La SVOD est en train de bouleverser à la fois nos habitudes de consommation des programmes audiovisuels, mais aussi l’organisation du marché lui-même. De la salle à la télévision en clair, les plates-formes de SVOD remettent en question la hiérarchie des exploitations. En moins de cinq ans, la SVOD est donc devenue la principale concurrente de la salle de cinéma et des chaînes de télévision, payantes et gratuites.
Un succès et une notoriété qui déplaisent aux acteurs traditionnels comme TF1 qui, par la voix de son secrétaire général, Jean-Michel Counillon, a déclaré lors d’une journée d’étude consacrée à la chronologie des médias au Sénat le 12 juillet dernier : « Tous les autres acteurs (du marché de la SVOD, ndlr), Netflix, Amazon, par exemple, ne sont pas vertueux. Il n’y a aucune raison de faire bouger la chronologie pour ces gens, qui ne sont même pas établis sur le territoire français. La fenêtre à 36 mois nous protège contre ces acteurs, que j’appelle des pirates. »
Recette miracle ou ficelles de la TV à la sauce digitale ?
Quel est le secret de la SVOD pour séduire aussi vite et aussi rapidement des centaines de millions d’internautes dans le monde ? La vidéo à la demande par abonnement s’appuie sur six atouts majeurs pour se développer :
• son offre tarifaire de base est le plus souvent inférieure à 9 euros (9 dollars aux États-Unis) ;
• elle est principalement disponible en OTT (over the top), c’est-à-dire directement sur Internet, indépendante des fournisseurs d’accès à Internet ;
• elle cible des catégories de programmes bien identifiés : les séries, la jeunesse, l’humour et le cinéma;
• elle privilégie de plus en plus des programmes exclusifs pour fidéliser ses abonnés ;
• elle s’intègre très facilement dans des bundles (Amazon, SFR Play) ;
• elle vise majoritairement le public des Millennials, c’est-à-dire les jeunes âgés de 18 à 35 ans, qui sont les meilleurs ambassadeurs de la SVOD.
Des atouts qui s’appuient à la fois sur les points forts de la télévision – genres et exclusivités – et sur la dynamique de la révolution numérique : OTT, multiécrans, mobilité. C’est grâce à cette alchimie, que de nombreux spécialistes assimilent tout simplement à une nouvelle forme de télévision, que la SVOD rencontre un tel succès partout dans le monde.
Deux plates-formes pour disrupter le marché
Avec la SVOD, l’internaute devient le patron de la diffusion, de sa propre programmation, au moment de son choix et sur son terminal préféré. Avec des conséquences très variables en fonction du pays dans lequel il se trouve ; mais la tendance de fond est là : selon le cabinet d’études Digital TV Research le portefeuille d’abonnés de Netflix va augmenter de 44 % d’ici 2022, passant de 89 millions fin 2016 à 128 millions en 2022. Avec, au passage, un changement radical du leadership : les abonnés internationaux sont plus nombreux que les abonnés américains dès 2017. Les États-Unis et l’Europe de l’Ouest totaliseront 72 % des abonnés à Netflix en 2022, contre 81 % en 2016. La zone Asie Pacifique triplera de volume à plus de 10 millions d’abonnés. Les 130 nouveaux pays ouverts en janvier 2016 totaliseront 14 millions d’abonnés en 2022.
Aux côtés de Netflix, une autre plate-forme de SVOD est partie à la conquête des internautes du monde entier, c’est Amazon. Avec un modèle qui s’appuie sur une offre bundle : chaque abonné au programme « Prime » accède à l’offre de SVOD « Prime Video » après avoir payé 99 $ aux États-Unis et 49 € en France. Et ça paye, puisque Amazon Prime revendique 85 millions d’abonnés aux États-Unis et plus de deux millions en France.
Repli historique des câblo-opérateurs américains
À la fin du premier trimestre 2017, les six principales sociétés du câble américaines (Comcast, Charter, Altice, Mediacom, Suddenlink et Cox) avaient 48,6 millions d’abonnés. Une année 2017 compliquée puisqu’elles ont perdu 115 000 abonnés, alors qu’elles en avaient gagné 50 000 en 2016. Netflix comptabilise donc plus d’abonnés à son offre que tous les acteurs du câble réunis. Mieux, Netflix et ses 50 millions d’abonnés américains fait mieux que HBO qui en comptabilisait 49 millions à fin 2016 via ses accords de distribution et un tout petit deux millions pour son offre OTT HBO Now.
Grâce à son positionnement de prix particulièrement agressif (entre 8 et 12 dollars) face aux bouquets des chaînes payantes, proposés par les câblo-opérateurs (souvent supérieurs à 100 dollars), Netflix a su attirer une clientèle jeune et adepte des écrans plus petits que l’écran de TV, mais surtout plus mobile. Il n’en fallait pas plus pour bouleverser le rapport de force.
Et comme Netflix a bien compris que la bataille ne se jouait pas que sur le prix et la distribution, la firme de Los Gatos s’est lancée dans un programme d’investissement dans les contenus particulièrement ambitieux : avec 6 milliards de dollars dépensés dans les achats et la production de films et de séries, Netflix se positionne de manière très autoritaire comme la meilleure première fenêtre payante pour les internautes américains face à des chaînes qui voient leurs portefeuilles d’abonnés croître nettement moins vite, comme HBO ou Starz.
Le cinéma craint la concurrence de Netflix
En Grande-Bretagne, c’est PWC qui publie ses projections de recettes pour les médias à l’horizon 2021. Et là, bis repetita, la SVOD vient gâcher la fête de l’audiovisuel. C’est le cinéma, cette fois-ci, qui est rattrapé par le marché VOD et SVOD. Selon PWC, en 2021, le marché de la VOD pèsera 1,4 milliard de livres, à égalité avec le marché du cinéma, mais avec une différence majeure : quand le marché de la VOD et de la SVOD progresse de 10 %, celui du cinéma doit se contenter d’un maigre 2 % et celui de la télévision et du DVD demeure tout juste stable à 9,5 milliards de livres.
De quoi alarmer les producteurs et les exploitants qui craignent plus que jamais la concurrence de Netflix qui dispose de deux armes pour détourner les spectateurs des salles obscures :
• court-circuiter la salle avec ses propres productions, afin d’offrir une fenêtre exclusive à ses films : ce fut le cas de Okja, présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2017, mais aussi du film avec Brad Pitt, War Machine, et dès le 22 décembre 2017 avec le film Bright mettant en scène Will Smith, un film à plus de 90 millions de dollars ;
• généraliser les sorties simultanées qu’on appelle « Day and Date », en signant des accords de distribution de ses films avec quelques salles afin d’offrir au public des conditions de projection optimales. Un dispositif inapplicable en France, où toute sortie salle d’un film entraîne l’application de la chronologie des médias et l’entrée en vigueur du délai de 36 mois applicable à la SVOD.
Lors de son audition au Sénat, Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), a réaffirmé la volonté de sa profession de ne pas laisser le Day & Date gagner du terrain en France : « Aujourd’hui, le Day and Date est un faux débat. Il faut laisser sa fenêtre d’exclusivité à la salle de cinéma qui, présente sur tout le territoire, joue un rôle social et culturel de proximité. »
La promotion, arme de conquête massive
Pour se développer aussi vite et bousculer le cinéma et la télévision, les leaders de la SVOD ont utilisé une arme redoutable : la publicité. En 2016, Netflix a dépensé plus de 600 millions de dollars en marketing dans le monde entier. Au premier semestre 2017, Netflix a encore accéléré ses dépenses publicitaires en les augmentant de 24 % à 317 millions de dollars.
Enfin, pour la sortie de son film War Machine en France, Netflix a dépensé plus d’un million d’euros, avec une campagne répartie entre les salles de cinéma et la publicité sur Internet, dont la stratégie consiste à aller chercher les cinéphiles dans les salles, inonder les écrans de pub TV de campagnes mêlant usages et programmes phares là où le cinéma est interdit de parole, et saturer Internet avec des campagnes massives sur les sites leaders et les réseaux sociaux.
La SVOD, star chez les jeunes
Dernier point et non des moindres, la SVOD a un réseau d’ambassadeurs très influents : les Millennials. La société d’études américaine TDG a réalisé une enquête qui révèle parfaitement cette évolution du marché à travers une question posée à 2 015 internautes adultes américains abonnés à une offre payante : « Si vous étiez contraints de choisir entre votre offre de télévision payante et votre service de SVOD, lequel choisiriez-vous ? »
L’étude indique que la clé de l’arbitrage se fait selon le critère de l’âge, même si au global 57 % des abonnés aux deux services opteraient pour leur service de Pay TV, tandis que 43 % choisiraient un service de SVOD comme Netflix, Hulu ou Amazon. Quelque 65,4 % des jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans opteraient pour la SVOD ; 53,7 % des 25/34 ans feraient le même choix. Mais avec l’augmentation de l’âge, la tendance s’inverse : 72 % des 55/65 ans préfèrent la télévision payante à la SVOD. Il est donc logique que les plates-formes mettent en ligne des séries destinées à ce public, alors que les chaînes traditionnelles continuent de viser les plus de 35 ans.
La télévision en danger ?
Le succès de la SVOD, le phénomène de « cord-cutting » (le désabonnement aux offres TV du câble) observé aux États-Unis, les discussions passionnées autour de la chronologie des médias en France, laissent à penser que la télévision est en danger de mort. Non, elle est juste challengée, principalement sur les cibles les plus jeunes.
Une récente étude du cabinet Enders Analysis et publiée par le Financial Times rappelle que la télévision est de loin le média le plus regardé au Royaume-Uni : 72 % chez les plus de 4 ans et 56 % chez les 16-34 ans. Les services de SVOD arrivent loin derrière, avec 5 % de part de consommation de vidéo sur l’ensemble de la population de plus de 4 ans et 12 % chez les 16-34 ans.
La télévision classique tient bon pour le moment, mais les investissements réalisés par Netflix et Amazon sont en train de bouleverser les rapports de force. À coups de milliards de dollars et d’exclusivités, aussi bien pour les séries que pour le cinéma, Netflix et Amazon gagnent du terrain régulièrement. Et comme les géants du « on demand » maîtrisent plutôt bien leur communication sur les réseaux sociaux, ils accentuent leur avance sur leurs concurrents directs, encore à la recherche de la formule magique.
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #23, p.78-79. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.