préférons les accompagner sur leurs savoir-faire graphiques et pour des projets intéressants.
M. : Allez-vous orienter le développement de vos outils vers la 3D ?
C. E. : Non. Nous voulons rester sur la 2D parce que nous aimons le dessin et qu’il faut être dessinateur pour en faire. Avec la 2D, nous nous trouvons au carrefour de l’art, de l’artisanat et de la technique. Ceci dit, il nous arrive de travailler sur des projets 3D avec un rendu 2D comme Réflexion, le pilote de Canaan, etc. Sur l’opéra VR L’enfant et les sortilèges, certaines parties sont également réalisées en 3D. Cette frontière est en fait appelée à disparaître. Mais nous n’ouvrirons pas de studio 3D. Nous préférons nous adresser aux prestataires.
Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #35, p.70/72. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.