France Télévisions : Entretien avec Bruno Patino

Bruno Patino est Directeur Général Délégué aux Programmes, aux Antennes et aux Développements Numériques de France Télévisions.
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France Télévisions est leader sur le marché de l’audiovisuel français, avec des audiences pouvant atteindre plus de 30% de part de marché. Un groupe qui, face à une concurrence forte, évolue à la vitesse des changements technologiques de ce siècle…

 

« Je ne sais pas si c’est une course à l’audience. J’ai dirigé pendant 3 ans, France 5 ; notre ambition était l’affirmation de cette chaîne, comme celle de la connaissance, au sens large. Aujourd’hui, j’ai la responsabilité des programmes du groupe France Télévisions : France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô. L’audience est importante, son évolution permet d’évaluer les liens avec les téléspectateurs. Notre modèle économique est particulier : les recettes publicitaires doivent être générées avant 20 heures. Il n’en reste pas moins, même si la part de marché globale du groupe est de l’ordre de 29 à 30%, que nous devons, en tant que service public, poursuivre le développement de programmes de qualité. Les chaînes du groupe sont différentes dans leurs lignes éditoriales. Et, il est nécessaire de faire un travail de pilotage d’équipe. Les directeurs d’antennes et de programmes sont, au final, les animateurs d’offres programmatiques riches de leur diversité… »

Bruno Patino

 

Marie Cornet-Ashby : Peut-on dire, que votre double culture vous offre un regard plus riche sur le monde ?

Bruno Patino : Oui, j’ai une double culture, latino-américaine et française. J’ai été « baigné » par les deux langues que sont l’espagnol et, le français. Elle a, peut être, aiguisée une certaine curiosité… D’ailleurs, j’ai toujours beaucoup voyagé ou vécu à l’étranger. Les métiers des médias et du journalisme exercés dans la famille, de part et d’autre de l’Atlantique, donnent-ils un regard plus riche ? Je ne sais pas. Un regard différent, sans doute ! Je pense que le métissage apporte beaucoup en terme d’ouverture, si je peux dire cela, ainsi. La culture bolivienne est très musicale. De ce fait, la musique est essentielle, dans ma vie…

 

M. C-A. : Quel souvenir gardez-vous de votre expérience auprès des Nations Unies ? New York, l’Amérique Latine et, le journal Le Monde…

B. P. : Cela a été ma première carrière ; je me dirigeais, vers les Nations Unies, à la direction du Programme pour le Développement en l’Amérique latine. J’étais, alors, en poste au Chili et, j’ai fait la connaissance d’un correspondant du Monde qui partait. Il cherchait son successeur et j’ai repris son poste… Le hasard de la vie m’a poussé vers la voie du journalisme. L’univers des médias m’est apparu, alors, comme une certitude.

 

M. C-A. : Devenir Vice-président du journal Le Monde : un succès, une étape…

B. P.  : Cela n’a pas été aussi rapide, que cela. Deux choses ont été déterminantes dans ma carrière la rencontre avec ce correspondant du Monde et l’arrivée d’Internet. En 1999, Jean-Marie Colombani, Président du groupe, m’a confié le développement du site. à l’époque, Internet naissait ; j’étais à la tête d’une petite équipe, pour construire Le Monde.fr. Je me rendais compte, d’ailleurs, que j’étais placé à un endroit stratégique. Il fallait découvrir et inventer avec une nouvelle économie bouleversant le journalisme et son équilibre économique ! Mon évolution au Monde est sans doute, liée à celle fulgurante d’Internet. En 1999, l’activité Web était marginale et, en 2008, quand j’ai quitté le groupe, elle était devenue centrale…

 

M. C-A. : C’est un challenge qui vous a intéressé ?

B. P. : Non, pas intéressé mais passionné ! La révolution Internet est fondamentalement « Majeure », avec ses conséquences anthropologiques… Et, toutes les générations n’ont pas eu la chance de voir un phénomène comme celui d’Internet se produire ! Voir, cette vitesse et cette profondeur et, je dirais : cette amplitude de changement, en aussi peu de temps, a été exceptionnel. Il nous a fallu inventer et innover dans des délais courts ! Je réalise qu’il a fallu créer un besoin qui correspondait aux niveaux usages de « Toute » une société et, aussi dans sa manière de s’informer. Notre offre, se devait d’être cohérente. Oui, cela a été un succès !

 

M. C-A. : Pourquoi avoir accepté la direction de France Culture ?

B. P. : Quand j’ai quitté le Monde, on m’a proposé la direction de France Culture, et je n’ai pas hésité ! France Culture est une radio que je considère comme formidable. J’ai toujours essayé de collaborer à des médias dont je pense qu’ils aident à émanciper les gens qui les utilisent. Je connaissais la maison de Radio France, j’écoutais les programmes de France Culture. Je suis arrivé sous le mandat de Jean-Paul Cluzel. J’y suis resté deux ans. Rémy Pflimlin m’a proposé, ensuite, de rejoindre ses équipes à France Télévisions.

 

M. C-A. : Vous y entrez en 2010, avec une mission : mettre en place la plateforme d’information en continu du groupe France Télévisions… Ce tournant vers le numérique est-il essentiel, pour vous ?

B. P. : Par rapport au numérique, nous souhaitions trois choses. Déjà, se mettre dans course pour l’information et le sport. Cela s’est fait avec les sites : francetvinfo.fr et culturebox.francetvinfo.fr. Ensuite, il était essentiel pour nous d’assurer la diffusion de tous les programmes des chaînes, sur tous les écrans possibles. A titre d’exemple, nous avons aujourd’hui un rythme de 1 milliard de vidéos vues, par an ; il y a 4 ans, l’offre était marginale ! Enfin, nous avons tenu à insérer dans nos contenus des offres pour des audiences connectées…

 

M. C-A. : Est-il possible de connaître le budget alloué au numérique, au sein de votre groupe…

B. P. : Il correspond, encore, à moins de 2% du budget global. Néanmoins, il permet de faire des choses. En central ici, il est de 35 millions. Si l’on rajoute les régions et l’Outre-Mer, nous comptons sur 60 millions. Cela reste modeste mais permet néanmoins d’exister dans ce domaine. Pour faciliter, l’intégration du numérique, nous organisons des Comités de réunions entre les équipes éditoriales et, celles du numérique. Un catalogue d’outils du numérique est aussi disponible à l’usage des directeurs de programmes…

 

M. C-A. : Quelle impulsion, souhaitez vous donner à votre groupe ? Quels sont vos objectifs, à court et moyen terme ?

B. P. : Il y a des choses, que l’on impulse et, encourage. D’autres que l’on arrête… Le tout en dialogue permanent avec les directeurs d’antennes et de programmes des différentes chaînes avec qui nous formons une collectivité.

Quand je suis arrivé, j’ai souhaité plusieurs choses…

Déjà, accélérer l’effort de l’offre fiction déjà, enclenchée. Cette année, nous avons une montée en gamme de la fiction de France 3 et de celle de France 2. Nous avons engagé une politique d’acquisition des « deuxième saison » avec Candice Renoir ou Les Hommes de l’ombre sur France 2 qui confortent un choix stratégique ambitieux.

Concernant l’offre culturelle, Alcaline sur France 2, Musiques en fête sur France 3, Les Francofolies, Rock en Seine sur France 4, Entrée libre sur France 5… Nous positionnent au cœur des nouveautés.

Je trouve que notre offre globale de documentaires est étincelante. Concernant les magazines, je considère que nous sommes à niveau. Même s’il faudra réinventer, toujours et mieux…

Il faudra sans doute renouveler le divertissement sans mettre de côté les piliers de notre offre, mais également en inventant de nouvelles choses, là aussi. Nous en parlons beaucoup, avec Thierry Thuillier, le directeur des programmes de France 2.

 

M. C-A. : France Télévisons est un partenaire essentiel du Cinéma…

B. P. : France Télévisions Cinéma fait partie des grands financeurs de cette industrie. Notre budget est de l’ordre de 60 millions d’euros par an, à travers nos deux grandes filiales que sont France 2 et France 3 Cinéma. Ces deux dernières années, nous avons pris la belle habitude de recevoir des prix, comme avec The Artist, La vie d’Adèle ou Les garçons et Guillaume, à table. Nous avons une assise importante dans le secteur du cinéma grand public et, d’auteur. Pour moi, le positionnement des directeurs de nos filiales est très bon. Cette année, nous avons eu une distinction, au Festival de Cannes, grâce à Timothy Spall et son Prix d’interprétation masculine dans Mr Turner de Mike Leigh (France 3 Cinéma). Notre investissement dans le secteur du cinéma, conséquent, a vocation à perdurer avec notamment, le prochain film de Woody Allen…