Emploi et formation : l’écart se creuse dans la filière image

Une conférence organisée par la CST durant la dernière édition du Satis en novembre a permis de mettre en lumière, au travers de deux études menées en parallèle par la CST et le Pôle Média Grand Paris d’une part, la Ficam et IIFA d’autre part, l’inadéquation entre des métiers de plus en plus techniques et des formations qui peinent à évoluer.
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Comme le précisait en introduction Nadège Grosbois, vice-présidente du département de Seine-Saint-Denis, en charge de l’emploi, le Pôle Média Grand Paris mène depuis 2011 une étude bisannuelle prospective sur l’emploi et la formation dans la filière Image sur le territoire nord parisien (Paris et Seine-Saint-Denis). « Ce territoire compte à lui seul près de la moitié des établissements et de la masse salariale de l’audiovisuel français. Son dynamisme et son importance lui confèrent un statut particulier qu’il convient d’observer pour détecter les tendances d’évolution sur l’ensemble du secteur. »

 

 

Nord parisien : 50 % de l’activité nationale

Selon les derniers chiffres (en date de 2017), la filière Image au niveau départemental représente 450 entreprises employant plus de 20 000 personnes. Audiens, par la voix d’Aude Barrallon, chef de missions statistiques, précise : « Sur le département, ce sont quelque 26 000 personnes déclarées dans la filière avec une zone géographique qui croît régulièrement, avec +12 % en 2017. »

L’étude du Pôle Média Grand Paris et de la CST souligne le dynamisme du territoire. Rapportée à l’ensemble de la France, la filière Image nord parisienne (qui inclut donc Paris) représente en 2017 47 % des établissements, 64 % des effectifs et 48 % de la masse salariale. « La production pour la télévision sort en tête avec 26 % de la masse salariale, puis la production cinéma et l’édition de chaînes de télévision (18 %) et ensuite la postproduction (14 %). » Et l’étude de pointer que la Seine-Saint-Denis « bénéficie d’une attractivité importante en forte augmentation depuis 10 ans ».

 

 

Des métiers qui évoluent mais…

Le constat réalisé par les professionnels interrogés dans le cadre de l’étude est unanime… et pour le moins trivial : la filière Image est en profond renouvellement sous l’impact des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Parmi les récentes mutations du secteur, sont pointées la mise en œuvre effective de la remote production, l’arrivée de la 5G qui exige des compétences nouvelles sur la gestion informatique des réseaux et fréquences, l’utilisation de micros HF sur les tournages entraînant de nouveaux besoins en compétence son, etc. « Les fonctions de gestion des données (DIT, data manager, etc.) n’existaient pas il y a dix ans et sont en plein essor, l’utilisation des drones fait évoluer les métiers de l’image (miniaturisation des caméras, postproduction) comme du son (gestion du bruit). » Et l’étude menée par la Ficam et IIFA ne dit pas autre chose.

 

 

… Quid des formations ?

Pourquoi une telle étude ? « Le besoin est venu des entreprises », explique Fabien Marguillard, délégué adjoint à la technique au sein de la Ficam, « celles-ci nous expliquant que les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail n’étaient pas suffisamment bien préparés pour s’adapter aux infrastructures techniques des entreprises. »

Pascal Souclier, directeur général IIFA – Media 180, et copilote de l’étude diffusée le 16 décembre, est encore plus clair : « Pour les techniciens de l’audiovisuel, on est à côté de la plaque, qu’il s’agisse des réseaux, de l’IT, des infrastructures dématérialisées, de l’intégration des remote productions, sans omettre tout ce qui a trait à la virtualisation. » Autrement dit, les techniciens doivent utiliser des outils pour lesquels ils ne sont plus opérationnels…

La formation des personnels en interne est donc incontournable mais, ainsi que le présente l’étude du Pôle Média Grand Paris et de la CST, en regardant le détail des formations dites techniques, « on remarque que les permanents cherchent prioritairement à acquérir des connaissances générales (conception de médias numériques, information, administration-gestion) ». Cela va dans le bon sens. Sauf que, du côté des CDDU, la demande prioritaire se porte sur l’utilisation de logiciels de postproduction, prise de vue et infographie. Des demandes légitimes, mais dans le sillon habituel d’une filière « classique ».

« Face à ces évolutions numériques majeures, quid de la formation pour les intermittents, mais aussi pour les jeunes ? Et ici je pense notamment aux BTS », questionne justement Pascal Souclier.

 

 

Le point de vue des professionnels

Trente-deux entreprises ont été sollicitées pour répondre à un questionnaire soumis par la Ficam et IIFA. « Cette enquête, explique Fabien Marguillard, avait pour objectifs d’une part d’analyser la situation actuelle sur la transition numérique dans l’industrie audiovisuelle et broadcast, et d’autre part de se focaliser sur la dimension spécifique des métiers de techniciens de l’audiovisuel. » Les professionnels interrogés étaient majoritairement des directeurs techniques ayant des fonctions d’encadrement dans les départements techniques broadcast ou d’ingénierie.

Parmi les conclusions de cette enquête, il ressort que « la transition numérique actuelle vers les réseaux et l’IP n’est pas seulement une évolution technique qui s’inscrit dans une continuité naturelle, mais une vraie révolution dans les moyens de fabrication/diffusion, liée à des changements profonds impactant les métiers et les organisations dans les entreprises. »

Trois secteurs sont plus largement concernés : l’exploitation, la maintenance & support, l’ingénierie. Et les entreprises sondées s’empressent d’avancer des éléments de cette évolution : automatisation des processus techniques, plus de polyvalence, plus d’autonomie, plus d’informatique, plus de sécurité et, au-delà, la nécessaire mise en place d’un dialogue entre les métiers de l’audiovisuel et ceux de l’IT.

Face à cette révolution, les entreprises évoquent des difficultés de recrutement sur ce type de profils à tel point que, note l’étude, deux tiers d’entre elles procèdent à des recrutements d’ingénieurs issus de filières informatiques et réseaux « alors qu’elles ont longtemps fait appel aux compétences de techniciens sortant de BTS-MAV TIEE » (BTS métiers de l’audiovisuel technique d’ingénierie et exploitation des équipements).

 

 

Réformer le BTS TIEE ?

Loin de stigmatiser la formation des BTS-MAV, 70 % des professionnels interrogés – et plus globalement la Ficam – maintiennent leur confiance dans le diplôme de technicien supérieur MAV… mais souhaitent qu’il soit réformé. Pour rappel, la dernière réforme date de 2013 – autant dire un siècle au vu des évolutions permanentes de la technique dans le secteur.

Plusieurs pistes de réflexion sont avancées pour faire évoluer le BTS TIEE comme une part plus importante de formation accordée à l’informatique et aux réseaux au détriment (relatif) de l’analogique. Les entreprises évoquent aussi la mise en place d’une troisième année de formation avec plus de pratique, voire « la poursuite après le BTS d’un cursus de spécialisation au niveau LMD ».

Il est intéressant de noter que les entreprises sondées évoquent l’idée de l’alternance et même de l’accueil en entreprise pour des séances de travaux pratiques (83 %) ou des interventions ponctuelles dans les écoles (93 %). Sur ces dernières préconisations, il convient de rester quelque peu circonspect : dans d’autres secteurs de l’image, cette volonté d’ouvrir les portes aux étudiants selon des dispositifs de ce type s’est heurtée à la réalité d’une économie en flux tendu qui ne laisse guère de place au temps de formation « offert ». Pragmatique, Pascal Souclier soulignait lors de la conférence du Satis que « les entreprises ne sont pas une “école bis” ; on a besoin de la brique IT mise en œuvre dans les cursus car les entreprises n’ont pas le temps de les former avant qu’ils soient opérationnels ».

 

 

Un nouveau référentiel pour le BTS TIEE

Mi-décembre, à la suite de cette enquête suffisamment exhaustive pour être entendue par l’Éducation nationale, la Ficam a publié un document proposant une révision du référentiel existant du BTS TIEE. Une fois encore, le dialogue est de mise comme l’indique la Fédération : « Le référentiel ci-après est proposé de façon ouverte. Il sera évidemment amené à évoluer avec la contribution des acteurs de l’industrie, les entreprises et les instances sociales. »

S’appuyant sur le référentiel actuel, il se décline en trois grandes activités : technicien d’exploitation, technicien de maintenance et support, technicien d’ingénierie. Sans entrer dans le détail (le référentiel est disponible sur le site de la Ficam), il convient de noter cependant l’imbrication des savoirs entre les trois grandes activités, à l’instar d’une poupée russe : les techniciens de maintenance doivent connaître l’activité d’exploitation, celui d’ingénierie les deux autres activités ce qui, de fait, entraîne une montée en compétence indéniable.

 

 

Quelles compétences ?

Le technicien d’exploitation, tel que préconisé dans le nouveau référentiel, doit pouvoir exploiter des environnements informatiques (Windows 7, 10) et réseaux (LAN), mettre en application la stratégie de sécurité informatique et réseau, pouvoir échanger avec les équipes support et administration des réseaux. Il doit aussi être en mesure d’exploiter et transcoder les fichiers dans un contexte réseau dématérialisé, d’assurer la diffusion en streaming, tout en réalisant des contrôles d’équipements via des logiciels dédiés.

Outre ces compétences, le technicien de maintenance et support assurera l’installation, l’exploitation et la maintenance au quotidien des équipements et applications informatiques de production audiovisuels. Il devra se charger de l’installation et de la maintenance au quotidien des réseaux de flux vidéo, tout comme le déploiement d’installations réseau VLAN, appliquer les normes vidéo IP et le standard SMPTE ST-2110.

Pour le technicien d’ingénierie, s’ajoutent aux activités précédentes la définition et le déploiement d’infrastructures dématérialisées, la mise en place de solutions de stockage et d’archivage, la capacité à déployer une virtualisation et à mettre en œuvre la stratégie de sécurité afférente et, enfin, choisir et mettre en œuvre une infrastructure vidéo IP 2110 interopérable.

 

 

En attendant, l’Ina…

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que l’auto-apprentissage devient véritablement mission impossible. Le risque – en attendant cette possible réforme – est que les entreprises cherchent à recruter dans des filières informatiques plus poussées… avec l’écueil d’engager des personnels qui n’ont pas la culture de l’image et de l’audiovisuel. Pour Alain Rocca, directeur délégué à la formation, à l’enseignement et au conseil au sein de l’Ina, « l’institut a un rôle dans l’analyse globale des évolutions de marché et également au titre de notre centre de formation. Ce sont des investissements coûteux pour le centre de formation, mais obligatoires pour être capable de produire une densité de formation en adéquation avec les attentes des entreprises. »

Mais cette demande croissante de profils techniques de la part des sociétés pose question : comment faire pour mettre en place plus de formations, avec plus d’étudiants sans pour autant dégrader la qualité de formation délivrée ? La question des ressources injectées est décisive pour envisager de rattraper ce décalage.

Avec une double casquette formations initiale et continue, l’Ina a, dans cette optique, mis sur pied la classe Alpha à destination de « jeunes qui sont dans l’aisance digitale mais en difficulté scolaire », explique Alain Rocca. « C’est un pari avec un cursus nouveau qui débutera en septembre 2020 et sera ouvert aux jeunes même non-bacheliers. Une année type MANAA (mise à niveau en arts appliqués, dispositif stoppé en 2019) pour expliquer que l’audiovisuel est une industrie recouvrant de multiples dimensions – techniques et artistiques – et ouvrant beaucoup de portes. Nous espérons que cette année leur permettra de mieux appréhender la diversité et parfois la complexité des métiers. »

 

 

Faire évoluer métiers et mentalités

Si l’étude de la Ficam est le fruit d’une expression factuelle des entreprises, il reste désormais à la mettre en place tout en poursuivant cette démarche itérative entre professionnels du secteur et représentants de l’Éducation nationale. Car la Fédération ne souhaite pas à l’inverse basculer le paradigme : « si nous n’arrivons pas à fournir des personnes à double compétence (réseau et vidéo) en formation initiale et en formation continue, le risque est d’avoir de plus en plus de personnes au profil informatique et on va perdre en qualité, en historique et en vision de l’image. »

Avec l’automatisation et l’IA, beaucoup de métiers, notamment dans l’exploitation, vont disparaître ; il faut donc réorienter les métiers et les formations pour pouvoir permettre l’emploi sur des terrains où il y a des demandes. Car si certains métiers sont en perdition faute d’emploi, d’autres souffrent de l’insuffisance, voire de l’inexistence de ressources. Plus que jamais flexibilité et polyvalence sont de mise.

 

 

CHIFFRES CLÉS

(source Pôle Média Grand Paris)

• 26 309 salariés de la filière en Seine-Saint-Denis

• 63 % d’hommes salariés de la filière Image

• 98 % des entreprises emploient moins de 49 ETP

• 17 235 actions de formation engagées auprès des salariés de Paris et de Seine-Saint-Denis

• 31 % des personnes formées ont entre 36 et 45 ans.

 

L’étude menée par le Pôle Média Grand Paris et la CST est disponible ici en lecture 

L’étude menée par la Ficam et co-pilotée par IIFA est disponible ici

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #35, p.24/26. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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