Premiers pas du chef opérateur David Merlin-Dufey avec la caméra Canon C700

David Merlin-Dufey fait partie de la nouvelle génération de directeurs photo. Curieux, passionné et polyvalent, il est l’un des premiers à avoir utilisé la caméra Canon EOS Cinema C700. Il a ainsi réalisé la photo de « Vous êtes jeunes, vous êtes beaux » réalisé par Franchin Don et produit par Koi Films avec Gérard Darmon, Josiane Balasko, Patrick Bouchitey. Un entretien lumineux sur le travail photographique et sur l’utilisation de la C700.
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Mediakwest : Quelques mots sur ton parcours avant que nous n’entrions dans le vif du sujet…

David Merlin-Dufey : J’ai d’abord obtenu un CAP Photo, puis un Bac Pro Photo dans l’idée de faire de la réalisation de film. C’est là que j’ai découvert un peu plus la photographie et compris que ce n’était pas le réalisateur qui faisait la photo, mais qu’existait le métier de directeur de la photo. J’ai enchaîné avec l’école de cinéma Eicar. Petit à petit, ce métier de chef opérateur m’est apparu super intéressant. Je me voyais bien à l’écoute d’un réalisateur, de ses choix visuels, esthétiques et techniques ; d’essayer de les traduire avec la photographie ou de suggérer d’autres choix.

Les réalisateurs sont plus ou moins branchés technique. Soit ils nous demandent des qualités que je qualifierai de purement techniques et se chargent des éléments esthétiques ; soit ils nous demandent aussi de porter notre propre regard sur le film du point de vue photographique.

Le métier m’a séduit et j’ai cherché à poursuivre. Je n’ai pas tout de suite enchaîné dans le cinéma. J’ai continué ainsi à faire des films institutionnels sur lesquels il est justement préférable de savoir, et réaliser, et faire de l’image. De fil en aiguille, j’ai aussi travaillé sur du documentaire, du brand content, un peu de pub. En parallèle, je réalisais mes propres courts métrages pour justement apprendre ce métier. C’est à ce moment-là que je rencontre Franchin Don. J’ai remplacé un chef op sur un court métrage publicitaire et nous avons, pour la première fois, travaillé ensemble. Quelque sept ans séparent cette époque du long métrage dont nous allons parler.

 

M. : Quel est justement, de ton point de vue, l’histoire, la genèse, de Vous êtes beaux, vous êtes jeunes réalisé par Franchin Don et produit par Koi Films ?

D. M-D : Je suis arrivé sur ce projet parce que je savais que Franchin allait réaliser un long métrage. Je suis venu vers lui en lui disant de ne pas hésiter à m’appeler s’il cherchait un chef op. J’avais très envie de lire le scénario et extrêmement motivé pour l’accompagner dans cette aventure. Finalement, j’ai été pris ! Le tournage a eu lieu en janvier-février 2018. La prépa a été relativement courte (deux semaines !). Le tournage a duré six semaines, ce qui est assez rapide.

 

M. : Avez-vous tourné sur plusieurs lieux ?

D. M-D : Nous avons tourné trois semaines aux studios K’ien, à Colombes, ce qui nous a fait gagner beaucoup de temps. Le regroupement de divers décors sur un même lieu nous a permis d’en visualiser beaucoup avant le tournage, la déco ayant commencé à travailler un peu avant nous. Pendant le tournage, avec Guillian Verstiggel le chef électro, nous allions regarder les pièces d’à côté, commencions à pré-lighter, à faire des ajustements et enchaîner de suite.

 

M. : Pourquoi avoir choisi la caméra Canon EOS C700 ?

D. M-D : C’est Albrecht Gerlach de PhotoCineRent qui nous l’a proposée. Personnellement, je ne la connaissais pas. Dans le documentaire et l’institutionnel, j’ai beaucoup travaillé avec des Canon 5D Mark II, C100 et C300. En 2013, j’ai même réalisé et autoproduit un long-métrage L’assiette de mon voisin avec Olivier Riche tourné avec la Canon EOS C300. Canon en avait été partenaire, et nous avait prêté deux zooms, à l’époque un 15,5-47 mm et un 305 mm. J’étais donc très tenté de tester cette nouvelle caméra C700.

Avec Tom Yvanoff, mon 1er assistant caméra, nous avons alors organisé une journée d’essai et conclu que ladite caméra correspondait à nos attentes, notamment, au niveau basse lumière, un point très important pour ce film. Nous allions tourner de nombreuses scènes en extérieur et décors naturels, y compris des scènes de nuit. C’est pourquoi nous avons justement procédé à des essais dans la rue pour voir comment la C700 encaissait l’éclairage sodium des lampadaires. Et ces essais nous ont rassurés, confortés dans l’idée qu’on pouvait partir sur ce choix de caméra sans aucune crainte.

De plus, la C700 remplissait toutes les tâches d’une caméra cinéma : filtres intégrés, super sensibilité, très bonne qualité en haute et basse lumière. Lors de nos tests, nous avions poussé les ISO pour voir comment la caméra gérait les hautes lumières. Et cela nous a beaucoup servi sur le tournage, surtout lors des scènes en maison de retraite sur lesquelles j’aurai sans doute l’occasion de revenir.

 

M. : Et vous avez tourné en quel type de format, en termes de codec d’enregistrement ?

D. M-D : Nous avons utilisé le RAW de Codex. La caméra était équipée d’un enregistreur Codex CDX-36150 se fixant à l’arrière de la caméra. C’était super de pouvoir tourner en RAW et de bénéficier de toutes ses propriétés. Cela en fait une super caméra studio ; effectivement dès qu’on tourne sur une Dolly, qu’on est dans des endroits larges, grands, on est très confort, l’ergonomie est fort agréable, le confort d’utilisation réel. Bref, on est au volant d’une grosse voiture ! Par contre, dans des endroits un peu exigus, comme à l’intérieur de voitures ou dans de petits appartements, tout d’un coup, on peut être gêné par la taille de la caméra avec l’enregistreur Codex, si on ne s’est pas préparé. C’est pourquoi, j’ai hâte de découvrir des produits un peu plus compacts, telle que la C500 MKII qui vient d’être annoncée. On peut ainsi mixer les deux.

 

M. : Sur ce long-métrage, as-tu également fais le cadre ?

D. M-D : Oui. Pendant trois jours, nous avons été à deux caméras, avec un cadreur en plus. Nous avons tout tourné avec des Leica Summilux, sauf les scènes de combat pour lesquelles nous avons utilisé des zooms Canon, les fameux 15,5-47 mm et 30-105 mm. Ces derniers nous permettaient de gagner énormément de temps. Il est tout de même bien agréable de travailler avec une caméra offrant une telle souplesse, une très belle qualité d’image en basse lumière, c’était vraiment très rassurant. Ces scènes étaient éclairées en partie par le décor. Rodolphe Durand le chef décorateur avait placé des lampes de jeu sur toutes les tables et un tube de led souple de couleur rouge pour délimiter le ring. D’autre part une grande boîte à lumière était placée au-dessus du ring et quelques sources à droite à gauche, mais aussi pas mal de figurants qui étaient dans les pénombres, à des endroits où on ne peut pas se permettre d’aller à chaque fois réajuster parce qu’il faut assurer une certaine cadence. Les combats, toutes les scènes autour du tapis, les scènes de combat dans les sous-sols ont été tournés en trois jours intenses.

Avec la première assistante, Marie Fouché, nous nous sommes dit qu’il fallait penser un éclairage qui était déjà bien en place, procéder à des ajustements très rapides et tourner. Toute la journée, nous restions avec la caméra, les zooms ; nous enchaînions les plans, ce qui nous permettait de rentrer pas mal de plans dans la journée. Et si on a choisi les zooms Canon, c’est aussi que, après avoir fait des comparaisons avec différentes optiques, il s’est avéré que les Leica Summilux étaient ce qui matchait le mieux. De plus, je les avais déjà utilisées, c’était une valeur sûre.

 

M. : Quels furent les choix matériels et artistiques au niveau lumière ?

D. M-D : Aujourd’hui, on utilise beaucoup la led, il existe différents produits qui nous permettent de faire énormément de choses ; que ce soit de la lumière douce ou dure, les possibilités sont énormes. Sur ce film, nous avons utilisé beaucoup de Flex Aladdin 30/30 et 120, des Sky Panels aussi pour les couleurs. Il y a en effet beaucoup de jeu sur les couleurs, notamment dans la boîte de nuit et dans le sous-sol.

La Canon EOS 700 s’est admirablement bien tiré de toutes les contraintes et les difficultés d’éclairage. Le réalisateur voulait au maximum éclairer depuis l’extérieur et ne pas forcément avoir des sources plateau. Quand je parlais de la haute sensibilité qui permet d’avoir des détails, c’est justement sur ce point que la caméra s’est révélée un allié de poids.

À certains moments, un personnage est en contre-jour, on ne l’a pas forcément ré-éclairé. Tout cela été rendu possible grâce à la C700. Nous avons assumé ces détails de pénombre, un personnage dans l’obscurité, un autre dans la lumière, le tout crée un rapport fort.

 

M. : As-tu relevé des points remarquables sur la caméra ? Qu’as-tu apprécié ?

D. M-D : La C700 fonctionne très bien, c’est une valeur sûre, un produit dans lequel on peut avoir confiance, on a plaisir à l’utiliser, tous les boutons sont en façade. L’un de ses « plus » réside dans la confiance que je peux avoir l’image finale avec très, très peu de lumière. Il y a des moments où je me suis dit « Ah oui, quand même, on peut aller jusque-là ! ». Si j’avais fait de même sur certaines caméras concurrentes, cela n’aurait pas fonctionné.

Au tournage, je n’ai fait que très peu de réglages au niveau de la colorimétrie de la caméra. Je suis resté sur les balances classiques. D’ailleurs souvent, je ne fais pas forcément une balance des blancs ; en général je pars toujours sur une base, soit 3200° K, soit 5600° K, parce que c’est comme ça que j’ai construit mon expérience. Vu que sur les retours vidéo c’est bien, mais qu’on n’est jamais sûrs de ce qu’on fait avec les couleurs, je préfère avoir mes repères que je me suis construit depuis ces années, une base sur laquelle je pars pour ensuite utiliser les couleurs.

Un autre avantage des caméras Canon en général réside dans leur réactivité de mise en œuvre, c’est une marque qui est comme ça. On allume la caméra et on peut très vite aller tourner une séquence. C’était déjà vrai des C100 ou C300 qui s’enclenchaient sans temps d’attente. Ce ne sont pas des ordinateurs. On prend vite en main la C700, on l’attrape, on peut tourner immédiatement, surtout quand on la laisse configurer.

 

M. : Quelle résolution as-tu adoptée ?

D. M-D : J’ai tout tourné en 4K. Un des avantages de la C700 est de faire du 120 fps en 4K, et nous nous en sommes beaucoup servis. Franchin aime bien tourner une séquence en version normale et une autre en 120 fps ou 50 images par seconde. On ne faisait pas toujours du 120 quand même et tous les ralentis ne sont pas visibles au final. Mais c’est là qu’on se rend compte que la C700 est une caméra de cinéma, lequel nécessite vraiment un 4K 120 fps. Alors que sur d’autres types de tournage, cela ne nous dérange pas de repasser en 2K ou HD. En salle, c’est tout de même appréciable. 

 

M. : Il y a t-il eu un retour sur les peaux des acteurs avec les caméras ?

D. M-D : Ce n’est pas du tout à la prise de vue que nous avons réfléchi à ce sujet, que nous nous sommes posé des questions sur la peau. Ce fut en prépa, pendant les essais. Lors du premier essai avec la caméra, nous avons tout de suite vérifié si les peaux nous plaisaient. Il faut que les peaux ressortent vite dès qu’on fait un étalonnage très classique en mettant les noirs, les blancs, les lumières moyennes, chacun à leur place. Une fois que tout cela est équilibré, normalement on découvre quelles sont les peaux naturelles de la caméra. Il se trouvait qu’elles me satisfaisaient.

 

M. : Tout à l’heure, tu as évoqué des scènes dans une maison de retraite. En quoi l’utilisation de la C700 a-t-elle simplifié ton travail sur ce plan, voire d’autres ?

D. M-D : Sur les décors de la maison de retraite, il y avait des voilages sur les fenêtres. Augmenter la sensibilité nous a permis de récupérer du détail dans les hautes lumières tout en gardant suffisamment de qualité dans les basses lumières pour ne pas avoir à trop rehausser les visages qui étaient en contre-jour, ce que j’ai hautement apprécié. Pour récupérer le voilage, nous avons poussé les ISO et gagné du détail dans les hautes lumières.

Plusieurs plans auraient été difficiles à tourner si la caméra n’avait pas été bonne en basses lumières. Je pense à des scènes tournées avec rien, juste des lampadaires, réhaussés avec des réflecteurs et finalement sans aucune source additionnelle. Avec les C700, cela a fonctionné. Si cela ne l’avait pas fait, nous avions des solutions, mais elles étaient assez limitées ! La C700 nous a permis de gagner du temps. 

 

M. : As-tu tout tourné en C700 ou as-tu utilisé d’autres caméras sur certains plans ?

D. M-D : Tout a été tourné avec la C700, à l’exception d’un plan de coupe où on voit le paysage qui défile. Il a été réalisé avec une C300 Mark II avec enregistreur externe pour tourner les scènes depuis les fenêtres de la voiture

 

M. : Aurais-tu envie de retravailler avec cette caméra ?

D. M-D : Mais oui, je pourrais retravailler avec cette caméra sans problème. J’espère toutefois que Canon pourra rapidement offrir les mêmes compétences dans un modèle plus réduit ! On m’a parlé d’une C500 Mark II à venir qui hériterait de nombreuses fonctions de la C700, une sorte de C700 mini…

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.14/16. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.