Assises pour la diversité du cinéma français : tout ça pour ça

Ils sont venus, ils sont tous là : Vincent Maraval en tête, celui par qui le scandale eut lieu, mais aussi producteurs, diffuseurs, distributeurs, institutionnels et techniciens. Pour autant, jamais sujets ne furent plus efficacement évités. Dommage ! Seule lumière au bout du tunnel : l'annonce de nouvelles Assises en juin prochain.
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Pendant près de quatre heures, un panel « représentatif » des professionnels du secteur cinématographique ont parlé – débattre ne semblait pas être de mise ce jour – de leur mal-être et d’un sentiment d’injustice face à un écosystème en complet bouleversement.
Morceaux choisis.

Éric Garandeau : « déballage » et mauvaises idées reçues

Bombardé pompier de service par le ministère de la Culture, Éric Garandeau a souhaité, avec cette demi-journée, « sortir d’une forme de déballage » qui pourrait nuire aux chantiers « bruxellois » à venir, notamment autour de la territorialité des aides et de sa remise en cause.
Souhaitant avant tout « conforter notre écosystème », le directeur du CNC a tout d’abord voulu battre en brèche de « mauvaises idées reçues » telles que :
– les acteurs sont surpayés et ce, à cause des aides du CNC ;
– les grosses productions vivent sur le dos des aides publiques ;
– notre cinéma ne pense qu’aux acteurs et pas au scénario ;
– la France produit trop de films, surtout de petits films ;
– le CNC est trop riche, le cinéma français dilapide l’argent public ;
– le CNC n’intervient pas assez.
Même si Éric Garandeau a, preuves à l’appui, démonté ses antiennes, la salle faisait preuve d’une circonspection et d’un silence éloquents…

Hazanivicius : haro sur les hébergeurs et la chronologie des médias

Pour le réalisateur oscarisé, « on doit se battre pour un système qui défend tous les types de cinématographie » ; il a également pointé le fait que si la « tribune de Maraval a eu tant d’ampleur, c’est que cela montre que le sujet était déjà en germe ».
Accusés de profiter des contenus car propriétaires des tuyaux, les hébergeurs doivent, selon Michel Hazanivicius, « devenir de vrais diffuseurs car, actuellement, on est dans une situation de concurrence déloyale via une fiscalité tronquée. Mais pour cela, si nous voulons les faire rentrer dans notre mode de financement, il va falloir leur donner » – en contrepartie ? – « quelque chose, notamment autour de la chronologie des médias et ne pas camper sur nos positions ».

« La concentration des financements sur les films menace-t-elle la diversité ? »

Intervenants : Philippe Bony (M6), Stéphane Célérier (Mars Films), Sidonie Dumas (Gaumont), Vincent Maraval (Wild Bunch), Marc Missonnier (Fidélité), Élisabeth Tanner (Artmedia – SFAAL) et Nathalie Toulza-Madar (Dg de TF1 Films Production).
Comme pour chaque table ronde, une introduction chiffrée du CNC permettait de mettre en perspective la situation.
Il ressort que le devis moyen des films en 2012 était de 5,01 M€, en retrait de 8,1 % tandis que le devis médian était, lui, de 3,2 M€, en net recul (-13,9 %). Si les chaînes de télévision continuent d’apporter un tiers des financements, il convenait de noter que les aides régionales ne représentent « que » 1,7 %. Enfin, le CNC a pointé la diminution de la part des dépenses techniques sur le budget global, passant de 17 à 12 %.
Premier invité à parler – et premier à avoir mis « le feu à la cabane », Vincent Maraval a souligné le fait qu’on « oublie de parler de rentabilité ». Le distributeur de Wild Bunch avait, semble-t-il, mis de l’eau dans son vin, estimant que « la baisse des coûts est souhaitable pour accentuer la compétitivité et qu’il ne faut pas limiter le nombre de films qui sont faits ».
Marc Missonnier a, pour sa part, confirmé qu’il y avait « une polarisation plus forte aux deux extrêmes », entre blockbusters made in France et « films de la diversité » (sic). « La tranche des films intermédiaires est celle qui souffre le plus ; or, c’est celle qui fait la vitalité du secteur ».
Sidonie Dumas, représentant Gaumont, a permis à la salle de réagir pour la première fois avec des sifflets, lorsqu’elle a avancé que la société « produisait beaucoup de premiers films… »
Mêmes réactions mitigées suite aux propos de Nathalie Toulza-Madar qui n’a pas « l’impression de concentrer les investissements (de TF1). Sur les dix dernières années, nous avons fait 20 films par an sur des budgets d’investissement globaux constants ».
La remise en question de la chronologie des médias a également été reprise par Philippe Bony : « l’impact d’un film en prime time est de plus en plus ténu car les chaînes en clair sont de plus en plus en fin de chronologie, et ce d’autant plus que celles-ci se sont multipliées sur les dernières années ». Conséquence : « on va cibler des films à fort potentiel commercial qui, même après plusieurs passages sur d’autres écrans, feront encore recette sur le nôtre ». CQFD.

« Quels marchés et financements pour les films du milieu ? Comment favoriser l’accès des auteurs à un plus large public »

Intervenants : Manuel Alduy, (Canal+), Alain Attal (Les Productions du Trésor), Denis Freyd (Archipel), Daniel Goudineau (France 3 Cinéma), Serge Laroye (Orange) et Carole Scotta (Haut et Court).

En 2012, le CNC a constaté une stabilité des films à plus de 7 M€ ainsi que ceux dont le budget oscille entre 1 et 4 M€. Sur la tranche des 4/7 M€, l’année a enregistré un recul de 13 films.
Pour Carole Scotta, « une bonne partie du financement provient de l’étranger, en coproduction, car il est difficile de financer ces films dit du milieu ». France 3 Cinéma, représenté par Daniel Goudineau, s’est targué de ne produire que très peu de gros films. «On investit sur 61 films et, avec France 2, nos investissements touchent 1 film sur 3 en dessous du million d’euros ». Et de pointer une réalité : « c’est souvent dans cette catégorie de films que, en cas de succès, la rentabilité est la plus forte ». Il avance également l’idée de « faire circuler un film au sein du groupe France Télévisions, sur l’une ou l’autre des chaînes, en fonction de la meilleure fenêtre de diffusion », indépendamment, donc, de la source première du financement…
Denis Freyd évoque l’idée d’un débat sur l’exposition des films en salle, dont le nombre, croissant, ne permet pas (plus ?) de s’installer sur l’écran.
Face aux critiques des films à fort budget français, le représentant de Canal+ répond : « s’il n’y avait pas de blockbusters français, nous serions les otages des blockbusters américains. La bonne question à se poser est comment favoriser l’exposition des films ? Pour cela, il faut repenser leurs modes de diffusion ». Denis Freyd refuse d’avancer sur le sujet d’une nouvelle refonte de la chronologie des médias : « sans elle, c’est le système tout entier qui s’effondre ».
Pour Orange, les indicateurs seraient plutôt au vert : la diversité de leurs financements tient, dixit Serge Laroye, à la souplesse de la programmation et à l’absence de contraintes d’audience. « Le public est payant sur OCS et, par essence, cinéphile ». En outre, « le numérique permet de multiplier les points de passage ».

« Comment stimuler la vitalité du cinéma par la recherche et l’accompagnement de nouveaux talents ? Comment financer la prise de risques ? »

Intervenants : Djamel Bensalah (Miroir Magique Cinéma), Bénédicte Couvreur (Hold Up Films), Laurent Danielou (président Adef), Olivier Père (Arte Cinéma), Matthieu Poirot-Delpech (AFC) et Anne-Dominique Toussaint (Les Films des Tournelles).

Anne-Dominique Toussaint estime que « produire des premiers films n’est pas le plus difficile car tout cela est très encadré, avec des sources de financement pérennes ». 2 à 3 M€ sont, en moyenne, ce qu’investit Les films des Tournelles dans une première œuvre.
Mathieu-Poirot Delpech mise, pour répondre aux questionnements de la table ronde, sur la technique : « avant, il y avait une hiérarchie de l’image en fonction du support ; un film riche se faisait en 35 mm ou en Scope, versus un plus « pauvre » en Super8. Désormais, on se retrouve avec 3 ou 4 outils interchangeables et la qualité de l’image est très difficile à pointer ce qui, à mon sens, est une aubaine pour ces films du milieu ».

Aurélie Filippetti : un plan d’actions sur 6 mois

Arrivée tardivement à ces Assises, la ministre de la Culture a prévenu les professionnels des échos négatifs liés à la tribune de Vincent Maraval et leurs conséquences. « Il faudra être vigilant pour que les discussions ne soient pas instrumentalisées par d’autres qui n’aiment pas forcément le cinéma. »
La ministre propose :
– la mise à disposition d’un document pédagogique mettant en lumière le dispositif du CNC (déjà disponible sur le site ou à télécharger ici) ;
– la réforme de la fiscalité numérique, suite à la publication du rapport Colin/Collin pour des définir des assiettes fiscales autour de la taxation des données ;
– la mise en route d’une étude sur la rentabilité des œuvres « commanditée par le CNC avec une méthodologie concertée » ;
– de suivre, dès mars 2013, les conclusions de la mission Lescure pour l’Acte 2 de l’exception culturelle.
En outre, Aurélie Filippetti a demandé au secteur de mettre en place des outils d’auto-régulation et engagé le CNC à organiser un groupe de suivi afin de poursuivre « les réflexions engagées » ce jour.
Enfin, la ministre a officiellement annoncé la mise en place de nouvelles Assises d’ici à six mois.

Naïfs… comme une toile ?

Le sentiment qui a prédominé durant tout le temps de ces Assises a été la déception, tant du côté des producteurs que des diffuseurs et distributeurs sans parler des industries techniques, largement passées à la trappe… Il faut dire que les tables rondes n’étaient guère plus qu’une suite de propos, parfois intéressants, souvent pontifiants. Il convient d’ajouter que la modération était plus que limitée, voire totalement absente sauf pour éviter à la salle de prendre la parole.
Beaucoup énonçaient l’évidence : «la profession a cru qu’il sortirait quelque chose de ces Assises mais les vrais sujets ont été évités». Tout cela pour parvenir à la conclusion de la ministre qui lance des pistes « à chaud » alors que, visiblement, elles étaient parfaitement anticipées. Autant pour l’interactivité et le retour d’expériences…

Le mois de janvier s’annonce complexe pour le CNC et le ministère. Entre l’extension de la convention collective cinéma (mais laquelle ?) dont les quelques évocations ont fait grincer pas mal de dents et le brûlant dossier de la territorialité des aides à Bruxelles, il faudra savoir faire preuve d’habileté, de souplesse et d’un sens politique aigu.
Personne n’aime à se considérer comme naïf…