« Balle perdue » quand l’action rime avec film français et efficacité

Faire un film d’action avec un budget modeste ? Aligner les cascades impressionnantes avec un vrai scénario fouillé et riche ? Un pari osé qu’ont relevé Guillaume Pierret et Rémi Leautier, réalisateur et producteur, de Balle perdue, carton de l’été sur Netflix.
« Se lancer dans un film d’action n’est pas simple du tout en France ». © DR

Rencontre avec Rémi Leautier, le producteur heureux d’Inoxy Films, qui fait mentir l’adage qui cantonne le film français d’action au seul EuropaCorp.

 

Est-ce que Balle perdue était prévu pour être diffusé sur une plate-forme ou aviez-vous pensé à une sortie en salle ?

Rémi Leautier : Quand nous avons travaillé sur le scénario, nous ne nous sommes pas posés cette question. Nous voulions juste faire un bon film avec une bonne histoire. Nous avions pensé à quel public il pourrait plaire, mais pas où il serait diffusé. Je l’ai présenté à beaucoup de distributeurs comme un film, tout simplement. Mais se lancer dans un film d’action n’est pas simple du tout en France.

 

Qu’entendez-vous par là ?

R.L. : En France, le marché du film d’action est extrêmement rare. Je misais sur la qualité du projet. Nous avions pas mal de blocages dans notre équation. On nous a dit qu’un film d’action entraîne un gros budget pour être crédible. Ensuite, on a entendu que ce n’est pas un genre pour les Français, qu’il faut le laisser aux Américains qui le font si bien… Et surtout, c’était notre premier long-métrage. Nous savions que ce serait compliqué face aux distributeurs.

 

Et pourtant, vous avez déjà plusieurs courts-métrages d’action à votre actif…

R.L. : Le passage du court au long nécessite énormément de sacrifices : la confiance d’un distributeur ou d’un financier pour le réalisateur et le producteur passe par de nombreuses conditions, et ça se comprend. Les courts-métrages ont montré que nous étions capables de fabriquer des films d’action, mais on nous a répété que ce que nous avions fait en court, nous ne pourrions pas l’appliquer au long-métrage. Cette phrase a été récurrente… C’était assez crispant.

 

À quelle étape êtes-vous allés voir Netflix ?

R.L. : Nous avions un scénario, un casting, un budget et un producteur étranger (Versus Production). Cette association de plusieurs forces a rendu le projet crédible et les a rassurés. Côté budget, nous n’avons manqué de rien. J’ai eu des interlocuteurs d’un professionnalisme extrême et d’une grande clairvoyance. Ils ont posé les bonnes questions. C’était intéressant de travailler avec eux. Ils ont pris le risque car ils ont un public mondial.

 

C’était un pari gagnant pour Netflix : en juillet dernier, plus de 37 millions de visionnages avaient été enregistrés pour Balle perdue

R.L. : C’est un chiffre surréaliste pour nous, nous l’avons vécu comme une vraie success story. Nous avons fait un film qui nous plaît et c’est génial qu’il ait trouvé autant son public, notamment au Brésil et aux États-Unis où il a performé. C’est très gratifiant. Dans la manière de communiquer sur Balle perdue, Netflix a mis l’accent sur l’action, les crashs en voiture à la Fast & Furious. C’est pour nous un compliment, notamment pour les premiers opus. Je suis très client de cet univers.

 

Combien de temps le tournage a-t-il duré ?

R.L. : 38 jours dans la région de Sète. Nous avons tourné le film à l’envers pour des questions d’autorisation de tournage à Sète. De ce côté-là, cela n’a pas été simple car la ville était bloquée à cause de la construction d’un pont. Mais le maire nous connaissait car nous avions tourné Matriarche dans la ville, il y a une dizaine d’années. Nous nous sommes adaptés. Le fait de tourner à l’envers a rendu le tournage compliqué puisqu’il fallait que tout soit raccord, les blessures du personnage, des vêtements, l’état de voiture…

 

Côté cascade, c’était du one-shot, comment avez-vous travaillé ?

R.L. : Cela ajoute une pression sur les cascades. Certaines de nos scènes imaginées étaient inédites, même pour nos partenaires comme l’arraché en deux d’une voiture par une autre tout en roulant. Nous communiquions beaucoup et préparions tout, mais en fait, nous ne savions pas toujours ce qui allait en ressortir, même si les voitures étaient bien préparées et les cascadeurs extrêmement compétents. Il fallait que nous soyons tous concentrés. Nous avons énormément préparé, répété en amont et tout vérifié plusieurs fois. Ensuite quand le dispositif caméra était prêt, c’était parti. Nous avons travaillé avec l’équipe de Georges Demetrau de SFX Evolution, Jean-Claude Lagniez de Cinécascade et Manu Lanzi pour tout ce qui est cascade physique.

 

Comment avez-vous monté votre équipe ?

R.L. : J’ai créé Inoxy Films avec Guillaume Pierret en 2012, et pendant que je présentais le projet, j’ai rencontré Mathieu Ageron, Maxime Delaunay et Romain Rousseau de Nolita. Ils ne font pas du tout le même type de cinéma que nous, mais nous partageons les mêmes valeurs humaines. Nous avons assumé la production exécutive ensemble, Versus étant délégué. J’avais mon « savoir-faire » sur comment fabriquer des scènes d’action à moindre échelle et nous sommes allés chercher des professionnels qui avaient la même vision. La rencontre avec Jean-Claude Lagniez a été un vrai coup de cœur. Il a une carrière impressionnante avec de grands films comme Ronin. Et j’ai été ravi qu’il accepte de rejoindre notre équipe.

 

Combien de temps le montage a-t-il duré ?

R.L. : Plusieurs mois, mais Guillaume est très attaché aux scènes d’action. Il les montait en parallèle de la monteuse Sophie Fourdrinoy, main dans la main. Ensuite, nous avons fait la postproduction chez BoxSons et Manneken Pix en Belgique, Versus Production assurant la supervision. Cela a été un plaisir de travailler avec eux. En termes de SFX, il y a eu juste du nettoyage : tout le reste est réalisé en réel. Nous avons fait du Belmondo ! Nous sommes très attachés à la réalité, on sent quand on triche avec le numérique au cinéma dans les cascades. En tant que spectateur, on ressent quand une cascade n’est pas réelle et c’est plus excitant à fabriquer. L’énergie de notre film se sent par la tôle froissée.

 

Qu’est-ce qui vous a paru le plus compliqué dans ce projet ?

R.L. : Le processus de financement : arriver à convaincre de faire un film d’action, avec un budget modeste et des acteurs français a été le plus dur. Une fois que nous étions lancés, c’était parti. Nous avons mis en tout et pour tout quatre ans. Quand on décide de faire du cinéma, il faut être patient. D’ailleurs nous n’avons eu aucune aide, le film d’action n’entre dans aucune case du CNC (même si ça commence à changer avec l’aide au film de genre). Le projet était « frais », les agents et les comédiens, l’équipe, les techniciens ont vraiment joué le jeu.

 

Vous avez trouvé un partenaire pour les voitures ?

R.L. : Nous avons fait le tour des casses. La Renault 21 est une voiture de collection, on en a utilisé quatre. Il y a un partenariat avec Renault Sport, pour la Mégane RS, grâce à une chouette rencontre. Nous avions emmené Alban Lenoir et Stefi Celma s’entraîner sur un circuit et Renault Sport faisait les essais de la Megane RS. Les deux générations de voiture, R21 et Mégane, grand-mère et petite fille, se sont partagées le circuit. C’était un beau symbole. Nos personnages ne sont pas non plus des gens ordinaires, ils sont un peu à la John Mc Caine dans Die Hard 3.

 

Quels sont vos nouveaux projets ?

R.L. : La volonté d’Inoxy Films est de faire des films d’action populaires de qualité. Je travaille sur un autre projet avec Alban Lenoir et nous réfléchissons à une suite de Balle perdue.

 

 

EN BREF

Disponibilité : Netflix depuis le 19 juin 2020

Réalisateur : Guillaume Pierret

Production exécutive : Inoxy Films & Nolita TV

Production déléguée : Versus Films

Soutien : Tax-shelter

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #5, p.68/70. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.