Annecy parie sur la réalité virtuelle…

En juin dernier, l'édition 2016 du Festival d’Annecy a salué l’émergence d’une technologie dans l’air du temps (à défaut de réalisations) en même temps qu’elle a mis à l’honneur l’animation française: décidément, la réalité virtuelle est un secteur en pleine expansion...
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Il était impossible à Annecy de passer à côté de la réalité virtuelle qui faisait l’objet d’une couverture inédite. Le Festival, les Conférences, mais aussi le Mifa (Marché international du film d’animation), dont le nombre d’accrédités était globalement en hausse, ont marqué le coup avec des expérimentations VR ou avec des présentation de projets en cours.

L’ONF, Google Spotlight Stories, Evil Eye Pictures, Nexus et Penrose Studios donnaient ainsi à voir à 360° leurs dernières productions. Court métrage de trois minutes, Rain or Shine (Nexus et Google Spotlight Stories) a retenu en particulier l’attention en recourant à une astuce bien connue du jeu vidéo – mais moins en animation  : comment faire avancer l’histoire en « sollicitant » un protagoniste, c’est-à-dire en fixant son regard. En démonstration également, le programme artistique Tilt Brush Demo de Drew Skillman et Patrick Hackett permettant de peindre en 3D grâce à un casque Google (avec Antonio Canobbio, Chris Prynoski).

 

Films et jeux rapprochés par la VR

Côté conférences, la cession animée par Thierry Barbier (Axyz), « Enjeux de la réalité virtuelle », revenait sur des projets en cours de production. Ceux-ci émanaient de jeunes studios comme Baobab Studios (Eric Darnell) et Happy IT, ainsi que de studios d’animation confirmés comme Folimage et Aardman Animations.

Convaincu des potentiels du « nouveau » média, Folimage dévoilait le projet de série écrit par Marc Robinet, Amnesia (cinq fois quinze minutes), dont la « densité spatiale » et l’univers à la Tim Burton ont convaincu son directeur Michel Nicolas de se lancer dans la réalité virtuelle (lire notre article «  Rencontre avec Michel Nicolas de Folimage »).

Dans l’équipe de coproduction, sont présents : Caméra Lucida qui a signé le documentaire VR remarqué, The Enemy, et Kolor, le centre de recherche 360 ° du groupe GoPro à Chambéry (à l’origine de Kolor Eyes). Parce que Folimage n’entend pas se couper de l’animation en volume, Amnesia fera l’objet d’une production composite basée sur des marionnettes filmées en stop motion devant un fond vert, tandis que les décors de second plan seront issus de captation d’images réelles filmées par des caméras 360° GoPro. Ces prises de vues spatialisées seront ensuite assemblées avec les animations dans le moteur Unity. « L’enjeu principal consistera à passer d’une image réelle à une image dessinée, compatible avec les décors de premier plan », note Michel Nicolas. Outre une écriture innovante, le studio d’animation entend trouver dans la VR une source d’économie pour la fabrication des décors.

Venant du jeu vidéo, Happy IP, qui a produit le jeu VR Babel Rising pour Oculus, présentait le prototype de Nevro Blues, leur second projet de jeu en réalité virtuelle inspiré par l’univers graphique de Mister Hublot, un court métrage 3D multiprimé de Stéphane Halleux. Dédié aux casques Oculus Rift, HTC Vive et PlayStation VR, le jeu, qui se pilote aussi au moyen de manettes, sera entièrement fabriqué en France (à Joinville-le-Pont) et fera l’objet d’une chaîne de production stabilisée à base d’Unity.

« Nous avons intégré ce moteur de jeu dans notre chaîne de production depuis deux ans, remarque Michel Bams, cofondateur de Happy IP. La réalité virtuelle n’impacte pas nos outils (Maya, 3DS) ni notre logique de fabrication qui repose depuis longtemps sur le temps réel. Par contre, nous devons revoir la grammaire de notre gameplay, et nous rapprocher des compétences en narration du monde de l’animation. »

Aussi, le producteur a-t-il tenu à intégrer dans l’équipe de Nevro Blues (sortie prévue mi-2017) la scénariste Catherine Cuenca et le directeur artistique Jean-Baptiste Cuvelier qui viennent de l’audiovisuel et de l’animation. Estimé à 1,2 million d’euros, le jeu, qui dure trois heures (par tranches de dix minutes), n’a pas encore bouclé son financement. D’où sa présentation à Annecy.

 

À la recherche du pipe line en animation

Côté salon, certains studios – surtout les studios de jeu – invitaient à leur tour à se saisir d’un casque de réalité virtuelle. Le suisse Kenzan Studios proposait ainsi de tester le pilote de sa série en temps réel Téo & Léonie. Inspiré du livre en réalité augmentée édité par le producteur, celui-ci a été nominé lors des Vision Summit Awards 2016 à Hollywood parmi les trois meilleurs films interactifs. Sans diffuseur pour l’instant, cette série 3D (cinquante-deux épisodes de onze minutes), combinant une animation traditionnelle (Max et Maya) avec un rendu en temps réel sur Unreal Engine, est prévue pour faire l’objet d’une diffusion linéaire, accompagnée de modules en réalité virtuelle téléchargeables gratuitement par les enfants sur leur smartphone (avec un casque VR).

Pas de démonstration toutefois, du côté des studios d’animation : la VR semble encore au stade exploratoire. « Pour l’instant, il n’y a ni marché pour l’animation, ni financement dédié et les problèmes de la diffusion sont loin d’être résolus, observe Guillaume Hellouin, cofondateur de Team TO. La réalité virtuelle reste un sujet de R&D. »

Le studio a néanmoins mis en test la série 3D non dialoguée Oscar Oasis (soixante-dix-huit fois sept minutes). « La VR ne nous intéresse pas comme nouveau format technique – à l’instar de la 4K ou du relief, etc. – mais pour ses potentiels narratifs. » À mi-chemin entre une production linéaire et une production interactive, la réalité virtuelle pourrait, à ce titre, se tailler une place stratégique dans son département interactif qui s’est récemment illustré avec l’application Angelo téléchargée plus de deux millions de fois.

Pour Cube Creative, la réalité virtuelle donne accès à un champ très diversifié de médias et surtout ouvre sur de prometteurs modèles de production. Depuis 2015, le studio a entrepris d’intégrer le moteur de jeu Unreal Engine dans sa chaîne 3D (lire « Rencontre avec Bruno le Levier, directeur technique chez Cube Creative »).

« Notre objectif est de lancer une série 3D cartoon sur cette chaîne de production, annonce Lionel Fages. Utiliser ce moteur permet aux animateurs de régler très vite leur line test et de réduire considérablement les étapes de compositing et de rendu. »

Parmi les premiers projets susceptibles de suivre ce pipe line de fabrication 3D temps réel, une série feuilletonnante à base de mocap sur smartphone et tablette (dix fois dix minutes) initiée par le studio suite à un appel d’offres. Le studio n’est pas non plus en manque de projets pour les players de réalité virtuelle. Mais ceux-ci seraient plutôt dédiés aux parcs d’attractions. Dans les cartons, une attraction pour un parc animalier à base d’animation 3D temps réel et précalculée (réalisateur Nicolas Deveaux).

La réalité virtuelle s’avère être également un outil de préviz prometteur. La nouvelle attraction de quatre minutes réalisée en 6K par Nicolas Deveaux pour le Futuroscope, qui combine une plate-forme motorisée pouvant se mettre à la verticale avec un écran géant hémisphérique, est testée au moyen d’un casque Oculus.

« Les gains de productivité en animation s’annoncent de l’ordre de 20 %, estime Lionel Fages. La possibilité de produire directement des assets pour le jeu vidéo, les applications 360 °, etc. est un avantage supplémentaire lorsque l’on soumet un projet aux télévisions. »

À l’heure où les budgets baissent et la demande en contenus croît, ces nouvelles méthodes de fabrication permettant de mieux maîtriser les coûts pourraient faire la différence et, en prime, réussir le pari de la relocalisation (lire « Quand la France relocalise »).

 

* Cet article est paru en intégralité pour la première fois dans Mediakwest #18, pp. 84-86. Soyez parmi les premiers à lire nos articles en vous abonnant à notre magazine version papier ici