Face aux géants du Net, les chaînes contre-attaquent ?

Depuis le 18 septembre 2014, Netflix a ouvert son service dans l’Hexagone. Quatre ans après, selon Libération, le site américain comptait 3,5 millions d’abonnés en France (avril 2018), il aurait atteint les 4 millions fin  2018 (139 millions dans le monde)...
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La SVOD fait dorénavant partie des usages en France : selon les chiffres dévoilés par Médiamétrie, un internaute sur trois a utilisé un service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) au cours des 12 derniers mois, soit 30 % des internautes de 6 ans et plus. Même si la France n’est pas encore comparable aux États-Unis – où Netflix a fait sa mutation d’un service de location de DVD par abonnement à une plate-forme de SVOD depuis 2007 – depuis un an, ce service a réussi à gagner en notoriété et s’est installé dans les foyers, au nez et à la barbe des diffuseurs locaux qui n’y croyaient pas. En France, la SVOD a mis du temps à faire l’objet d’attention de la part des grandes chaînes et groupes, c’est le moins que l’on puisse dire.

 

Une prise de conscience rapide, mais un développement tardif

Dès 2007, après avoir lancé la VOD (TF1Vision), Pascal Lechevallier, alors directeur du développement de la chaîne, propose de développer TF1Vidéo, qu’il portera jusqu’à son départ trois ans plus tard. « Reed Hastings a compris que le public avait une appétence pour la vidéo à domicile, il l’a dématérialisée, il a fait payer un abonnement comme dans l’ancien vidéoclub physique. La SVOD n’est pas de l’Internet, celui-ci n’est que son canal de distribution », explique-t-il. À l’époque, aucune chaîne française ne croit au concept même de la SVOD… Et, pourtant en 2008 des discussions s’ouvrent entre M6 et TF1 pour un projet de service commun : M1, contraction de TF1 et de M6.

Si d’autres acteurs, comme Vodéo, auraient pu se lancer dans ce secteur, ils étaient toutefois bloqués par des questions de droits et d’acquisitions. « Free a d’ailleurs lancé FreeHome Video en 2008, on y retrouvait des séries américaines diffusées sur TF1 », reprend Pascal Lechevallier. Celui-ci servira de base à la création de CanalPlay en 2011. Ce service avait une double contrainte : « celle de ne pouvoir proposer une offre peu chère alors que l’abonnement était à 40 euros et l’impossibilité d’exploiter les formats originaux, suite aux injonctions de l’Autorité de la concurrence [tombées en 2018], conséquemment au rachat de TPS », souligne-t-il.

Dès 2012, l’équipe, alors dirigée par Manuel Alduy, essaie d’anticiper l’arrivée de Netflix (jusqu’au dernier moment celle-ci n’était pas clairement datée), service qui ne pouvait s’appuyer sur ses formats originaux. Après l’arrivée de la nouvelle équipe et le départ des dirigeants historiques de CanalPlay, cette offre a été réintégrée dans l’offre Canal, perdant notamment ses 250 000 abonnés via SFR. Après avoir tenté la SVOD, CanalPlay est dorénavant vouée à être fermée comme l’a indiqué Maxime Saada, PDG du groupe et tout nouveau président de l’Association des chaînes privées (ACP), le 5 décembre dernier lors de son audition devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale : « Il n’y a pas vraiment eu de mesures pour nous aider. CanalPlay a disparu de la circulation, à tel point qu’on va arrêter cette offre dans quelques semaines ». Malgré tout, Canal+ n’aurait pas dit son dernier mot, précisant que dès le premier trimestre de 2019, un service de SVOD devrait remplacer le service disparu.

Si toutes les autres chaînes n’ont juste pas pris à temps le virage de la SVOD, cela s’explique aussi par le fait que ce sont des projets qui demandent des millions d’euros d’investissements. Certaines comme M6 ont préféré privilégier le gratuit, le replay. On en est arrivé là car ils ont sous-estimé le pouvoir du consommateur à l’ère numérique et l’envie du client de SVOD. « Ils n’ont pas vu que les jeunes générations n’iraient plus sur la télé », soupire Pascal Lechevallier.

Pour Romain Bessi, directeur général des contenus du groupe Newen, ancien de Canal+, personne n’a prévu l’ampleur des investissements et du roll-out de Netflix. La durée d’écoute a dégringolé. Les chaînes françaises ont pris conscience de l’impact de Netflix et Amazon depuis trois ans en observant les conséquences de leur présence sur d’autres pays comme les Pays-Bas. « L’approche de Netflix a été de chercher des publics, les 15-34 ans, qui n’étaient pas la cible première des chaînes de télévision. Au début, elles ne les ont pas vus comme des concurrents, puis elles ont pris conscience que le temps d’écoute n’était pas extensible », constate-t-il.

En 2018, Netflix fête ses dix ans. Si un accord sur une nouvelle chronologie des médias a été signé le 21 décembre dernier au ministère de la Culture, la révolution des écrans n’est pas à l’ordre du jour. Si les chaînes payantes « vertueuses » tirent leur épingle du jeu de cette nouvelle chronologie, les autres chaînes payantes voient leur fenêtre passer de 12 à 18 mois. Pour contrer ce mastodonte américain et ses collègues, les chaînes françaises seraient bien avisées de mettre le turbo sur Salto, le site de SVOD regroupant acteurs publics et privés.

 

S’allier ou mourir ?

Cette alliance, vue par certains spécialistes comme impensable avant le choc Netflix, peut-elle arriver à drainer un nouveau public et à freiner le rouleau compresseur des géants américains de la SVOD ?

« Personne ne pouvait imaginer une alliance entre TF1, M6 et France Télévisions pour regrouper leurs programmes il y a trois ans », sourit Romain Bessi. Sur le papier, ses perspectives sont présentées ainsi : « une réponse ambitieuse aux nouvelles attentes du public avec un service de qualité, innovant et simple d’accès. Cette plate-forme, dévoilée en juin 2018, proposera une offre d’une variété sans égale : information (JT, magazines, événements spéciaux), sports, divertissements, fictions françaises, séries US, documentaires et cinéma ».

Salto entend s’articuler « de la meilleure manière avec les plates-formes gratuites existantes : MYTF1, 6Play et France.tv ». Là où l’ironie pointe son nez, est que Salto, selon les mentions légales du site-vitrine en ligne, est hébergé par Amazon Web Services.

Tout l’art de Salto sera de proposer des programmes qui auront été diffusés en gratuit dans un abonnement payant (entre 1,99 et 6,99 euros selon Le Figaro). « Par exemple, un programme comme Plus belle la vie est énormément piraté alors qu’il est diffusé en clair. C’est lié à des habitudes de consommation », relève Romain Bessi de Newen.

Le but de Salto serait aussi de changer des habitudes de piratage en renvoyant sur une plate-forme légale. À l’heure actuelle, le dossier est sur le bureau de l’Autorité de la concurrence. Comme le précisait Takis Candilis, le directeur général chargé de l’antenne et des programmes de France Télévisions, lors d’un déjeuner de l’Association des journalistes médias le 9 octobre dernier, celle-ci a entre trois mois et un an pour donner son avis, puis Salto sera examiné par les fourches caudines des instances européennes.

Outre la mise en place d’une gouvernance à trois têtes, il ne sera pas simple de rivaliser avec les Netflix et Amazon en termes de budget (8 milliards de dollars pour le premier seront investis dans les contenus en 2018). « La concurrence américaine a pris une avance considérable. Pour faire sortir les gens de Netflix, bon courage ! Il ne faut pas tuer Salto avant qu’il ne naisse, mais on ne peut que constater qu’il y a un retard énorme », constate Pascal Lechevallier. Un retard qui se creuse puisqu’à l’heure où nous bouclons, aucune date de lancement n’est encore connue.

Dans les pays voisins, certains ont déjà pris le taureau par les cornes, à l’instar des chaînes britanniques. Cet été, la BBC s’est ainsi rapprochée de ITV et de Channel 4 pour investir 125 millions de livres sterling pour transformer la plate-forme Freeview en un service mêlant replay et SVOD. Avec leur partenaire technique Arquiva, ils ont développé ce service hybride avec la bénédiction du régulateur anglais, l’Ofcom. Sur le territoire nord américain, BBC et ITV ont même lancé Britbox, un service de SVOD au tarif de 6,99 $ proposant le meilleur des productions britanniques.

Si la France a longtemps été dans le déni, le Japon a, quant à lui, réagi très rapidement. Les chaînes telles que TBS ont inventé TBS On demand, TV Asahi développant AbemaTV ou Nippon TV mettant la main sur Hulu Japan. Ces groupes se sont unis dès 2015 avec Fuji TV et TV Tokyo pour proposer TVer, une application gratuite de catch-up TV proposant le meilleur de chaque chaîne. Si les méthodes diffèrent, l’union semble rester la réponse naturelle pour faire face à la déferlante des plates-formes mondiales.

 

Créer des fictions ensemble

Autre initiative afin d’augmenter le volume des productions premium de fiction : s’allier avec des groupes hors de nos frontières. Dans les colonnes du Monde, Delphine Ernotte-Cunci déclarait en 2017 : « Les services publics européens investissent chaque année 14 milliards d’euros dans la création originale de contenus, tandis que Netflix en investit 7 milliards. Si nous mettons en commun une partie de ces moyens, nous pouvons demain peser sur la scène internationale. »

Le 3 mai dernier, la présidente de France Télévisions annonçait la naissance de l’Alliance, « un regroupement audiovisuel européen ayant pour objectif de pouvoir financer et proposer aux téléspectateurs des projets de fictions de plus grande envergure ». Parmi les projets dévoilés alors : Leonardo, une coproduction entre la RAI, ZDF et France Télévisions, pour le 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci, en 2019, Mirage, tournée début 2019 à Dubai (Lincoln TV, coproduite par France Télévisions, la ZDF et le producteur canadien Cinéflix, ou encore Eternal City, coproduite par la RAI et France Télévisions. Si l’Alliance est composée des trois groupes audiovisuels publics européens France Télévisions, la RAI (Italie) et la ZDF (Allemagne), elle est également ouverte à des partenaires privilégiés tels que la RTVE (Espagne), la RTBF (Belgique), la VRT (Belgique) et la RTS (Suisse).

Ce partenariat a été précédé par l’annonce, le 19 avril, d’un rapprochement du même genre dans les pays scandinaves : les cinq chaînes publiques de Suède, Finlande, Norvège, Danemark et Islande ont imaginé Nordic12. Son but : produire ensemble douze fictions par an qui seront ensuite diffusées sur les TV et plates-formes de chacun des pays.

Outre les chaînes publiques ou privées, les services OTT ne sont pas en reste et tentent aussi de prendre leur part de l’intérêt vif des spectateurs pour la SVOD. Ainsi, Atrium TV est un club regroupant des services de SVOD OTT, tels qu’Orange en France, imaginé par Sir Howard Stringer, ex-PDG de Sony et CBS, et Jeremy Fox, DG de la société de distribution internationale DRG, en avril 2017. Leur but : rivaliser avec Netflix et consorts en attirant à eux les fictions les plus prestigieuses.

« Nous représentons 50 millions d’abonnés de 18 services OTT du monde entier, dont Orange. Unis, nous ne sommes pas ridicules, nous pouvons monter des budgets conséquents. Les projets choisis sont d’une haute qualité, c’est indispensable », nous a expliqué Dave Clarke, directeur des contenus de DRG et d’Atrium TV, lors du MIPcom.

Basé à Londres et à Los Angeles, le concept d’Atrium TV est simple : leur objectif est de trouver des concepts de fictions forts et de les soumettre à leurs membres. Si l’un décide d’investir dans une série, il aura les droits de diffusion et de ventes dans son territoire, le reste des ventes étant géré par DRG. Ce montage ne tient que s’il n’y a qu’un seul membre par territoire.

 

Quel avenir pour les diffuseurs traditionnels ?

On ne peut que constater que les chaînes historiques sont actuellement fragilisées par la baisse des audiences générales et mondiales et par le vieillissement de leurs téléspectateurs. Même si le marché publicitaire reprend des couleurs, les recettes demeurent bien moins dynamiques que celles du digital. Selon les derniers chiffres de l’Institut de recherches et d’études publicitaires (Irep), si la publicité TV gagne 1,6 %, celle sur Internet est en hausse de 16 % (dont 30 % pour le display). « Cela ne va pas être facile, mais elles peuvent survivre et des alliances publicitaires comme celle signée entre TF1, ProSiebenSat.1 et Mediaset va dans ce sens », modère Romain Bessi. De même Sygma, un accès standardisé et sécurisé à la donnée loguée en programmatique, en partenariat avec Adobe Advertising Cloud, a été annoncé par les trois régies FranceTV Publicité, M6 Publicité et TF1 Publicité en septembre dernier.

Malgré ces regroupements, selon Pascal Lechevallier, les chaînes ne seraient-elles pas en train de passer à côté de la ruée vers l’OTT, une voie de diversification autour de la vidéo payante ? Ces chaînes ont-elles les reins assez solides pour porter des plates-formes de SVOD à l’aune d’une compétition dont l’échiquier est dorénavant mondial.

« Je suis plus circonspect. Netflix, Amazon et consorts se sont positionnés solidement. Nous n’avons aucun moteur de recherche européen, ni réseau social… Nous sommes dans une logique où l’Europe du numérique vacille. Pour être solide, peut-être aurait-il fallu avoir une vision européenne dès 2010. Aujourd’hui, il n’y a pas d’issue face aux gigantismes des offres américaines », conclut celui qui fut l’un des plus grands pourfendeurs de Netflix. Malgré tout, la résistance semble s’organiser du côté de Canal+, avec une offre pour les jeunes.

Alors que le ministre de la Culture et de la communication, Frank Riester, grand spécialiste de l’audiovisuel, reprend le dossier de l’audiovisuel public, gageons qu’après le rapport porté par la députée LREM, Aurore Bergé, le gouvernement va tout faire pour que les chaînes françaises puissent jouer à armes égales avec les géants américains. Tout reste à faire.

Selon la journaliste Capucine Cousin*, « plusieurs études montrent qu’à l’avenir le téléspectateur tendra à cumuler deux abonnements : un local, et un global, ou une offre de niche. Cela semble être le mode de consommation futur. Les jeunes générations ne regardent plus les chaînes classiques en live, mais préfèrent le replay et les plates-formes type YouTube ».

Parmi les nouvelles voies explorées par les services audiovisuels publics, Prime Culture, un nouveau média social sur Facebook, vise à « favoriser l’accès à la culture ». Si Salto prend son temps pour bondir, France Médias Monde, TV5 Monde, Arte, l’Ina, France Télévisions et Radio France tentent de séduire les Millennials, avec ce « Brut » de la culture.

À l’heure des coupes budgétaires, on s’interroge sur le futur de ce service de SVOD. Parallèlement, Molotov, fondé par Pierre Lescure, Jean-David Blanc et Jean-Marc Denoual, revendique 7 millions d’utilisateurs (fin décembre). Cette plate-forme de télévision en direct et en replay serait en discussion avec France Télévisions, le groupe audiovisuel public se verrait bien utiliser la technologie de Molotov pour « accélérer sa transformation numérique ».

L’objectif de ce partenariat permettrait à France Télévisions de développer son offre de service de vidéo sur Internet et à la demande, selon l’Express. Un accord stratégique qui offrirait enfin à Salto l’occasion de bondir vers les téléspectateurs ? Rien n’est moins sûr selon Les Échos, citant Takis Candilis. « Demain, c’est-à-dire dans cinq à dix ans, notre principal canal de diffusion sera france.tv, c’est-à-dire la déclinaison numérique du groupe, où l’on retrouvera à la fois les signaux live, le replay et des contenus spécifiques. Nous mettons tout en place dès maintenant pour préparer cette mutation. » Face à un calendrier encore bien flou, les géants de la SVOD ont encore un boulevard pour engranger des abonnements…

 

Une nouvelle chronologie des médias bien timide (voir aussi plus loin « Dernière minute »)

Le 21 décembre dernier, le ministre de la Culture pouvait se frotter les mains. Après des mois, voire des années, un accord avait enfin été trouvé entre les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. L’enjeu est de taille et, chaque fois, les pouvoirs publics se sont heurtés aux intérêts divergents des acteurs du secteur. L’accord signé court pour trois ans avec une extension tacite d’un an. Quelles sont les nouveautés ?

Pour rappel, la chronologie des médias définit chaque fenêtre d’exclusivité réservée aux différents financeurs du cinéma français et lui permet de protéger son retour sur investissement. Clé de voûte de la production du septième art français, ce découpage de la vie commerciale d’un film datant de 2009, il était vital qu’il soit totalement rénové à l’heure où des Netflix et autres YouTube ont muté en producteurs de contenus. Les intégrer dans la temporalité du cinéma français devenait une évidence.

Si la VOD et le DVD restent à quatre mois après la sortie en salle, les films ayant généré moins de 100 000 entrées peuvent bénéficier d’une dérogation à trois mois. Cette nouvelle chronologie permet surtout aux consommateurs de ne plus subir le gel de la VOD. Canal+ et les autres chaînes de TV payante voient leur fenêtre ramenée de 10 à 8 mois (voire à six mois pour les films ayant réalisé moins de 100 000 entrées après un mois d’exploitation), sous réserve que ces chaînes respectent certaines obligations (quotas de diffusion des œuvres françaises et européennes, accord financier avec le cinéma français, etc.).

Lors d’une seconde fenêtre d’exploitation par les services payants de cinéma, les délais passent à 17 mois (15 pour la dérogation) et s’alignent sur ceux des services de vidéo à la demande les plus vertueux. Les délais précédents (24 mois, 22 mois pour la dérogation) ne bougent pas si les conditions d’applicabilité posées par l’accord ne sont pas respectées. Côté chaînes en clair et autres TV payantes non cinéma, la fenêtre s’ouvre à 30 mois (28 mois en cas de dérogation), celles qui investissent (3,2 % de leur chiffre d’affaires dans le financement d’œuvres européennes) pourront diffuser les films 22 mois après leur sortie en salle. Ce délai peut être ramené à 19 mois pour les films n’ayant pas été acquis par la télévision payante pour une seconde fenêtre de diffusion ou par la SVOD (contre 22 et 30 mois selon les cas énoncés avant).

Quid de la SVOD ? Dans l’ancienne mouture, le délai était de 36 mois. Dorénavant, trois cas de figure existent. Pour obtenir une fenêtre à 17 mois, le service de SVOD doit prendre des engagements de diffusion ou de mise à disposition d’œuvres cinématographiques européennes et d’expression originale française, prévoir un engagement financier d’investissement dans les productions françaises et européennes, répondre à une clause de diversité des investissements, ainsi qu’à un engagement d’éditorialisation de l’offre d’œuvres cinématographiques sur le service et enfin s’engager sur un préfinancement d’œuvres européennes et d’expression originale française. De plus, il devra signer une convention avec le CSA et s’acquitter de la taxe vidéo au CNC. En outre, il sera soumis à un délai de 5 mois maximum d’exclusivité d’exploitation des œuvres uniquement pour les œuvres préfinancées ou achetées par les chaînes en clair ou les autres services de SVOD qui ne bénéficient pas de ces délais les plus courts. Cette clause vise à empêcher un service de vidéo à la demande « vertueux » de priver de diffusion un autre service qui a financé cette œuvre.

Le second régime ouvre une fenêtre à 30 mois (28 en cas de dérogation), en cas d’accord avec le secteur du cinéma. Ce service de SVOD devra consacrer une part de son chiffre d’affaires annuel net au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles au moins égale à 21 % pour les œuvres européennes et 17 % pour les œuvres d’expression originale française. De plus, son catalogue devra proposer au moins 60 % d’œuvres européennes, dont 40 % françaises. Outre le paiement de la taxe vidéo, il devra réserver sur sa page d’accueil une « part substantielle » au cinéma français et européen, une clause venant directement de l’adoption de la directive européenne SMAD.

Enfin, le troisième cas de figure laisse le délai à 36 mois (34 pour la dérogation). Sauf changement de stratégie des géants du Net, Netflix, Amazon et consorts ne voient pas leur régime changer. Enfin, la vidéo à la demande gratuite (YouTube, Dailymotion, etc.) gagne 4 mois, passant de 48 mois à 44 mois. Deux nouvelles dérogations visent à aider à la diffusion des films au budget inférieur à 1,5 million d’euros. Dans le cas du documentaire non acheté par une chaîne, il peut être diffusé 12 mois après sa sortie en salles par les chaînes et les services de vidéo par abonnement soumis normalement à des délais supérieurs (en dehors de la vidéo à la demande gratuite). De même, pour les « petits » films français, ils peuvent être diffusées à la télévision ou en SVOD « à l’expiration d’un délai de 17 mois dès lors que les droits d’exploitation de l’œuvre concernée ont fait l’objet d’une proposition d’acquisition auprès de l’ensemble des éditeurs de services relevant d’une fenêtre d’un délai inférieur à 22 mois ou plus, qui n’a donné lieu, jusqu’à la fin de la fenêtre d’exploitation exclusive en salles de cinéma, à aucun achat ou préachat au titre de cette fenêtre, alors que ces droits étaient contractuellement disponibles ».

Si le but de ce nouvel accord avait été d’intégrer Netflix et Amazon au financement du cinéma français et européen, il semble que cela soit raté… Quand il faudra revoir la copie, les Netflix et consorts n’auront-ils pas été rejoints par de nouveaux acteurs de la SVOD américains, voire chinois ? Si le système français est pérennisé pour une poignée d’années, n’est-ce pas reculer pour mieux sauter ?

 

NETFLIX SE GLISSE DANS LES QUOTAS DE LA DIRECTIVE SMAD

La directive sur les services de médias audiovisuels imposera aux plates-formes de SVOD étrangères de proposer 30 % d’œuvres européennes dans leur catalogue. Netflix a commencé à investir dans la production française, annonçant sept séries locales pour 2018, et propose des spectacles de comiques extrêmement populaires comme celui de Gad Elmaleh. Pour l’arrivée en ligne de sa deuxième série française, après Marseille, Plan Cœur (8 x 26 minutes), Netflix s’est offert une campagne de publicité digne d’une sortie de Noël. Présent dans l’Hexagone en octobre dernier, le PDG de Netflix a bien affirmé vouloir être dans les clous en s’acquittant notamment de ses taxes, montrant ainsi que la France est devenue un territoire central de sa stratégie. L’ouverture d’un bureau à Paris n’est qu’une preuve de plus.

* Pour ceux qui n’auraient pas suivi la saga Netflix depuis sa création en 1997, * Capucine Cousin propose dans son ouvrage Netflix & Cie, les coulisses d’une (r)évolution (Armand Colin, 180 p.) un condensé factuel de l’aventure menée par Reed Hastings.

 

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #30, p.38/42. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.