Dossier : développeurs Audio – Quoi de neuf ?

En écho à la conférence « Être développeur spécialisé dans l’audio en France », durant le SATIS 2014, Philippe Goutier, Gaël Martinet et Samuel Tracol, les trois développeurs conviés, témoignent de leur parcours. Portraits croisés de ces taillandiers de l’ère numérique.
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Comme dans de nombreuses industries, le logiciel investit le cœur de tous nos outils quels que soient la spécialité et le stade de la production, depuis l’enregistrement jusqu’au mastering en passant par le mixage. Même si le secteur du développement audio est plus timide dans l’hexagone qu’Outre-Rhin, certains Français ont su tirer leur épingle du jeu en se spécialisant dans la création de nouveaux outils spécialisés. Rencontre avec trois de ces professionnels plutôt discrets au profil différent.

 

S’inscrire dans la durée

Philippe Goutier représente un cas à part dans l’industrie puisqu’il assure seul le développement du logiciel WaveLab. Il nous donne l’une des clefs de sa longévité : « C’est un sport de haut niveau et si on veut durer dans le temps, il faut une excellente hygiène de vie, faire attention à son alimentation, ou encore préserver ses heures de sommeil. » D’autre part, évoluer sur un marché somme toute réduit et particulièrement ouvert aux bouleversements du numérique demande une certaine prudence et des capacités d’analyses : « Ces dernières années, nous avons assisté à la fois à l’effondrement du marché de la musique, et à une baisse de la valeur du logiciel, notamment sous l’influence d’Apple qui vend son hardware cher mais brade le prix du soft » résume Gaël Martinet qui poursuit : « Heureusement, l’un des atouts de notre structure est de nous adresser à tous les secteurs de l’audio. Au-delà des studios et des auditoriums, le son touche de nombreux domaines comme les musées, les théâtres, les installations… Partout où il y a du son, il y a des choses intéressantes à faire. Ma démarche est de faire de bons outils pour des ingénieurs du son compétents en gardant une approche haut de gamme. Je souhaite maintenir le savoir-faire et ne pas vulgariser à outrance. » Pas si simple donc de proposer les bons produits, au bon moment en s’appuyant sur les bonnes technologies. De son côté, Samuel Tracol apprécie justement ce challenge particulier : « Je suis motivé par cette obligation de se renouveler techniquement à un rythme super rapide en fonction de l’évolution des standards et des technologies. Pour proposer de nouveaux produits adaptés aux attentes de la profession, je me base sur mon expérience d’ingénieur du son, mais je n’hésite pas non plus à aller à la rencontre des utilisateurs ». Dans son emploi du temps que l’on imagine chargé, Philippe Goutier consacre malgré tout une part importante de son temps à communiquer avec la communauté WaveLab : « Je reste à l’écoute des utilisateurs, de leurs réactions en passant beaucoup de temps sur les forums. C’est fondamental chez moi et du coup, je ne me sens absolument pas coupé de mes utilisateurs, même si cette relation reste virtuelle et immatérielle. Tout l’art consiste ensuite à améliorer le logiciel sans le surcharger, mais je pense avec le temps avoir acquis suffisamment d’expérience pour évaluer maintenant ce qui est ergonomique. Je reste le premier utilisateur et c’est sans doute ce qui a fait le succès de WaveLab. »

 

Adapter de nouvelles technologies

De la disquette à l’Internet, Philippe Goutier a vu les évolutions technologiques se succéder : « La vitesse de processeurs a vraiment changé la donne en matière d’édition audio, même si elle a tendance à stagner depuis 5 ans environ. Ces derniers temps, l’amélioration des performances est due à l’augmentation du nombre de cores dans les processeurs et à l’utilisation des SSD qui ont offert un gain de temps considérable. » À l’avenir, il imagine que son WaveLab pourrait devenir plus connecté et faciliter les échanges de fichiers au travers de la toile, mais se montre réservé sur la généralisation du Cloud : « je reste persuadé que dans l’ensemble, les utilisateurs veulent contrôler leur ordinateur personnel, leurs données, et restent méfiants face aux problèmes de sécurisation, sans compter que dans certaines régions, le réseau reste encore lent… ». D’autre part, l’audio pro étant un marché aux capacités limitées, les développeurs doivent s’adapter, quitte à utiliser des technologies développées pour d’autres industries comme le rappelle Samuel Tracol : « La technologie DSP est intéressante en soi mais suppose de gros volumes pour rester compétitive, d’où l’adoption ces dernières années d’autres technologies plus adaptées à la production en petite série comme le Mass Core de Merging, qui permet de faire du traitement DSP avec un processeur Intel, ou encore les puces FPGA qui permettent de synthétiser un processeur ARM ou un DSP. D’autre part, il ne faut pas oublier que le développement de l’audio sur IP qui repose sur la capacité d’émettre et de recevoir des paquets de données avec une précision de l’ordre de la micro seconde a été rendu possible grâce aux exigences du secteur de la finance qui en avait besoin pour développer le trading à haute fréquence. Autre exemple, les technologies de denoising actuellement appliquées en audio sont dérivées du débruitage des signaux initialement mis en œuvre sur les radars… »

 

Réinventer la distribution

Internet est en train de bouleverser la manière dont nous consommons les logiciels. Ayant suivi l’évolution des réseaux de distribution pour la gamme de plug-in Flux, Gaël Martinet fait le point : « En matière de distribution, nous sommes passés d’un système avec des hommes qui poussaient des produits à un système où c’est uniquement nous, les développeurs qui devons pousser nos produits. Or nous ne sommes pas des spécialistes de la distribution en ligne et compte tenu du fait que chaque éditeur développe plutôt son propre système en ré-inventant la roue, il serait intéressant de partager des plateformes de vente commune. » Autre tendance initiée par Adobe avec son Creative Cloud, ou Waves et son Wave Update Plan, l’abonnement annuel ainsi que la location sont des idées qui font leur chemin : « Effectivement nous tendons vers un modèle qui permet au client d’utiliser ce dont il a besoin, quand il en a besoin, pour la durée dont il a besoin. Sur Avid EveryWhere, il devient par exemple possible de louer un plug-in juste le temps d’un projet collaborratif… »

 

Philippe Goutier : le précurseur

Il n’y a pas de lien direct avec l’audio dans la formation de Philippe Goutier, même si, après un cursus universitaire en sciences physiques relativement généraliste, il se rapproche de sa passion dans le choix de son sujet de fin de maîtrise qui lui rapportera d’ailleurs une excellente note : « J’ai modélisé mon Roland Juno 6 pour en analyser le spectre théorique » explique-t-il. Il débute malgré tout sa vie professionnelle hors du domaine de l’audio, mais son intérêt pour le son et les synthétiseurs ne le lâche pas pour autant puisqu’après les heures de bureau, il commence à programmer un logiciel lui permettant de l’aider à maîtriser la synthèse FM relativement difficile d’accès de son Yamaha TX 816 (la version rack du fameux DX7 NDLR). Nous sommes alors à l’âge d’or de l’Atari ST, des premiers OS à interfaces graphiques et Steinberg, qui n’est alors qu’une petite société de cinq personnes, est immédiatement séduite par la réalisation que Philippe Goutier leur présente au salon de Francfort. « C’était tout nouveau et à l’époque, il y avait tout à créer. Les gens avaient soif ! » se souvient-il. Quelques mois plus tard, le programme est commercialisé et deviendra le premier produit de la gamme SynthWorks qui comportera au total une dizaine de logiciels, établissant avec Steinberg une relation stable qui reste encore aujourd’hui proche de celle « qu’un écrivain entretient avec son éditeur ». Souhaitant accompagner la vogue du sampling qui gagne le monde de la musique et demande de nouveaux outils, Philippe Goutier, s’adapte à cette nouvelle demande et crée ensuite WaveLab 1, au départ « simple » éditeur d’échantillon qui deviendra rapidement un éditeur audio extrêmement novateur, performant et précurseur. Fait unique, le développeur français parvient encore aujourd’hui à en assurer entièrement seul l’évolution de ce logiciel aujourd’hui compatible Mac et PC et disponible en version 8.5.

 

Gaël Martinet

Tournant le dos à l’académisme du conservatoire et aux études sans avoir obtenu son bac musique, Gaël Martinet commence sa vie professionnelle comme musicien, puis bifurque vers la profession d’ingénieur du son, en apprenant les rudiments du métier, soit sur le tas, soit dans les livres ou auprès d’autres professionnels, comme il le fera d’ailleurs plus tard pour la programmation. Sonorisation, musique, mixage, postproduction, journalisme spécialisé, beta test pour les logiciels Sequoia et Pyramix, de fil en aiguille et au fil des rencontres, le futur développeur multiplie les expériences sans se trouver véritablement jusqu’au jour où l’absence d’un outil essentiel à ses yeux le fait réagir : « J’avais besoin d’une vumétrie fiable que je ne trouvais pas dans Pyramix, ce qui m’obligeait obligatoirement à passer par indicateur de niveau hardware pour pouvoir travailler correctement. » Après une discussion plutôt animée avec Claude Cellier sur la question, le Président de Merging Technologies met au défi le jeune Français de développer lui-même le plug-in indicateur de niveau qu’il ne trouve nulle part. « J’ai acheté des bouquins de C++ et me suis lancé dans la programmation et… j’ai adoré ça ! » Après une série de plug-ins remarquée, suivront de nombreux développements pour la plateforme Pyramix dont certaines technologies comme Virtual Transport et VCube inspireront par la suite des entreprises bien plus importantes… Viendra ensuite la création de plug-ins multiplateformes développés sous la marque Flux qui comprend, entre autres, de nombreux traitement de dynamiques, une section EQ, la collection des Ircam Tools développés en partenariat avec l’Ircam et le Pure Analyzer, un outil de métrologie polyvalent compatible avec l’EBU R-128.

 

Samuel Tracol

Après une formation musicale comprenant l’apprentissage du piano, de l’orgue et des études de musicologie au conservatoire de Lyon, Samuel Tracol se tourne ensuite vers la Formation Supérieure aux Métiers du Son du Conservatoire National Supérieur Musique et Danse de Paris qu’il complète par un passage en Fac de Physique : « j’ai toujours hésité entre technique et artistique » admet-il. Il débute dans le métier de développeur spécialisé en audio en rejoignant l’équipe de Gaël Martinet où il travaille notamment sur les plug-ins Flux de 2006 à 2011. Attiré par le développement hard spécifique et le monde du logiciel embarqué, Samuel rejoint ensuite Trinnov, où il intervient sur plusieurs produits du constructeur français : moteur d’écoute des processeurs ST et MC, module de métrologie asservie au TC du Smart Meter ou encore décodage orienté objet pour l’option 3D du préampli Altitude appartenant à la gamme HiFi.