Dossier : Convergence des métiers, s’adapter et se former pour (sur)vivre ?

La dématérialisation des contenus et la refonte des flux de production au sein des chaînes de télévision ont entraîné une remise en cause profonde des besoins de compétences de la part des professionnels. Les structures de formation ont dû adapter leur offre tout en veillant à ne pas bouleverser un équilibre fragile, ni tourner le dos aux fondamentaux du métier.
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Fichiers, grand capteur, workflow, gestion des médias ou encore dématérialisation… Autant de termes qui illustrent bien l’évolution complexe des environnements de travail dans le secteur de l’image. Face à ces bouleversements, de nouvelles compétences sont requises ; les centres de formation, privés ou publics, se doivent de répondre à ces demandes pour « coller » aux nouveaux profils métiers. Mais doit-on pour autant tout remettre à plat ?

 

Mutations technologiques…  et pédagogiques ?

Cette « dématérialisation de toute la chaîne de production, tant dans le domaine du cinéma que de la télévision » est l’un des sujets de veille de la part de la FICAM qui pointe « un double phénomène : une mutation technologique d’une part, associée à une crise économique qui ont eu pour conséquences d’augmenter les contraintes de fabrication, de repenser son modèle et, tout aussi fortement, de réduire les équipes », résume Pascal Buron, Président Délégué de la Commission Technique, Recherche et Innovation de la Fédération.

Ce dernier parle d’une « période de flottement » liée à l’arrivée des supports informatiques et de la gestion des médias : « Au sein du groupe TSF, on a introduit dans nos équipes des compétences informatiques qui n’existaient pas avec, dans certains cas, des blocs de formation traitant par exemple du passage du signal analogique vers le numérique ».

La formation est donc devenue un enjeu majeur pour les professionnels du secteur, qu’il s’agisse de formation initiale ou continue. En ce qui concerne la première, la réforme du BTS Audiovisuel est au cœur d’une polémique dans la mesure où l’évolution constante et à rythme soutenu des métiers ne serait absolument pas suivie d’effets dans la refonte d’un référentiel métier en phase avec l’actualité. « La FICAM a été contactée il y a cinq ans environ pour participer à la réflexion autour de l’évolution des cursus proposés dans les différentes options du BTS mais ce n’est que cette année que les premiers effets se sont fait sentir », pointe Pascal Buron. Autant dire qu’en cinq ans, toute la réflexion menée, aussi pertinente fut-elle, est peu ou prou déjà obsolète !

 

Nouveaux métiers ou nouvelles compétences ?

C’est bien la question-clé sur laquelle donneurs d’ordre et structures de formation professionnelle achoppent ou, à tout le moins, s’arrêtent. Car si certains « nouveaux » métiers apparaissent dans les listes techniques, il s’agit le plus souvent de compétences complémentaires que certains techniciens ont intégré dans leur profil, de façon volontaire ou non.

Le plus emblématique demeure le DIT (Digital Imaging Technician). Pour Pascal Buron, cela englobe deux métiers légèrement différents. « Depuis que les tournages existent, on a un impératif de sauvegarde des supports utilisés et de leur acheminement vers les laboratoires. Cela nécessite quelques compétences informatiques mais j’estime qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un métier ».

Plus que DIT, on devrait plutôt parler de Data Manager ou Data Wrangler. « C’est aussi une tâche qui est dévolue la plupart du temps au 2nd Assistant caméra », précise Pascal Buron.

L’autre acception du DIT serait « quelque peu issue de l’ancien métier d’ingénieur de la vision. Il s’agit d’être capable de comprendre la colorimétrie, le métier de chef-opérateur et de pouvoir travailler avec des LUT pour fournir une base d’étalonnage ». En outre, le DIT doit savoir gérer les conséquences de l’utilisation d’un signal vidéo HD ou RAW. De réelles compétences complémentaires donc… que l’on trouve assez peu en France. Une association comptant une dizaine de membres (ADIT) existe bien mais de tels profils sont encore assez peu demandés sur le territoire, « parce que les moyens alloués à ce type de poste sont très restreints d’une part, parce que les tournages en RAW sont moins fréquents que dans les pays anglo-saxons par exemple où il y a toujours un DIT sur un plateau », explique le responsable de la FICAM.

 

De l’innovation… et des fondamentaux à Gobelins

Patrick Thierry, coordinateur pédagogique sur la vidéo à Gobelins, a également constaté cette demande de compétences nouvelles de la part des professionnels qui rejoignent les stages de Gobelins. « La principale demande métier est d’être multitâches. Un profil de cadreur devra désormais avoir des connaissances en postproduction mais aussi être à même de savoir ce que recouvre une diffusion sur le Web ».

Si l’exigence des fondamentaux demeure – « les gestes restent les mêmes » – l’école consulaire a constaté de nombreuses demandes de formation complémentaires notamment sur le versant informatique : « aujourd’hui, on ne peut pas se trouver en situation de prise de vues si on ne prend pas en compte la gestion des médias numériques », explique-t-il.

Côté logiciels, la veille est constante entre les quatre départements (Prise de vues, postproduction, digital web et photo). « Nous avons des échanges permanents entre coordinateurs et constatons une approche de plus en plus transmédia. Cela se sent aussi sur les outils ». Si Final Cut Pro reste encore privilégié, des logiciels comme Premiere Pro ou les solutions Avid sont attentivement suivis, surtout en termes d’adoption par les chaînes de télévision. Même pour des formations en prise de vues ? « Nous avons mis en place des stages poly-compétents qui intègrent le montage ». Ainsi, sur le module Prise de vues vidéo avec les appareils Reflex, la pédagogie aborde toute la chaîne jusqu’à l’étalonnage, en insistant sur l’aspect technologique. « Et si demain, je dois former à un nouvel outil parce qu’adopté de façon importante par les donneurs d’ordre, je le mettrai en place car nous nous devons d’anticiper les évolutions métiers ».

Dans le catalogue de Gobelins, le stage Media Process s’étale sur six jours. On y parle workflow, gestion, surveillance et cohérence des médias, avec une idée forte : la rigueur. « Cette prise de conscience que la rigueur technique est obligatoire dans un flux de production dématérialisé est quelque chose que les chaînes de télévision ont bien appréhendé et certaines d’entre elles nous demandent des formations de ce type ». Paradoxalement, c’est moins le cas de la part des stagiaires qui, visiblement, n’ont pas encore bien saisi qu’il ne s’agissait plus d’une option mais d’une condition sine qua non à l’embauche… Et Patrick Thierry de citer un dernier exemple, éclairant : « Le travail de l’image dans un cadre d’écriture délinéarisée est très différent. Il est nécessaire que les opérateurs le comprennent et l’intègrent dans leurs prises de vues » sous peine de regarder le train de l’emploi passer.

 

Améliorer le workflow sans omettre l’humain

Pour faire face aux évolutions technologiques, les chaînes de télévision s’adossent à des sociétés qui leur apportent analyse et conseils. C’est le cas de IIFA qui les assiste dans le pilotage du changement technique et humain. « L’un de nos atouts est le travail d’analyse préalable que nous effectuons auprès de nos clients – chaînes de télévision, prestataires techniques et de production – afin d’établir un diagnostic et de concevoir des programmes sur-mesure », explique Pascal Souclier. À ce jour, IIFA a formé 700 personnes en les accompagnant dans leur projet de mutation et de convergence, à l’instar de Canal + qui a totalement refondu son infrastructure en vue d’une dématérialisation totale.

L’autre mot-clé d’IIFA, c’est humain : « Tout le monde a pensé que la dématérialisation serait simple à mettre en place car il s’agissait juste de manipulation d’outils. Mais ce n’est pas qu’un poste de travail ; c’est aussi un environnement réseau et cette problématique qui est souvent synonyme de perte de repères de la part des équipes, n’a pas été prise en compte pendant des années », poursuit le fondateur de IIFA. « Quand d’autres structures de formation parlent écosystème, c’est souvent sous l’angle de l’outil ; nous traitons toutes les étapes de l’ingest, de l’exploitation jusqu’à l’ingénierie ce qui inclut le facteur humain que l’on doit accompagner ».

François Abbe, fondateur et dirigeant de Mesclado, conseil indépendant en systèmes audiovisuels, confirme : « Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas technique mais humain. Il s’agit de déterminer comment les organisations vont arriver à se transformer pour répondre à une demande qui change car on ne consomme plus les contenus audiovisuels comme avant ».

 

La qualité : un credo pour Mesclado

Le constat est non pas alarmant mais édifiant : « le fil conducteur de ces dernières années dans notre secteur, c’est de plus en plus, dans le toujours plus et toujours plus vite », résume François Abbe. « On a vu apparaître de nouveaux services comme la catch up, l’interactivité, le social media sans pour autant que les moyens financiers soient décuplés ». Donc par l’amélioration de l’efficacité des solutions et l’ajout de valeur, la différence peut se faire. « L’avenir de ces services tient dans la qualité des programmes et l’innovation qu’on va mettre autour ».

Pour cela, Mesclado a mis en place une gamme d’outils cohérente autour du programme Media Engineering Intelligence. Tout part d’une veille constante sur des thématiques précises, comme la 4K UHD (« réalité business ou spéculation technologique ? ») ou les systèmes de transmission live par réseau IP. Ce savoir fait ensuite l’objet d’études régulièrement mises à jour, dont découlent les formations que la société propose, même si elle se défend d’être un organisme de formation à proprement parler.

Et son expertise passe une approche transverse : « Il n’est plus concevable d’avoir au sein d’un groupe audiovisuel une infrastructure en silos avec des départements cloisonnés ». François Abbe livre une analyse en trois étages. « Sur la partie production de master 4K, les entreprises sont bien avancées sur la production de stock ; c’est plus compliqué sur les programmes de flux. Force est d’admettre que, dans un second temps, l’étage infrastructure reste un peu à la peine tandis que celui de la distribution est présent et en capacité d’opérer ».

C’est donc bien l’infrastructure sur laquelle Mesclado insiste tout en pointant le fait qu’il existe « une résistance naturelle au changement » et « qu’à part les fabricants d’écrans, qui a intérêt réellement à passer en 4K UHD » ?

 

IIFA lance Media 180

Pour aller plus avant dans cette même démarche, IIFA a conçu le programme Media 180 qui s’adresse aux PME de médias, aux intermittents pigistes, « décalés face aux changements de la société qui les emploie et dont on mesure l’absence de culture de l’échange de fichiers », poursuit Pascal Souclier. Ce programme se veut pensé comme un ensemble de 25 modules (au choix sur 12 mois, avec 2 jours par formation par mois en moyenne) en mode parcours afin que chacun d’entre eux soit l’objet d’une mise en situation. « L’objectif de ce parcours certifié CP-FFP est de permettre aux techniciens supérieurs de l’audiovisuel de devenir des experts de la convergence IT/réseau, broadcast et médias connectés ».

Il s’appuie bien évidemment sur un référentiel liant à la fois compétences et métier… élaboré en interne à partir de deux critères : l’expérience et une étude d’opportunité réalisée avec 80 entreprises de médias sondées. Ce référentiel sera publié en septembre, en partenariat avec l’Institut Mines-Télécom. Cet ouvrage, co-écrit par Pascal Souclier, Shadia Ramsahye, élève-chercheuse au centre de recherche LGI2P de l’École des Mines d’Alès et Pierre-Michel Riccio, maître de recherche, responsable opérationnel du LGI2P et adjoint au directeur de la recherche de l’École des Mines d’Alès, présente une analyse de la mutation des métiers dans l’audiovisuel et s’intéresse en particulier aux techniciens, pour lesquels les référentiels métiers n’intègrent pas les nouvelles compétences liées, notamment, au domaine de l’informatique dédiée et des environnements dématérialisés. Il propose ainsi un référentiel métier qui facilitera l’adaptation des entreprises de l’audiovisuel et des médias à cette mutation. Il s’agit d’une contribution ouverte avec pour objectif principal de participer à l’avancement de la réflexion générale dans un domaine où les enjeux nationaux et internationaux sont aujourd’hui très forts. « Nous sommes partis du technicien audiovisuel classique avec les compétences que l’on attend d’un diplômé en BTS Audiovisuel auquel on a adjoint deux composantes supplémentaires que sont la notion de systèmes et l’IT ».

Sans vouloir se permettre un jugement sur l’état de la formation en BTS audiovisuel de façon générale, Pascal Souclier ose cependant avancer l’idée de « mettre en place un BTS+ par exemple qui inclurait une troisième année car on ne couvre pas tous les domaines actuels en deux ans ».

Par ailleurs, IIFA souhaiterait qu’à terme son parcours Media 180 soit reconnu par l’État et l’Afdas pour être accessible à un plus grand nombre.

 

Ina : forcément expert

Avec une force de frappe et une offre de formation sans équivalents (560 stages inscrits au catalogue 2015 et 5 000 professionnels formés chaque année !), Ina Expert mise sur l’utilisation des médias dématérialisés. « Tous les métiers sont impactés », explique-t-on : gestion de la sauvegarde des rushes au tournage, import des médias pour la postproduction, fabrique de PAD fichier, contrôle qualité, déclinaison dans différents formats adaptés à la diffusion sur des plateformes de plus en plus diverses…

Le centre s’appuie sur trois axes principaux : la montée en résolution d’images, la dématérialisation et les workflows et, enfin, l’exploitation des contenus audiovisuels sur tous supports et pour tous les modes d’exploitation.

Sur le premier axe, les thématiques de formation s’attachent notamment à l’ultra-HD, le 4K TV, la transmission par satellite DVB-S2 ou encore comprendre les codecs ou la compression HEVC-H265 à destination des techniciens, cadres techniques et ingénieurs.

Concernant la dématérialisation, Ina Expert propose des stages permettant de se repérer « dans la jungle des formats et faire les bons choix, fiabiliser les sauvegardes, gérer les métadonnées, mettre en place un contrôle qualité sur fichiers, comprendre les architectures orientées service (SOA), avoir une vision prospective des enjeux techniques et humains de cette dématérialisation ». Car comme les autres structures, l’un ne va pas sans l’autre… D’où des stages orientés Technicien supérieur d’imagerie numérique ou Media Manager d’une part, orientés techniques pures (MXF, IMF) voire plus structurels (Gérer les médias numériques de l’import à l’export, le cloud en audiovisuel, etc.).

Enfin l’exploitation des contenus audiovisuels demeure une composante clé de l’offre Ina Expert et on la retrouve dans des stages autour du streaming adaptatif, la création de WebTV, le tournage et la diffusion en direct sur le Web.

La double casquette d’expertise et conseil d’une part, de recherche d’autre part, offre à Ina Expert une place de choix dans l’offre de formation. Le centre s’appuie en outre sur un historique, socle inaliénable qui en fait la référence à plus d’un titre.

Alors, doit-on encore vraiment parler de nouveaux métiers ? Si l’on se réfère aux propos de Patrick Thierry, il semble que non tant la demande en fondamentaux reste forte. Pascal Souclier préfère, pour sa part, avancer l’idée que « tous les métiers vont se rapprocher. On ne va plus parler de télévision mais de médias ». À l’instar des infrastructures, « les métiers silos vont exploser avec la création de passerelles et c’est sur celles-ci que l’on verra apparaître de nouveaux profils. Ce qui importera c’est plus la qualification et le référentiel que le nom d’un nouveau métier ». Pascal Buron qui suit de très près les services que propose AENA (voir encadré) ne dit pas autre chose : « Ces jeunes pousses arrivent avec des idées disruptives » mais sont globalement toutes issues de métiers de l’image plus « classiques ».

Quant aux évolutions, si tous estiment qu’elles seront permanentes et que la dématérialisation n’en est que l’actuelle illustration, elles sont nombreuses et différentes.

Certains parlent d’une vague de fond avec le Cloud et le SaaS qui vont largement modifier la relation à l’outil logiciel. D’autres penchent plus vers la télévision connectée, l’OTT qui, si elles ne sont pas bien anticipées, risquent de menacer le système actuel. Le 4K UHD est enfin l’un des sujets d’étude, pas encore de préoccupation, des prochaines années, encore qu’à ce stade, peu de contenus sont en mesure de se targuer d’une telle qualité.

 


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