Restauration loin de couler de source…
Le négatif original nitrate image a été scanné par immersion et le négatif son a été restauré en respectant le système encore imparfait de post synchronisation de 1930. Une copie de projection d’époque a également servi de référence pour l’étalonnage. Les défauts inhérents au tournage et à la post-production ont été volontairement conservés. Certains plans en décomposition ont été remplacés par un intermédiaire de sécurité datant de la restauration argentique de 1993, menée par le Centre Pompidou. De même, les éléments de sauvegarde ont permis de compléter les bobines manquantes de la piste sonore.
« Pour mener à bien la restauration, c’est en grande partie le négatif image original nitrate qui a été utilisé. Cependant, certains plans issus de cet élément en état de décomposition étant inexploitables, c’est grâce à la restauration argentique de 1993, menée par le Centre Pompidou avec le soutien de la Fondation Gan pour le Cinéma, qu’ils ont pu être retrouvés et remplacés sur la version restaurée.
La restauration de la piste sonore à densité variable – enregistrée à l’époque aux studios Films Sonores Tobis Paris, installés aux laboratoires Éclair -, a été menée par le studio L.E. Diapason. Celui-ci a numérisé le négatif son d’origine incomplet et des éléments de sauvegarde, mais a aussi pris pour référence une copie nitrate originale, afin de reproduire les tonalités et le synchronisme souvent imparfaits.
Les deux institutions ont souhaité restaurer le film en respectant le format d’origine sonore, 1,20 – tout en conservant les défauts inhérents au tournage. Il s’agit en effet d’une production indépendante où se retrouvent des erreurs de manipulation qui n’ont volontairement pas été corrigées : flairs, voiles, effluves de développement, poils et rayures caméras, moments surexposés. La visibilité de ces défauts sur la version restaurée correspond au contexte de production, et reflète l’expérimentation ainsi que l’économie du tournage. Certains plans issus de stock-shots sont de fait plus granuleux et rayés, comparés à la beauté de certaines séquences tournées. Cette restauration a été rendue possible grâce au mécénat de Pathé et de la Maison de Champagne Piper-Heidsieck. », explique Hervé Pichard, responsable des acquisitions et chef de projet des restaurations de films à La Cinémathèque française.
Genèse de l’âge d’or et tournage
Les prises de vues de L’Âge d’or, qui sa été l’un des premiers films sonores français, ont eu lieu aux studios de Billancourt, et pour les séquences extérieures, en Espagne et dans les environs de Paris. Derrière la caméra, Buñuel place son chef opérateur Albert Duverger. Pour les rôles principaux, il choisit une jeune actrice allemande inconnue, qui interprète le personnage subversif de la Femme, et Gaston Modot, acteur charismatique déjà reconnu, révélé notamment par Fièvre de Louis Delluc (1921), qui incarne son amant.
Certains des amis artistes de Buñuel apparaissent au générique, comme Max Ernst (le chef des brigands), Pierre Prévert (le brigand malade), le céramiste catalan Joseph Llorens Artigas (le gouverneur), ou encore la peintre Valentine Hugo, proche du mouvement surréaliste.
Une petite anecdocte, exquise et délicieuse !
Conforté par le couple Noailles qui juge le film « exquis et délicieux », Buñuel organise une projection privée. Mais l’aristocratie présente n’apprécie guère, Charles de Noailles est renvoyé du Jockey-club. Pire, sa mère doit intervenir auprès du Pape pour lui éviter l’excommunication.
L’Âge d’or sort en salles le 28 novembre 1930, au Studio 28 à Paris, et provoque immédiatement le scandale. Le 3 décembre 1930, les Jeunesses Catholiques, associées à des représentants de la Ligue des Patriotes et de la Ligue Antijuive, jettent de l’encre sur l’écran, saccagent le mobilier et ruinent l’exposition de peinture surréaliste attenante. La presse de droite n’est pas en reste et fustige farouchement le film. Pour maintenir l’ordre public, la préfecture de police décide de condamner le directeur du cinéma, Jean-Placide Mauclaire, et interdit toute projection du film, dont les copies sont saisies le 11 décembre.
L’Âge d’or restera invisible en France jusqu’en 1981.
Bien plus tard, en 1965, Luis Buñuel justifiera sa démarche créative, initiée avec ce film : « Ce que je prétends faire par les films, c’est inquiéter, violenter les règles d’un conformisme qui veut faire croire aux gens qu’ils vivent dans le meilleur des mondes possibles. » (Interview par Manuel Michel, in Nuestro Cine n°40).
Deux autres chantiers à venir
La Cinémathèque française restaure actuellement deux autres films de Luis Buñuel, Un chien andalou et Terre sans pain, des premières œuvres influencées par le mouvement surréaliste, l’écriture automatique et l’interprétation des rêves. La Cinémathèque française a déjà restauré Belle de jour en collaboration avec Studio Canal en 2017 (présenté la même année à Cannes Classics). La restauration d’Un chien andalou sera menée en collaboration avec Les Grands Films Classiques et La Filmoteca Española, et celle de Terre sans pain avec Les Films de la Pléiade. Les éléments argentiques de ces deux films sont particulièrement fragiles et se dégradent irrémédiablement. Il est donc essentiel de préserver les premières œuvres de Buñuel, artiste majeur de l’histoire du cinéma, dans la continuité du travail déjà entrepris….
Avec les contributions de Céline Ruivo (La Cinémathèque française), Isabelle Daire, Alice Moscoso et Alexis Constantin (MNAM)