Pourtant, les studios de création naissent comme des petits pains, à l’instar de Paradiso, monté par Lorenzo Benedetti (fondateur du Studio Bagel, ex-Canal+), Louis Daboussy (ex-Konbini) et Benoît Dunaigre (ex-Havas), qui entend reprendre les codes de la production télé pour les coller sur le monde du podcast ou de Podcasters Media, créé par Carole Renucci (ancienne de Bayard Presse) et Max Soussana (producteur de formats courts sponsorisés), qui s’appuie sur des valeurs sociétales fortes. Ces derniers-nés s’ajoutent aux « historiques » Binge Audio, Nouvelles Écoutes, MadmoiZelle, émanations ou filiales de grands groupes de presse.
Du podcast indépendant non monétisé à celui brandé des marques, en passant par le replay des radios, le livre audio (volontairement non traité dans ce dossier, car principalement proposé par Audible, à savoir Amazon) au podcast original proposé en exclusivité, le moins que l’on peut dire est que le son prend sa revanche sur l’image. Ce nouvel eldorado au modèle économique est encore en pleine mutation. Des résistants indépendants au modèle économique proche des youtubeurs indépendants (accès du financement participatif des communautés via des plates-formes telles que Patreon) aux tenants de la monétisation clé en main, plongée au cœur de la jungle des baladodiffusions en France.
Vers la fin de la liberté du podcast ?
Créateur de deux collections de podcast et fin observateur de cette économie depuis 2007, Yann Rieder, co-fondateur de RadioKawa, et président de Blueprint, est à l’origine en juin dernier du manifeste « Le podcast est un média ouvert », un coup de gueule signé par plus de 150 podcasteurs indépendants. Depuis 2015, le jeune Suisse voit émerger des start-up en France autour du podcast, ainsi que la création d’une économie robuste du podcast, notamment outre-Atlantique.
Si les radios généralistes ont commencé à distribuer leurs émissions en podcast, depuis le milieu voire la fin des années 2000, elles ne commencent vraiment à prendre conscience que c’est un média à part entière que depuis une poignée d’années. C’est au moment de l’arrivée sur le marché US de Luminary et sur le français de Majelan, porté par Matthieu Gallet, ex-PDG de Radio France et Arthur Perticoz, qu’il voit rouge. « Leur optique était de prendre le catalogue global de podcasts existant sur Internet et de se l’approprier, non seulement en termes de structure de leur application, mais aussi de leur marketing », explique-t-il.
Ainsi, en installant cette application, l’utilisateur aurait accès à un nombre important de podcasts, ce qui, précise Yann Rieder, est une vérité sur le papier, mais comme sur toutes applications d’agrégateurs de podcasts telles qu’Apple Podcast, Podcast Addict, etc. Il n’a suffi « que » d’« aspirer » l’ensemble des flux RSS répertoriés par iTunes, comme l’avait alors confirmé à Libération, Arthur Perticoz. « On avait l’impression qu’ils inventaient la roue ! », ironise Yann Rieder.
Dans l’application, Majelan était aussi visible, un onglet Majelan +, proposant cette fois du contenu payant. « Il était assez difficile de se sortir de la tête que Majelan utilise la richesse d’un écosystème existant afin de vendre ses propres productions », argumente-t-il, ne croyant que peu à un altruisme de cette start-up. « Son but : récolter un maximum de clients, pour ensuite les monétiser », raille-t-il, ne croyant pas un instant qu’avec une levée de fonds de 4 millions d’euros, le business angel de Mathieu Gallet, envisage de créer le nouveau Wikipedia du son !
Contacté par nos soins, Majelan n’a pas désiré participer à ce dossier. Dans Libération, toujours, il réagissait à la publication du manifeste, jurant qu’aucune publicité ne serait faite sur la partie gratuite. Malgré les grincements de dents des indépendants, mais aussi la réaction de France Culture, tout aussi peu ravie que ces productions soient proposées sans son accord sur Majelan, ce manifeste est aussi un appel à la vigilance : pour ses signataires que « de telles sociétés tentent d’établir un monopole dans l’économie du podcast est dangereux ».
Et de citer l’exemple de Spotify qui a racheté une boîte de production de podcast, Gimlet Media société new yorkaise, connue pour le podcast Homecoming, adapté en série audiovisuelle par HBO, et Anchor, une start-up qui conçoit des outils pour créer, diffuser et monétiser des podcasts à l’instar du suédois .
Après ces acquisitions d’un montant global de 340 millions d’euros, Spotify s’est offert en mars dernier le studio Parcast, spécialisé dans la création de fiction et les affaires policières. Mais si l’auditeur s’est habitué à payer pour consommer sa musique, sera-t-il prêt à passer le cap pour consommer du podcast ? Rien n’est moins sûr surtout qu’en France, il a été à bonne oreille grâce notamment aux productions de France Culture, le premier créateur de fictions audio, en termes d’ancienneté et de volume.
France Culture : créer de nouvelles formes d’écriture sonore
Radio de service public, France Culture n’est pas concernée par les questions de monétisation, le financement relevant de la redevance audiovisuelle. Néanmoins, par son ancienneté dans ce média, elle constitue un acteur incontournable, à l’instar d’Arte Radio. Avec près de 24 millions de podcasts (replays et podcasts originaux) téléchargés par mois, (Médiamétrie/eStat/ACPM/avril-juin 2019), France Culture est un phare solide, d’autant que sur 100 minutes écoutées sur la station, 23 minutes le sont en numérique. Et cela a des influences sur la création : « un podcast est avant tout une écriture pensée pour un public qui écoute à la demande et ce dès le début du programme. Cela permet de vraiment raconter des histoires », souligne Florent Latrive, délégué au numérique de France Culture.
Dans l’une des dernières productions, Mécaniques du complotisme, une série en dix histoires sur les mécanismes de construction et de propagation de complots imaginaires, a ainsi été expérimenté le principe du Cliffhanger.
« En fiction, nous avons sorti Projet Orloff, un polar en onze épisodes, écrit et réalisé comme une série TV, l’auditeur pouvant l’écouter en binge, au casque. De la même manière, nous expérimentons le son binaural, afin de donner une écoute immersive au casque. Cela a été le cas dans la fiction avec L’Appel des abysses, mais aussi dans L’Expérience. C’est un programme de création sonore, certains épisodes sont diffusés à l’antenne, d’autres sont uniquement proposés en podcast », détaille-t-il. Côté diffusion, tous les fils de podcasts de Radio France sont disponibles sur le catalogue iTunes. Il reste important pour le groupe de service public de maîtriser la diffusion de ces programmes, afin de ne pas servir de faire-valoir pour drainer des abonnés, alors que par nature, ces podcasts sont gratuits.
« Nous devons être accessibles le plus largement possible, et sur nos applications, nous proposons la plus grande profondeur : sur le site et les applications de Radio France, les émissions sont disponibles à vie. Cela devient plus compliqué quand la diffusion est externe à notre écosystème pour des questions de droit », précise-t-il. Il regarde avec intérêt la montée en puissance de nouvelles créations même si « France Culture produit depuis longtemps des émissions de flux qui sont aussi du stock, puisqu’elles ont une durée de vie très longue ».
Juré lors du dernier Paris Podcast Festival, il constate qu’il est plus difficile pour des indépendants de proposer des podcasts très travaillés, plus complexes techniquement et économiquement, même si le niveau qualitatif monte. « Le podcast est un média d’avenir, cela ne va pas s’arrêter : le son redémontre son autonomie narrative par rapport à l’image », se réjouit-il. De même, comme aux États-Unis, passé le temps des pionniers, il pointe que le marché, qu’il observe en tant qu’acteur, même si France Culture est hors de ces considérations, arrive à l’heure de la structuration.
Europe 1 Studio : s’adapter aux nouveaux usages
Acteur cette fois privé, Europe 1 est l’une des plus anciennes radios généralistes. Par son label Europe 1 Studio, elle produit ses propres podcasts comme Passion Constitution, sur les débuts de la Cinquième République avec Olivier Duhamel, ou Les Attaquantes, sur les femmes et le foot. « Nous avons aussi une activité d’agence et nous accompagnons des marques, à l’exemple de 3h56, une série réalisée pour Universal, pour accompagner la sortie du film First Man, de Damien Chazelle, qui a totalisé quatre millions d’écoutes et été primé au prix du Brand Content et prix d’argent Stratégies », raconte Claire Hazan, directrice d’Europe 1 Studio.
Le label accompagne aussi d’autres médias dans leur format audio, à l’instar de Paris Match. « Ce podcast sortira le 5 novembre. Les reporters de Paris Match y raconteront sous forme de récit au présent, des histoires inédites sur des personnalités que l’on croit connaître. » Trois savoir-faire sont mis à disposition des marques et médias : la production, la diffusion et la monétisation grâce à une régie publicitaire spécialisée dans l’audio. La monétisation des podcasts se fait via de la publicité audio classique, du sponsoring et du brand content.
« La publicité sur le replay est encore une part importante du marché et donc de notre modèle », ajoute-t-elle, sponsoring et brand content étant plus axés sur les podcasts originaux. Elle se réjouit de la position dans laquelle se retrouve la radio, à l’avant-poste dans un monde numérique jusqu’ici dominé par la vidéo, et où l’audio reprend un rôle important. Une belle revanche pour un média aussi ancien.
« Tout l’enjeu est d’écrire différemment et de transformer progressivement les métiers. Nous tentons de nouvelles expériences : nous avons créé une application Hondelatte raconte, permettant de “discuter” avec Christophe Hondelatte via les assistants vocaux. C’était une première. Il y a d’énormes potentiels », décrit Claire Hazan. Depuis cette année, le podcast de l’émission d’Hondelatte est disponible en « pré-play » numérique dès 6 h du matin, puis passe à l’antenne à 14 h.
Côté diffusion, les podcasts d’Europe 1 sont notamment sur le catalogue d’Apple, mais aussi avec YouTube et Dailymotion. Pour ce qui est des nouvelles plates-formes, elle convient que les choses ne sont pas encore totalement cadrées. « Les flux étant ouverts et gratuits, contrôler la façon dont sont diffusés nos contenus et mettre en face une juste rémunération est devenu un enjeu. »
Sybel : proposer des exclusivités
Après avoir dirigé Finder et accompagné la structuration du marché des youtubeurs, Virginie Maire a plongé dans une nouvelle aventure : Sybel, une plate-forme d’entertainment audio, accessible gratuitement en illimité. « Après cinq mois, nous avons 600 000 utilisateurs. Sybel n’est pas un agrégateur de contenus. Nous achetons des contenus de création originale à des ayants droit. Notre contenu ne se périme pas, nous ne reprenons pas de replays de radios. Nous proposons un important catalogue pour les enfants, mais aussi d’autres de genres très différents », explique l’entrepreneuse.
Une équipe éditoriale sélectionne les contenus et gère les acquisitions. Sybel est ainsi en coproduction avec Louie Media et Paradiso sur Le Grêlé, une enquête proposée à raison de deux par semaine, revenant sur un serial killer qui court toujours… L’application coproduit et ne fabrique pas de podcasts. « En fiction, le coût s’échelonne entre 200 et 800 euros la minute », précise Virginie Maire.
Binge proposera une nouvelle fiction en partenariat sur Sybel qui distribue À bientôt de te revoir, en exclusivité pendant un mois. « Nous sommes partenaires de tous ces studios selon notre ligne éditoriale. »
Côté modèle économique, la jeune femme a levé cinq millions d’euros en février dernier. « Cela m’a permis de développer l’application en propre, d’avoir une enveloppe pour les acquisitions et de faire du marketing. Mon objectif est d’installer ce nouvel usage, l’écoute de séries et de démontrer que l’on peut prendre plaisir à écouter des récits immersifs. Je veux installer l’écoute de Sybel dans le quotidien », détaille-t-elle, y voyant un bon moyen de décoller notamment les enfants des écrans.
La prochaine étape pour la plate-forme, dès le début de l’année prochaine est le passage à l’international, avec des contenus en anglais et en espagnol. « Nous traduisons et rejouons notre catalogue et allons acheter des podcasts dans ces deux langues », précise Virginie Maire, préparant son arrivée aux États-Unis, un marché bien plus mature.
Quand à savoir si Sybel passera en mode payant, elle botte en touche. Par rapport à des plates-formes comme Spotify ou Deezer, mais aussi Netflix, après avoir dû se confronter au piratage, les consommateurs se sont peu à peu habitués au modèle de l’abonnement payant. « Aujourd’hui, le marché sur l’audio est très dense et dynamique, et les nouvelles initiatives ne peuvent qu’aider à cette structuration. Il ne faut pas non plus confondre tout ce qu’englobe le podcast. Ce n’est pas parce qu’un flux RSS est gratuit que c’est open bar », glisse-t-elle, précisant que ses créations originales, disponibles en exclusivité sur Sybel, ne sont pas des flux RSS et ne sont hébergées sur ses propre serveurs. « C’est la vraie problématique : un podcast ne veut dire qu’un fichier audio disponible sur Internet : replay de radios, livres audio, podcasts originaux… il y a une forte variété, chacun a en fait sa définition, in fine », conclut-elle.
Depuis vingt ans qu’elle travaille dans les médias, elle n’avait pas pris conscience de l’ampleur du phénomène : « Après avoir suivi les youtubeurs, j’ai senti ce retour au son et j’ai vu les contenus matures arriver outre-Atlantique et j’ai trouvé cela passionnant. Je me suis heurtée à une difficulté technique : une accessibilité complexe des contenus via mon smartphone. Si l’on ne connaissait pas le nom du podcast, malgré la profusion des contenus, trouver quelque chose d’intéressant était compliqué. Et puis, sortant de YouTube, j’avais envie d’éloigner les enfants des écrans ! »
Acast : la monétisation clé en main
Créer un podcast est désormais facile, mais le monétiser reste complexe. C’est le rôle d’Acast. Déployée en France, depuis peu, Acast est une société suédoise qui a développé une solution dynamique d’insertion publicitaire dans les podcasts. « Cela permet de changer les publicités dans les podcasts et de faire vivre les derniers épisodes et les back catalogues », explique Yann Thebault, DG France d’Acast, ancien de Spotify.
Doté d’un statut d’hébergeur et d’un CMS, son rôle est de pouvoir assurer la plus large diffusion à ses partenaires : podcasteurs indépendants, groupes médias, etc. « Les contenus sont uploadés sur notre plate-forme, nous avons une équipe “contenu” qui aide les partenaires à développer la stratégie de lancement, nous les accompagnons avec nos régies présentes physiquement dans dix pays, dont la France et l’Allemagne, les États-Unis et l’Australie. Elles sont chargées de vendre de la publicité et ensuite, nous fonctionnons sur un partage de revenus. Pour être hébergé, il faut s’acquitter de frais d’hébergement : plus le podcast est écouté, plus ils sont élevés », reprend-il.
Suite à l’acquisition de Pippa, une start-up new-yorkaise proposant aux podcasteurs des solutions d’hébergement, d’analyse et de distribution des contenus, l’offre a été élargie. Maintenant, n’importe quel podcasteur pourra s’inscrire et être hébergé sans être coopté. « Si le podcasteur est un groupe média qui a déjà une régie, nous co-commercialisons avec lui », précise Yann Thebault.
« Nous avons regroupé les podcasts en collection et nous travaillons avec Adswizz, qui collabore avec Sonar et nous pouvons proposer un ciblage socio-démo. Si l’écoute est réalisée dans l’application d’écoute Acast ou dans le player embed, les podcasteurs récupèrent d’avantage d’infos sur leurs audiences. Nous hébergeons environ 400 podcasts en France et près de 4 000 dans le monde. Nous avons redistribué en Europe 50 millions d’euros aux podcasteurs depuis 2014, date de la création d’Acast », détaille-t-il.
Acast a signé les cinq plus importants studios indépendants en France depuis mars dernier : Binge Audio, Louie Media, Nouvelles Ecoutes, MadmoiZelle et Bababam ainsi que de nombreux podcasteurs indépendants et des groupes médias. Sur le modèle payant, il reste dubitatif : « Aujourd’hui le podcast s’est construit sur un modèle gratuit, l’offre est très conséquente. C’est bien que de nouveaux acteurs prennent des initiatives pour voir comment le marché peut réagir. Il faut avoir une offre de très grande qualité pour arriver à faire payer. C’est à mon sens un peu trop tôt, le modèle gratuit modulé avec de la publicité fonctionne bien. On verra comment se développent Majelan et Sybel. »
En proposant de l’exclusivité, cela coupe d’une grande partie des auditeurs : 60 % des écoutes se font sur Apple Podcast. Autre rôle d’Acast : « Participer à l’élaboration de mesure d’audience structurante pour le marché. C’est un peu le far west actuellement. Nous sommes alignés sur la méthodologie IAB : pour qu’une écoute soit comptabilisée, il faut qu’elle dure 60 secondes ininterrompues au minimum en streaming, ou qu’un téléchargement soit complété intégralement. Depuis 1996, IAB a listé des adresses (IP frauduleuses, bots, etc.) qui sont exclues de nos audiences et permettent d’avoir des chiffres fiables », explique-t-il. Acast collabore avec Médiamétrie et l’ACPM, et discute pour que les mesures soient les plus correctes. Sur le podcast natif en France, Acast annonce dix millions d’écoutes mensuelles, certifiées IAB, cela représente plus de la moitié de ce marché.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #34, p.90/93. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.