Diffusion de contenus culturels en ligne, un maquis législatif européen touffu…

Droits d’auteur, propriété intellectuelle, clarification des statuts des plates-formes en ligne, statut des réseaux sociaux, équité des règles du jeu, régulation… autant de sujets sur lesquels le grand marché européen du numérique « marche sur la tête ». « C’est pas gagné » reconnaît-on, mais chacun s’accroche néanmoins à protéger et promouvoir la création européenne. D’où les échanges "Europarl" actuels entre députés européens et entrepreneurs du numérique. Après Lille et Bordeaux, mais avant Marseille (23 juin), une rencontre s’est tenue fin mars au Cargo, dans le nord de Paris.
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Dans le cadre de ces échanges, la député européenne Constance Le Grip (PPE, Ile-de-France) est venue à Paris rencontrer des acteurs-clés des industries culturelles et créatives françaises et échanger avec des représentants du ministère de la Culture, de plates-formes en ligne et d’ayants-droit sur les questions liées à la diffusion de contenus culturels en ligne. Grands absents à la tribune (mais présents dans la salle) : les agences et les photographes de presse qui ont fait valoir, pour l’un son rôle de producteur de contenu, et pour l’autre la menace existant sur la profession en raison de droits bafoués.

En 2017, le Parlement européen est appelé à se prononcer sur de nombreux volets du paquet législatif européen destiné à développer le potentiel économique du marché unique numérique estimé à 415 milliards d’euros annuels, a rappelé Constance Le Grip. « Il faut permettre que se développent les potentiels des entreprises créatives et culturelles européennes et renforcer la propriété intellectuelle ».

Le Parlement européen finalise actuellement, avec le Conseil de l’UE, un règlement sur la portabilité transfrontière de contenus en ligne. Parallèlement, il travaille sur de nombreux textes réglementaires, en particulier la révision du cadre pour les services de médias audiovisuels, ainsi que les textes du paquet « Droit d’auteur » portant sur les transmissions en ligne d’organismes de radiodiffusion et l’adaptation du droit d’auteur au Marché unique numérique.

Côté ministère français de la Culture, on cherche des règles du jeu équitables, mais aussi « à lutter contre les contenus malfaisants, donc à protéger les mineurs » et à clarifier le statut des plates-formes en ligne, a rappelé Alban de Nervaux, chef du service des affaires juridiques et internationales. Lequel estime que « les propositions de la Commission européenne sur la question du partage de la valeur vont dans la bonne direction ».

Beaucoup de plates-formes, a fait remarquer Jean-Baptiste Gourdin de la direction générale des médias du ministère, sont actuellement dans une « zone grise », ni éditeurs, ni simples hébergeurs, et les réseaux sociaux ne sont pas considérés comme des médias. Et d’expliquer qu’en France, deux blocs s’affrontent : « ceux qui cherchent avant tout à construire un cadre précis et ceux qui mettent en avant une menace pour la liberté d’expression si trop de cadres… ».

La régulation est fondamentale, estime Frédéric Goldsmith, délégué général de l’Union des producteurs de cinéma (UPC), qui évoque le danger que pourrait représenter l’acquisition de droits pour un seul pays qui s’étendrait automatiquement aux autres pays de la Communauté européenne. Une telle réforme serait incompatible avec le respect du droit d’auteur et mettrait à mal le financement actuel basé sur une vente pays par pays. 

« On marche sur la tête en matière de régulation », renchérit Jérôme Dechesne, délégué général de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) pour qui le risque de destruction de la coproduction européenne est réel. David El Sayegh, secrétaire général de la Sacem, avoue « ne plus rien comprendre aux décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne qui sont souvent contradictoires », tout en saluant le travail « plutôt bon fait sur le transfert des valeurs ». « On attend du législateur européen qu’il clarifie la responsabilité des plates-formes dont l’activité consiste à stocker et mettre à disposition des biens culturels en ligne », affirme-t-il.

Sur ce sujet, Olivia Regnier, directrice de l’International Federation of the Phonographic Industry (IFPI) se dit déçue par les premiers rapports relatifs à la classification des plates-formes : « «Certains continuent de se prétendre simples hébergeurs ».

Marine Elgrichi insiste sur le besoin de « recréer de la valeur ». Il faut, dit-elle, redonner envie d’écouter de la musique légale. Et d’annoncer que sa plate-forme Spotify, huit ans après sa création, compte 50 millions d’abonnés payants et reverse 60 % de ses rentrées aux auteurs.

Autre éditeur de musique en ligne, sur le marché depuis dix ans, Qobuz était représenté par son P-DG Denis Thébaud. « Des hébergeurs comme YouTube sont des moutons noirs. On permet des machines de guerre sur notre territoire ». Le rapport entre ce que reverse à l’artiste un éditeur et un hébergeur est de 1 à 7, explique-t-il. « L’assiette de la perception est essentielle » si l’on veut sauvegarder une production européenne. 

Le mot de la fin, nous l’accorderons à ce député espagnol cité par Guillaume Prieur (SACD) qui a rappelé en substance que l’Europe n’est pas qu’un marché, une terre de consommation, mais « un rêve à partager ». Sans toutefois passer sous silence que l’industrie de la création européenne génère aujourd’hui plus de 500 milliards d’euros par an et représente plus de 7 millions d’emplois…

 

Pour aller plus loin…

Le marché unique numérique en Europe 

Règlement sur la portabilité transfrontière de contenus en ligne 

Révision du cadre pour les services de médias audiovisuels 

Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information