D-Mat – La pub belge en avance sur le progrès

ABMA est l’Association Belge des Médias Audiovisuels, un regroupement professionnel des régies publicitaires, chaînes de télévision, radios et autres médias opérant sur le territoire belge. Le contexte d’essor de la télévision y est très différent de celui de la France puisque le réseau hertzien numérique de la TNT existe mais n’est regardé que par 0,5 % de la population (offre de chaînes très limitée) : la distribution est assurée essentiellement par le câble et l’ADSL (97,5 %), et partiellement par satellite (2 %). Si l’ABMA est, par principe, un groupement à but non lucratif, il n’en est pas moins soucieux de la préservation des intérêts de ses membres. La publicité étant une source de revenus stratégique pour le développement et la survie de ces médias, et notamment les chaînes de TV qui sont nombreuses pour les deux communautés linguistiques, francophone et néerlandophone, c’est sur ce terrain particulièrement exigeant que l’ABMA a réussi, en quelques années, à révolutionner les mentalités autant que les processus techniques.
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L’histoire

Elle débute en 2006, avec la concomitance de divers facteurs d’influence : le passage des chaînes au rapport d’écran 16/9, la multiplication des canaux TV en présence, l’arrivée annoncée de la haute-définition sous forme d’équipements de production pour les diffuseurs, et de grands écrans plats labellisés full-HD dans les vitrines des magasins spécialisés. Un autre phénomène déterminant est en gestation, avec les perspectives offertes par la dématérialisation des médias. Les cassettes au format Betacam coûtent cher à l’achat, au transport et au stockage. Le phénomène de pénurie, consécutif aux avaries industrielles provoquées quelque temps plus tard par la catastrophe de Fukushima, ne fera que renforcer le désaveu envers un format d’enregistrement que certains s’empresseront d’annoncer comme le dernier format de magnétoscope professionnel. À cette époque, près de 30 000 films de publicité sont livrés chaque année aux chaînes belges, occasionnant quelque 17 000 courses véhiculées pour transporter les cassettes ; et on sait combien chaque cassette est source d’un véritable gaspillage avec une durée vidéo moyenne utile de 30 secondes (qui est la durée moyenne d’un spot de publicité). L’intérêt économique et écologique de dématérialiser la livraison des programmes aux chaînes de télévision est évident ; celui d’utiliser les réseaux numériques pour transférer les fichiers médias des spots de publicité l’est tout autant.

C’est la société RMB (Régie Média Belge, voir encadré), qui va engager les manœuvres dans cette direction : la Régie Média Belge est la régie publicitaire historique des chaînes nationales wallonnes de la Radio Télévision Belge francophone (www.rtbf.be). Dans une première tentative de mise en place d’un processus fichier, RMB propose un format de fichier (vidéo compressée en MPEG2, SD en débit constant à 15 Mbps), et un simple site serveur FTP pour le dépôt de ces fichiers, aux sociétés de prestation vidéo qui fournissent les spots de publicité.

Bernard Vandenhoofden, directeur technique de RMB, se rappelle : « Rapidement, nous avons constaté que, même s’ils étaient en accord avec le projet de dématérialisation, les prestataires boudaient notre FTP et continuaient à livrer des cassettes. Par un dialogue constant avec eux, nous avons compris que la livraison des fichiers pour RMB était considérée comme une charge de travail qui s’ajoutait à la fabrication des cassettes PAD commandées par les autres diffuseurs. Nous avions compris que la clé du problème ne pouvait être qu’une véritable standardisation nationale des échanges ».

 

 

Comment convaincre alors les acteurs en présence que seule une unification nationale des processus de livraison pouvait assurer le succès de la dématérialisation ?

C’est l’ABMA qui a alors joué un rôle fédérateur déterminant, et trouvé les bons arguments pour convaincre les acteurs en présence – annonceurs, prestataires chargés de la fabrication des livrables PAD et régies publicitaires des diffuseurs – des enjeux économiques considérables dont ils pouvaient, ensemble, espérer tirer des bénéfices. C’est tout d’abord par la livraison des fichiers de pub en définition standard (SD) que la problématique technique a été abordée. À l’époque, le partenaire sélectionné par l’ABMA pour rechercher la solution technologique à ce besoin de dématérialisation de la pub est une société belge de prestation et de développement. Elle mettra au point la première mouture du dispositif D-Mat, avec des spécifications SD. Elle sera ensuite reprise par le groupe français Mikros Image, dont la maison mère est située à Levallois Perret, pour devenir Mikros Image Bruxelles. Les équipes belge et française de Mikros ont continué de travailler conjointement sur les évolutions de ce projet avec avancées innovantes, à forte valeur ajoutée… et enthousiasmantes.

 

D-Mat un standard de fait

D-Mat est le nom qui a été donné à ce projet technologique visant avant tout à standardiser à l’échelle nationale un format de livrable dématérialisé répondant aux standards de qualité des professionnels du domaine de la publicité. Les gens de Mikros ont travaillé à la mise au point des différentes briques logicielles servant à encoder l’image et le son, analyser la qualité à la source, transférer le fichier média et les métadonnées associées vers le bon serveur destinataire. Pour l’encodage : « Nous avons procédé à des tests et des évaluations qualitatives pendant quatre mois pour sélectionner celui des codecs JPEG2000, MPEG2, MPEG4, AVI ou QuickTime, qui allait le mieux répondre à nos exigences de qualité et de robustesse : c’est finalement le MPEG2 en variable bit rate (VBR) et constant quality qui a été retenu.

Il permet de diviser par 10 ou 11 la taille des fichiers sans réduction visible de qualité d’image. En SD, le poids d’une séquence de 30 secondes se situe raisonnablement entre 30 et 60 Mo » précise Bernard Vandenhoofden. C’est l’ABMA qui a financé les travaux de développement de D-Mat et qui en est propriétaire. Dès 2007, le dispositif a été déployé pour la livraison en SD en Belgique. Depuis, un accord permet à Mikros de commercialiser la solution dans d’autres pays.

 

À partir de janvier 2010, D-Mat est devenu la référence nationale pour la livraison des PAD de publicité, avec la contribution active d’une quarantaine de prestataires fournisseurs. Poursuivant le développement du système pour répondre au besoin d’évolution qualitative des prestations, Mikros a mis au point l’encodeur HD en 2011. Une bascule s’est alors amorcée, visant une livraison intégrale de la publicité en haute définition pour toutes les chaînes, y compris celles qui continuent à diffuser en SD. Dans le même temps, de nouvelles standardisations internationales ont été intégrées au système, avec notamment la régulation des niveaux sonores et la recommandation EBU-RT128 pour le contrôle du Loudness audio. Avec son unique format de fichier livrable, et grâce à la fourniture centralisée de l’outil conditionnant ce livrable, il a été possible de basculer toutes les livraisons D-Mat pour les rendre conformes à la régulation du Loudness le même jour au cours de l’été 2012. C’est le déploiement du module P-Loud qui a permis à D-Mat de contrôler la conformité du son aux spécifications de niveau Loudness, mais aussi de légaliser, si nécessaire, les niveaux mesurés pour les aligner sur les standards attendus par les diffuseurs.

L’objectif ultime de la démarche D-Mat a été atteint en janvier 2014, avec l’intégralité de la publicité TV livrée en HD, sous forme de fichiers, aux chaînes diffusant sur le territoire belge. Un aboutissement exemplaire pour un chantier volontariste de dématérialisation, et aussi d’optimisation de la valeur des opérations techniques. Avec un impact environnemental significatif puisque le mode fichier implique la livraison par transfert numérique de point à point via des liaisons internet sécurisées, et donc la fin des transports véhiculés de supports physiques, avec aussi une grande simplification des modalités de stockage et d’archivage de l’ensemble des éléments. D’autres développements réalisés par Mikros ont permis ultérieurement de mettre au point un connecteur informatique fonctionnant en mode web ou par une API : un fournisseur distant peut contribuer au flux de conditionnement des pubs en connectant son système de gestion de flux de production au serveur D-Mat. Il peut alors soumettre un film publicitaire en envoyant le fichier média et les métadonnées associées, avec un ordre de travail, vers le serveur destinataire. Un processus de paiement en ligne de la prestation technique est assuré au moyen d’un système de jetons.

 

Les outils et processus D-Mat

À partir d’une source qui peut être codée en MPEG2, ProRes, en MOV, AVI ou DVCPro, le module D-Mat Encoder convertit les essences vidéo et audio dans un format cible qui est : XDCam HD50. L’encodage vidéo fonctionne en débit variable à qualité constante avec un débit maximum de 50Mbits/sec.

Ce procédé permet de diminuer le débit utile pour des images peu complexes à encoder, comme le plan fixe d’un pack shot de pub, pour compenser les hausses de débit provoquées par l’encodage des séquences complexes, avec des images riches en détails et fortement rafraichies par des mouvements. Un légaliseur P-Loud audio applique une compensation pour mise en conformité avec les spécifications Loudness du standard R-128.

Le système MXKtoolkit d’OpenCuble procède à l’encapsulage en MXF. Les architectes de D-Mat ont bien analysé les besoins fonctionnels des acteurs en présence sur la chaîne de traitement des PAD Pub, et la réponse faite à la problématique du contrôle de la qualité technique est unanimement saluée comme un succès : une procédure de QC automatique vérifie l’intégrité du fichier créé, le rapport de QC est transmis avec le fichier. Le système signale la présence d’un éventuel défaut avant l’envoi et permet au fournisseur de corriger le défaut pour être en conformité avec les standards de qualité du livrable. Les métadonnées ne sont pas oubliées dans ce processus, puisque des informations techniques et éditoriales sont collectées pour être transmises en accompagnement du fichier média.

 

Le transfert de fichier est contrôlé par le module D-Mat Sender, qui assure, depuis le poste émetteur situé chez le prestataire, une copie distante du fichier sur un serveur de réception hébergé à la régie publicitaire ou chez le diffuseur. Le circuit de transfert est sécurisé. En retour, un acquittement de bonne réception est envoyé sous forme de mail au fournisseur, qui peut ainsi tracer les livraisons acceptées. La suite D-Mat comporte aussi un module serveur de réception D-Mat server, et un lecteur de fichier D-Mat Player équipé de sortie vidéo broadcast, intégrant des fonctionnalités d’oscilloscope et de lecture en mode « image par image ».

 

 

Une cartographie des médias belges

RMB est la Régie Media Belge, une régie publicitaire pluri-média fondée en 1985 à l’initiative de la Radio Télévision Belge Francophone et du Cinéma Publicitaire Belge. C’est aujourd’hui la régie externe et indépendante qui gère les espaces publicitaires des trois canaux de la télévision nationale RTBF : la une, la deux et la trois. Elle opère aussi comme régie publicitaire pour la chaîne locale Télé Bruxelles, et pour d’autres chaînes diffusées sur le territoire belge, comme la Française AB3 ou le bouquet BeTV, anciennement CANAL+ Belgique, qui diffuse une dizaine de chaînes payantes, avec des écrans pub dans les périodes de clair chaque jour.

Elle gère la publicité en radio de cinq canaux RTBF, celle de NRJ et d’autres radios transmises en Belgique. Une autre partie de l’espace publicitaire de trois autres chaînes privées francophones est gérée par la filiale IP du groupe RTL. Les médias francophones adressent un bassin wallon de 4,4 millions de personnes, tandis que la communauté flamande atteint 5,9 millions de spectateurs.

 

 

Les salles de cinéma en plus… pour quelques pixels de moins…

Les régies publicitaires des 400 salles de cinéma belges n’ont pas mis longtemps à mesurer les économies massives qu’elles pouvaient, elles aussi, réaliser en se ralliant à la démarche de standardisation D-Mat. Les fichiers PAD en définition HD destinés à la télévision ne sont pas si différents des DCP2k attendus pour les grands écrans des salles obscures.

La société Brightfish, qui gère différents réseaux de salles de cinéma, comme Kinépolis ou UGC en Belgique, a décidé d’élargir l’accès au cinéma aux annonceurs de la télévision en ralliant l’alliance D-Mat. La solution technique a une nouvelle fois été développée par Mikros qui a mis au point un outil logiciel chargé de réaliser une encapsulation DCP à partir d’un PAD D-Mat HD. Rendant possibles des processus numériques unifiés et convergents pour cinéma et télévision.

 

 

Et les autres réseaux numériques

La publicité se traduit en vidéo sur internet, sur les sites web, services de VOD et ceux de replay, sous la forme de preroll video ads. Lorsque l’internaute lance la lecture d’un contenu vidéo choisi dans un catalogue sur un site de visionnage, c’est souvent un spot promotionnel qui est systématiquement lu avant que démarre le programme demandé. De nombreuses régies publicitaires de sites internet belges sont, elles aussi, livrées en fichiers dans le format D-Mat.

 

La révolution numérique est, depuis quelques années, le moteur survitaminé de l’innovation des technologies audiovisuelles. Pour en tirer pleinement les bénéfices, les professionnels doivent rechercher les compromis qui leur permettront de mutualiser les savoir-faire, et de stabiliser des processus techniques complexes, en sachant profiter du renouveau des bienfaits de la standardisation.

Voir le site D-Mat de l’ABMA : www.d-mat.be