Choisir ses objectifs pour sa caméra

Que vous filmiez avec un hybride, un DSLR ou une caméra, il vous faudra un objectif. Voici un panorama des possibilités qui sont offertes. De 50 à 80 000 € les choix sont parfois difficiles.
La Canon C500 MKII avec le Prime SUMIRE 24mm t:1.5 © DR

Au-delà du choix de la focale qui peut varier en fonction de vos projets et de vos domaines de prédilection, il y a une offre gigantesque sur le marché.

Au début du numérique, les appareils photo et les caméras video ne partageaient pas du tout les mêmes objectifs. Les capteurs des appareils n’étaient pas de la même taille que ceux des appareils photos, souvent beaucoup plus petits.

Il aura fallu attendre l’arrivée des caméras dites grands capteurs avec la Red One en 2007 et ensuite fin 2008 avec la révolution du Canon 5D MKII pour que la donne soit complètement bouleversée.

Les capteurs des caméras vidéo étaient minuscules, ils sont devenus grands, on parle depuis quelque temps de « plein format » de « full frame » et même de vista vision, de moyen format, etc.

Dire que le 24 x 36 est un plein format est certainement une erreur de langage, mais il est clair qu’un grand capteur change beaucoup de choses dans le rendu global de l’image qui devient plus cinématographique ; et du coup le choix des objectifs peut devenir plus délicat.

 

Du temps du 2/3 de pouce on disposait d’un choix de zooms Angénieux, Fujinon ou Canon. Au début des années 2000 on a vu des focales fixes apparaître, mais c’était très exceptionnel.

Quelques rares aventuriers téméraires s’amusaient à adapter des objectifs Super 16 sur ces caméras et d’autres, dont j’ai fait partie, se sont fait quelques frayeurs à utiliser des kits Super 35 et Mini 35, sorte de dépoli vibrant permettant de monter des objectifs photo 24 x 36 sur ces caméras au rendu trop « vidéo ».

Historiquement l’esthétique globale de l’image, pour qu’elle ait un rendu cinématographique, passe énormément par l’optique ; le rôle du capteur est important, mais c’est l’objectif qui donne le rendu principal de l’image.

 

Quelles sont les différences entre les objectifs photo et les objectifs cinéma ?

La première grosse différence c’est le prix ; si on trouve des objectifs photo de bonne qualité pour quelques dizaines d’euros ce n’est pas le cas des objectifs cinéma.

La deuxième différence réside dans la fabrication, la partie mécanique principalement et l’absence totale d’automatisme et de moteurs intégrés pour faire bouger les lamelles du diaphragme, les bagues de mise au point et de zooming.

Concernant la partie verre, il y a souvent peu de différence, si ce n’est que certains fabricants d’objectifs cinéma peuvent apporter un soin différent pour gérer le traitement de surface des lentilles de leurs objectifs.

Les bagues de diaphragme, zooming et celle dédiée à la mise au point sont équipées de crémaillères qui permettent l’utilisation d’accessoires appelés « follow focus ». Comme dans beaucoup de cas dans nos métiers, le vocabulaire reste très anglophone, « suiveur de point » c’est vrai que cela ne sonne pas super joli !?

Une autre particularité, c’est la course disponible sur la bague de mise au point ; les plus réputés des objectifs cinéma vont jusqu’à 360 °, ce qui permet d’avoir plus de précision et de fluidité lors des changements de mise au point appelés aussi « bascule de mise au point ».

Une autre particularité, c’est qu’au cinéma il n’y a pas de « crantage » sur la bague de diaphragme. Le but étant de proposer des réglages beaucoup plus fins entre les différentes valeurs d’ouverture et aussi de permettre une certaine fluidité en cas de variation de celui-ci pendant une prise.

 

Le choix de la monture

L’autre particularité c’est la monture ; si en photo chaque constructeur ou presque a sa propre monture, en cinéma il existe une monture standard appelée « monture PL » créée par Arri dans les années 80, PL étant l’acronyme de Positive Lock. Héritée du cinéma argentique, c’est une monture qui a été adoptée par la plupart des constructeurs de caméras cinéma numérique comme Red, Sony, Panasonic, Panavision, Canon, etc. C’est une monture qui assure une rigidité et une robustesse de la fixation des objectifs sur la caméra via un système de bague rotative qui vient en sécuriser le montage.

Canon est devenu au fil du temps le plus gros vendeur d’objectifs ; la popularité de la monture Canon EF est devenue telle que la plupart des caméras cinéma numériques sont aussi disponibles en monture EF. Certaines montures comme les Nikon F et plus récemment Sony E sont devenues aussi des standards et de plus en plus de caméras ont des montures interchangeables, ce qui permet notamment de choisir entre PL et EF la plupart du temps.

L’autre différence fondamentale entre les objectifs photo et cinéma c’est que lorsque vous tournez la bague de mise au point sur une optique photo, la plupart du temps l’ouverture de champ varie un peu. Ce qui n’est pas le cas sur les objectifs cinéma « pro ».

Un zoom cinéma va aussi conserver la mise au point quand on jouera avec la variation de la focale.

 

Un peu de technique : l’importance du tirage optique, les bagues adaptatrices

L’arrivée des hybrides a bouleversé la donne ; le fait d’avoir retiré le miroir des appareils photo et ainsi de rendre possible l’enregistrement de vidéos avec des boîtiers a fait évoluer la pratique.

Le tirage optique (distance qui sépare l’arrière de l’objectif avec le capteur) a ainsi pu être réduit.

Les premiers hybrides de chez Panasonic Lumix, avec leur monture Micro 4/3, proposaient donc un tirage optique de 20 mm là où la monture Canon EF d’un 5D MKII avait un tirage de 44 mm.

Le principe est simple : plus le tirage optique d’une monture est faible plus on va pouvoir adapter d’objectifs conçus pour être montés sur un appareil photo ou une caméra dotée d’un tirage optique plus fort.

Nikon avec sa monture Z arrivée sur les Z6 et Z7 propose le tirage optique le plus court du marché avec 16 mm.

Afin d’avoir une idée plus précise, voici un petit récapitulatif de ce que les anglophones appellent « flange focal distance ».

Nikon F : 46,5 mm
Arri PL : 44 mm
Canon EF : 44 mm
Leica M : 27,8 mm
Leica L : 20 mm
Micro 4/3 : 20 mm
Canon RF : 20 mm
Sony E : 18 mm
Fuji X : 17,7 mm
Nikon Z : 16 mm

 

Ce qu’il faut comprendre, c’est que vous allez pouvoir monter à peu près n’importe quelle optique avec une bague adaptatrice pour peu que l’objectif que vous avez choisi ait un tirage optique supérieur à celui de la monture de votre caméra ou de votre appareil photo hybride.

Il existe des bagues 100 % mécaniques et d’autres qui permettent de transmettre le pilotage électronique du diaphragme ou de l’autofocus. C’est le cas par exemple de la bague MC21 de chez Sigma qui permet de monter n’importe quelle optique Canon EF sur un boîtier photo vidéo comme les Lumix S1/S1R et S1H par exemple.

Il existe aussi des bagues PL pour la plupart de ces boîtiers, ce qui vous permettra de monter des « cailloux » PL sur un Nikon en monture Z ou un boîtier hybride ou une caméra équipée de monture Sony E.

Certaines bagues peuvent aussi être dotées d’une lentille de réduction de focale appelée aussi « speedbooster ». Le principe est simple : une lentille vient rectifier le « crop factor » pour permettre par exemple à un 50 mm de couvrir le même angle de champ sur un capteur Micro 4/3 que sur un capteur 24 x 36, ce qui a aussi la particularité de « booster » la luminosité qui entre sur le capteur.

Les deux principaux fabricants qui se partagent ce marché sont Metabones et Vitrox.

Le choix de la bague adaptatrice peut être très compliqué ; il existe des centaines de fabricants plus ou moins sérieux. Le meilleur, selon moi, c’est Novoflex. Le fabricant allemand produit des adaptateurs d’une qualité exceptionnelle et comme de nombreux produits « deutsche kalitat » c’est aussi beaucoup plus cher, mais c’est la garantie de la pérennité de votre investissement. Le nombre de fabricants proposant des bagues ayant du jeu ou une fixation de vos objectifs peu rassurante est quand même moindre qu’il y a quelques années, mais je déconseille les bagues à cinq euros !

L’avantage principal est de pouvoir monter des objectifs photo vintage sur des caméras modernes pour casser ainsi la précision quasi chirurgicale des capteurs des caméras modernes et donner un petit look sympathique à vos images.

 

Petit panorama non exhaustif des objectifs photo et vidéo/cinéma qui ont retenu mon attention

Les fabricants d’objectifs cinéma les plus connus sont sans aucun doute Zeiss, Cooke ou encore Leica, mais il ne faut pas oublier les marques comme Hawk ou encore Fujinon, Angénieux ou Panavision.

Angénieux ne fabriquait que des zooms jusqu’à présent, et ils viennent d’annoncer une série de « primes » ; c’est ainsi que l’on appelle les objectifs super chics du cinéma. Allant de 18 à 200 mm, ces objectifs ont un prix assez conséquent puisqu’un seul d’entre eux coûte a minima 23 000 $.

Les objectifs cinéma sont souvent très chers, mais ce sont aussi des outils de création faits pour durer, à tel point que certains objectifs sont devenus collectors et coûtent aujourd’hui quasiment le même prix d’occasion qu’à leur sortie, il y a cinquante ans !

Panavision est un fabricant assez particulier, car il ne vend pas son matériel, conçu uniquement pour la location dans des agences situées dans tous les pays du monde.

En ce qui concerne les boîtiers hybrides et les DSLR, si pour le commun des mortels une caméra Canon doit avoir un objectif Canon il est bon de se rappeler que les fabricants tiers comme Tamron, Sigma, Tokina ou Samyang, pour ne citer qu’eux, proposent des alternatives souvent moins chères et parfois plus qualitatives que les grands opticiens les plus connus.

Bien entendu il faudra choisir entre les zooms ou les focales fixes. Si pendant des années les puristes ont préféré les focales fixes, il faut noter que la plupart des zooms cinéma de chez Fujifilm, Angénieux ou Canon, pour ne citer qu’eux, sont bien souvent d’une excellente qualité.

Certains constructeurs comme Angénieux proposent même des zooms anamorphiques. Les derniers zooms Premista de chez Fujifilm sont capables de couvrir les capteurs des caméras full frame avec une magnifique qualité optique.

Sur un plateau de tournage, un zoom c’est aussi un gain de temps quand il faut monter et démonter un objectif, surtout s’il est équipé d’un pare-soleil, d’un porte filtre et de plusieurs moteurs pour le diaphragme ou la mise au point ! Vous pouvez utiliser un zoom non pas pour zoomer, mais pour avoir une infinité de focales différentes sans changer d’objectif.

Certains fabricants comme Sigma se sont laissé surprendre au début des hybrides par le succès de leur 18/35 mm f:1,8 qui, bien que dédié aux capteurs APS-C, ont fait un tabac auprès des vidéastes. Le couple GH5 + 18/35 mm f:1,8 Sigma Art avec un speedbooster a équipé un grand nombre de vidéastes à tel point que c’est devenu une référence en termes de rendu d’image. Je ne sais pas si c’est ce qui a donné l’idée à Sigma de décliner sa gamme d’objectifs en version cinéma, mais ils sont aujourd’hui un des fabricants à suivre dans le domaine proposant des gammes au rapport qualité prix insolent dans les deux mondes, en photo comme en vidéo/cinéma. Ainsi, ce 18/35 mm f1,8 est décliné en version cinéma, disponible en monture PL.

Tokina a lancé aussi sa gamme d’objectifs cinéma très intéressants. Et c’est un des premiers constructeurs à avoir misé sur les capteurs dits « full frame » avec sa gamme Vista vision.

Le constructeur coréen Samyang a commencé à modifier ses objectifs photo en leur rajoutant des crémaillères pour les rendre plus utilisables en vidéo avant de créer une nouvelle division appelée Xeen qui fabrique des objectifs cinéma de très belle facture à des prix très concurrentiels.

Bien avant cela, certaines sociétés proposent depuis longtemps de re-carrosser des objectifs photo légendaires de chez Zeiss ou Leica notamment, en version cinéma. Le principe est simple : on récupère les lentilles sur des objectifs d’occasion ou même sur des neufs pour les monter dans de nouveaux fûts et les transformer ainsi en objectifs ciné.

Tamron est pour moi un des constructeurs à suivre, même si pendant des années la marque proposait des objectifs « sympas mais pas chers » pour ceux qui n’avaient pas les moyens de s’acheter des objectifs de marque. Le constructeur propose des choix intéressants avec des plages de focales souvent originales et très pertinentes, en monture Sony E principalement. Il faut noter au passage que Sony détient une partie du capital de Tamron et qu’il n’est pas impossible que ce soit Tamron qui fabrique une partie des objectifs signés Sony. C’est un fabricant qui a toujours fabriqué pour les autres marques.

Nikon a une démarche très intéressante avec sa monture Z. La société propose non seulement la monture ayant le plus faible tirage optique, mais aussi le plus grand diamètre, ce qui permet d’avoir un chemin de lumière complètement revisité et beaucoup d’innovation. S’ils n’ont pas de gamme cinéma à proprement parler, leurs objectifs ont souvent été utilisés pour leur qualité, leur contraste et leur colorimétrie dans le cinéma via des adaptations. La société Duclos, basée en Californie, s’est spécialisée dans la conception d’objectifs cinéma en re-carrossant les optiques photo. À noter que les objectifs Nikon Z ont des bagues de réglages sur lesquels on peut programmer la fonction. Ainsi si vous faites confiance à l’excellent autofocus, il est possible d’affecter la bague manuelle à l’ouverture du diaphragme par exemple.

 

Canon a fabriqué à plusieurs reprises des objectifs cinéma dans son histoire et les optiques photos série L en monture EF sont devenues une référence, mais ils ont sorti aussi des objectifs purement orientés cinéma avec récemment les Sumiré qui sont des objectifs sur lesquels ils ont apporté un soin particulier au traitement des lentilles pour donner un rendu ni trop moderne ni trop vintage. Dotés de 11 lamelles sur leur diaphragme, ils promettent des bokeh très doux et un rendu d’image qui a vraiment retenu mon attention.

 

Depuis quelque temps les constructeurs proposant de vraies alternatives débarquent avec des propositions aussi intéressantes. Venus Optics, avec sa gamme Laowa par exemple, s’est fait une spécialité avec ses objectifs ultra grand angle zéro distorsion, ainsi que des objectifs macro surprenants, comme le 24 mm f:14 Macro Probe qui permet des grossissements x2, disponible en monture Canon EF, Nikon F, Sony FE, Pentax K ou encore Arri PL.

 

Les spécificités des objectifs anamorphiques

L’anamorphique kézako ?! C’est un procédé d’anamorphose créé dans les années 70 pour proposer des films en ratio d’image 2/35 appelé aussi CinémaScope, qui permet d’enregistrer une image dont la largeur est compressée optiquement parlant pour être ensuite décompressée à la projection par le biais d’un jeu d’optiques spécial provoquant une anamorphose.

Ce procédé est redevenu à la mode car il procure un rendu d’image qui est encore plus identifié comme étant « cinématographique » que lorsque l’on utilise ces cousins en verre dits sphériques.

Le roi de l’anamorphique au cinéma ces dernières années c’est JJ Abrams qui abuse des effets de Flare (effet visuel de l’objectif qui montre la décomposition des lentilles d’un objectif quand on photographie une lumière violente directement dans l’objectif). Pour reconnaître si un film a été tourné en anamorphique, vous pouvez vous baser sur le fait que les points lumineux dans le bokeh sont ovales au lieux d’être ronds. Jusqu’à présent de nombreux bidouilleurs de génie s’emparaient des bonettes anamorphiques destinées à la projection en salle et les utilisaient avec des adaptateurs pour les monter sur des objectifs photo. Même si le résultat était plutôt réussi et plutôt efficace au niveau esthétique, il n’en était pas forcément de même au niveau de l’ergonomie et de la précision de la mise au point, rendue très compliquée.

 

Les fabricants d’objectifs cinéma proposent de plus en plus d’objectifs anamorphiques qui, jusqu’à présent, coûtaient très cher. Arri et Zeiss, Cooke mais aussi Hawk ou Angénieux ont des optiques anamorphiques à leur catalogue. Depuis quelques années il existe des alternatives plus accessibles avec des constructeurs comme DSLR Magic ou plus récemment les Orion de chez Atlas Lens Co. C’est le premier constructeur à proposer une vraie alternative qualitative aux constructeurs historiques. Un fabricant propose une alternative low cost avec le Sirui 50 mm f:1,8 Anamorphic qui est loin d’être ridicule et permet d’avoir des images plutôt réussies, mais qui sont loin de pouvoir rivaliser avec les ténors du genre.

 

En conclusion

J’ai envie de vous dire que si vous voulez faire un investissement pérenne, ce n’est pas dans une caméra qu’il faut miser mais plutôt sur une série d’objectifs. L’offre est variée et s’il vous prend l’envie de changer de caméra tous les deux ans (voire moins) les objectifs ont une durée de vie beaucoup plus longue et peuvent même se bonifier avec le temps.

Quand j’ai commencé à miser sur les petits hybrides Lumix, j’ai commencé à chiner de vieilles optiques photo Leica R et Super Takumar Pentax, entre autres, achetés pour une poignée de cerises dans les vides-greniers ou sur eBay ; j’ai ainsi constitué un kit qui, via des bagues adaptatrices, me ravissent encore tous les jours pour mes petites productions. Le reste du temps, je préfère louer des sets d’objectifs complets en fonction du rendu d’image que je souhaite donner à mes films.

 

Article paru pour la première fois dans Moovee #4, p.64/69. Abonnez-vous à Moovee (6 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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