Les nouvelles technologies et la généralisation des pipelines numériques ont beaucoup participé au changement de statut de la postproduction. L’allemand Niko Remus, directeur de postproduction et directeur d’études de l’atelier APostLab, nous révèle comment les nouvelles technologies en général, et Dolby Atmos en particulier, ont déclenché une véritable révolution sonore au cinéma, tant sur le plan artistique que commercial.
Comment la postproduction a-t-elle évolué au fil de votre carrière ?
J’ai démarré le métier quand on montait encore directement la copie travail sur pellicule. Les premières application de montage virtuel telles que Lightworks et Avid n’en étaient qu’à leurs débuts. Ayant longtemps travaillé comme monteur, j’étais aux premières loges pour constater l’influence de la technologie sur le montage, et plus largement sur la réalisation d’un film. Et pour pleinement en explorer les avantages, il m’a vite semblé évident de sensibiliser tous les acteurs de l’industrie au rôle croissant de la postproduction dans le récit cinématographique. Concrètement, la technologie ne cesse d’étendre le champ des possibles. En comprendre les tenants et les aboutissants fournit aux producteurs et aux réalisateurs des outils précieux pour écrire l’avenir du cinéma. Sans compter qu’ils ont rendu mon job encore plus intéressant.
En quoi la technologie Dolby Atmos a-t-elle transformé votre façon de travailler, et quelles sont ses implications sur la postproduction ?
Dolby Atmos ne change pas notre manière de filmer ou de monter un film. Mais ce nouvel outil ouvre des possibilités inédites. Et ça, c’est toujours une bonne chose. Là où le changement s’opère, c’est dans cette nouvelle dimension qu’il ajoute au montage son et au mixage. Dolby Atmos nous donne davantage de latitude et crée de nouveaux espaces sonores. Dès lors, les réalisateurs, ingénieurs du son et mixeurs peuvent, et doivent, réfléchir à l’utilisation de ces nouvelles dimensions. Concrètement, cela signifie que des métiers autrefois situés en bout de chaîne doivent désormais s’impliquer plus en amont dans le processus de production. En postprod, nous avons donc un rôle à jouer pour aider à élever la place du son dans la trame narrative, mais aussi participer à la mise en place d’un bon workflow dès le départ.
Dans l’idéal, les producteurs doivent lancer les discussions à un stade précoce, car cela nous aide à prendre les bonnes décisions et à établir une stratégie créative. Tout le monde y gagne.
Pouvez-vous nous citer un exemple qui illustre cette approche ?
Styx de Wolfgang Fischer est un bon exemple. Le réalisateur m’a proposé ce film avec deux personnages dans un bateau, le troisième étant l’océan dont la présence à l’écran devait passer par le son. Il m’a aussi demandé mon avis sur Dolby Atmos. Ensemble, nous avons réfléchi aux différentes possibilités avant même la phase de design sonore. En l’occurrence, comment faire entendre la pluie tomber d’en haut pour créer une ambiance à la fois menaçante et immersive. Mais aussi, où et à quel moment précis modifier l’atmosphère pour faire avancer le récit. Si Wolfgang Fischer a été immédiatement partant, il a en revanche été plus difficile de convaincre le producteur de financer un élément non inscrit au cahier des charges.
Au final, tout le monde s’est accordé sur le fait que cette décision a été la bonne. J’ai aussi appris l’importance de ne pas toujours recourir à toute l’étendue de la nouvelle palette audio. La règle d’or de toute bonne postproduction est de ne pas abuser des effets sonores juste parce que vous en avez les moyens. Par exemple, le début de ce film se passe sur terre… la bande-son est alors presque en mono, fermée et limitée. Par contre, une fois sur le voilier, le paysage sonore s’élargit considérablement, il nous transporte émotionnellement sur l’océan avec les personnages, notamment lors d’une scène de tempête à bord de cette petite embarcation. Cela rend l’expérience extrêmement crédible. En salle de mixage, lors de la première écoute, le réalisateur m’a confié que c’est exactement comme ça qu’il avait imaginé les choses. Pour moi, c’était très gratifiant.
En somme, la technologie doit se placer au service de l’histoire ?
Exactement. Il s’agit de comprendre ce que vos outils peuvent apporter au récit. Première chose, sur le plan artistique, le son dimensionnel a un champ d’application bien plus vaste que les seuls films d’action. Dolby Atmos donne aux petits films intimistes et naturalistes un niveau de vraisemblance inédit. Deuxièmement, outre la valeur artistique, il dote le film d’une plus-value, d’un potentiel commercial accru. Car une expérience plus immersive marque toujours davantage les esprits.
En quoi Dolby Atmos contribue-t-il à la valeur économique d’une production ?
Aux producteurs qui calculent le coût de la technologie, de la charge de travail et des moyens humains à déployer, je leur dis que si leur film a une durée de vie d’un an tout au plus, dans ce cas-là, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Par contre, s’ils veulent que leur film soit encore vu dans cinq à dix ans, alors la question ne se pose même plus. C’est essentiel.
Imaginez ce que vaudrait aujourd’hui un film enregistré au format Betacam numérique et mixé en mono ! Dès lors que l’on considère son projet non pas comme un produit jetable, mais comme une œuvre vouée à perdurer, on se doit de garantir sa viabilité technique à long terme. Dolby Atmos aide à pérenniser la valeur économique de l’œuvre. Une fois que les producteurs l’ont compris, leur état d’esprit évolue. Dolby Atmos n’est pas juste là pour le plaisir des cinéastes, c’est aussi un argument de vente pour le film. À l’ère du streaming, c’est important de se projeter sur le long terme, et de ne pas se cantonner à la seule projection d’un film en salle. Ces plateformes pouvant grandement prolonger sa durée de vie, il est vital que le contenu ne prenne aucune ride. Tout ce qui va dans ce sens s’avère donc judicieux sur le plan économique.
Quel conseil donneriez-vous aux directeurs et directrices de postproduction ?
La postproduction commence avant même le début du tournage. Pour libérer le plein potentiel d’une technologie ou d’un outil, vous devez en avertir toutes les parties concernées et les inclure dans la planification créative et pratique. Prenons l’exemple de Dolby Atmos. On peut le faire entrer en scène à deux moments clés du processus. Soit avant le tournage ; soit avant le verrouillage de l’image, juste avant de passer la main aux gens du son. Choisir un tout autre moment risque d’alourdir la charge de travail de l’équipe son. Par ailleurs, il est également primordial de planifier le processus créatif et les workflows en amont, avec le réalisateur et le producteur, sachant que vous ne pourrez pas demander une rallonge de plusieurs jours à la dernière minute. C’est aussi le moment idéal pour aborder avec le producteur la question de la valeur ajoutée et de la pérennisation de l’œuvre. S’il voit que vous comprenez ses enjeux et ses préoccupations, cela peut vraiment faire toute la différence.
Selon vous, quel rôle Dolby Atmos va-t-il jouer à court comme à long terme ?
Dolby Atmos est suffisamment mature pour que l’on se penche sérieusement sur la question dès maintenant. La technologie trouvera sa place dans la plupart des projets, tant sur le plan artistique que commercial. Même si ses avantages commencent à se matérialiser, nous n’avons pas encore pris toute la mesure de son potentiel. Et je parle ici de toute l’industrie cinématographique.
À dire vrai, à l’heure où la production entre dans une ère virtuelle, il nous faudra apprendre de nouvelles façons de collaborer avec le design sonore. Et c’est là que Dolby Atmos aura un rôle de premier plan à jouer. Après tout, on ne raconte pas les histoires de demain avec les outils d’hier. Dolby Atmos n’est pas une case que l’on coche pour faire bonne impression… c’est au contraire un coffre à remplir de mille et un trésors. Nous vivons une période exaltante et pleine de promesses pour les métiers du son.