Frédéric Clopet, décorateur de web TV, un métier d’aujourd’hui !

Incontournable des plateaux radio et télévision, parce que la radio se met à faire de la « radiovision », le métier de décorateur télé (TV set designer) s’est élargi par les nouveaux supports numériques, notamment la web TV. Fred Clopet a répondu à nos questions et nous dévoile son passionnant parcours !
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Mediakwest : Quel est votre métier ?

Fred Clopet : Je suis embellisseur d’espace pour l’audiovisuel. À la base, c’est décorateur ; en anglais, TV set designer ; c’est un peu plus que décorer un espace, c’est l’investir et lui donner une âme en fonction d’une problématique audiovisuelle liée à la technique et à une demande précise.

 

M. : Qui fait ces demandes ?

F.C. : Ce peut-être un directeur de chaîne, un producteur ou un réalisateur pour un JT, une émission politique ou de sports, voire une refonte complète d’une chaîne, comme nous l’avons fait pour LCI, France 24, ou bien pour une demande bien précise sur une thématique d’émission. Quand l’interlocuteur n’a pas d’idée, c’est à nous de lui proposer quelque chose. On doit faire preuve d’un peu de psychologie pour connaître la personne et trouver, à travers ses mots, ce qu’elle veut dire, car elle pense rarement en 3D, voire en plan, et ne dessine pas.

 

M. : Comment avez-vous choisi ce métier ?

F.C. : Au départ, je me dirigeais vers l’architecture, donc j’ai fait l’École nationale des Beaux-Arts d’Angers en section architecture. En troisième année, j’ai bifurqué vers le design, l’aménagement global intérieur et extérieur et j’ai fait une spécialisation sur le mobilier éphémère qui m’a conduit au Grand Palais, grâce à un concours gagné qui m’a permis de rester 28 jours sous sa coupole. La SFP est venue me faire une proposition. Je suis parti en stage, aux Buttes Chaumont à l’époque, où j’ai travaillé pour l’émission Sacrée Soirée avec Jean-Pierre Foucault.

Puis, j’ai rencontré un premier décorateur J.C. Josquin, ex-SFP, qui avait monté sa propre entreprise dans le XIIIe arrondissement, la première en France, qui s’appelait Video Film Decor. Il m’a confié un jeu, Run for the money, parce que je parlais anglais, jeu qu’on a appelé en France Questions pour un champion. C’est comme cela que tout a commencé !

 

M. : Où avez-vous appris les techniques vidéo ?

F.C. : Comme à l’école d’architecture je n’avais pas reçu de formation audiovisuelle, notamment la télévision, j’ai donc appris sur le tas ! Il faut être curieux, ouvrir ses yeux, apprendre l’outil vidéo dans sa technicité, ce qu’est la lumière, ce que sont les angles de caméras. Donc, c’est de l’architecture et de la décoration poussées à la technique audiovisuelle, sans oublier de suivre l’évolution de ces techniques, aller aux salons (NAB, IBC, Satis…) et être aussi une éponge de l’air du temps.

 

M. : Quelle est votre façon de travailler ?

F.C. : Ma méthode, c’est souvent de faire un dessin en rapport avec ce que la personne est en train de m’expliquer pour voir si tout de suite on est en adéquation avec son idée et son propos, ce qui permet d’aller beaucoup plus vite et de déceler les idées. Il y a une demande autour d’un thème, il faut donc connaître le scénario de l’émission, ce qu’elle va traiter et nous, on doit essayer de se faire une image globale et faire des propositions.

Pour une émission on est en contact avec le réalisateur. Par exemple, quand je faisais pour TF1 le défilé du 14 juillet sur la place de la Concorde, avec Gilles Amado, on avait un canevas. On savait qu’il y avait cinq protagonistes à une table, on connaissait le type d’ambiance et la surface à couvrir, ce qui nous donnait un cadre. Ensuite, on nous communique les axes de caméra souhaités.

Quand j’étais enfant, je jouais avec une boîte à chaussures et des personnages ; et il n’y a pas très longtemps, je travaillais dans un studio et je me suis fait la réflexion suivante, car on reproduit souvent ce que l’on faisait quand on était petit : dans mon travail, je suis comme dans une grande boîte avec ces quatre murs, et j’essaie de créer des univers.

 

M. : C’est la web TV qui crée ces nouveaux besoins ?

F.C. : J’ai commencé avec les chaînes hertziennes, mais très vite se sont développées les chaînes locales avec des moyens simples, plus « low cost » et des budgets plus réduits, puis rapidement s’est greffée la web TV. Aujourd’hui, c’est devenu très courant ! On peut s’installer dans un bureau de 12 m2 comme ici et faire une émission TV, chose que l’on ne pouvait pas faire il y a quinze ans. Avec la technologie des équipements actuels on peut tout faire en miniature, cela devient intéressant !

Il y a une grande demande car tout le monde peut faire de la web TV avec diverses applications comme un magazine virtuel d’économie. Les grands groupes, comme les banques, les assurances ont déjà, ou vont avoir, leur propre télévision. J’en prépare une actuellement pour un établissement où ils sont plus de 150 000 employés. Il traite en interne l’image et ce média, donc la web TV est partout. Il faut s’adapter à faire des décors en fonction de ces univers avec des éléments correspondant à l’identité déjà forte de ces groupes et faire une déclinaison de l’image audiovisuelle, en leur donnant une qualité dans leur identité.

Avant, il y avait des reportages sur fond incrusté, mais il n’y avait pas toujours l’aspect qualitatif. Maintenant, on a un nivellement par le haut et une recherche de qualité, notamment avec les progrès des caméras 4K, par exemple.

 

M. : Comment mettez-vous en valeur les chaînes radio ?

F.C. : En dehors des chaînes premium, hertziennes, satellitaires et de la TNT, il y a beaucoup de développements autour des chaînes web et des chaînes radio qui, aujourd’hui, comme RTL, Europe 1 et Radio France, se sont mises à la petite caméra pour être diffusées sur le réseau web, en streaming ou non. Donc le design est devenu super important pour les diffusions sur le web.

Aujourd’hui, on ne peut plus filmer dans le noir ou avec des fonds mal agencés. Il y a une réalité de l’image qui répond à l’univers de l’audiovisuel tel qu’il est. Les lumières et les fonds de décor sont très importants pour les protagonistes qui sont autour d’une table.

Nous utilisons des matériaux spécifiques à base de PMMA (plexiglass), qui permettent de faire du rétroéclairage de décor. Ce sont des matériaux translucides qui permettent de générer des flux de lumière et des transitions selon des thématiques et d’avoir un produit très agréable au toucher et résolument contemporain. De nouvelles matières plus écoresponsables arrivent et seront rapidement utilisées.

 

M. : Quels sont les décors qui vous ont le plus marqués ?

F.C. : En télévision, les décors qui m’ont marqué sont nombreux, comme Les routes du patrimoine pour France 3 Corse, réalisé en 2012 et qui s’intègre dans l’architecture du bastion de Porto-Vecchio qui est du XIVe siècle. Il y avait cette confrontation qui était intéressante : les vieilles pierres éclairées, le design et la matière de ce produit. On peut parler aussi des 24 heures du Mans sur la terrasse avec un plateau éphémère ou du Jeu de la Mort – La Zone Xtrême, qui n’est pas une fiction mais un documentaire très fort et réel inspiré de l’expérience de Stanley Milgram et produit par le documentariste Christophe Nick sur les dérives de la télévision.

 

M. : Êtes-vous nombreux sur ce marché ?

F.C. : Nous sommes une toute petite dizaine aujourd’hui avec certains plus spécialisés pour les grandes soirées, les événements, les variétés. Le marché était très important, mais je pense que depuis 2012 la demande diminue et les secteurs se sont raréfiés, les budgets des TV diminuent, donc il fallait prendre une voie, tout en gardant les grandes maisons. J’ai donc choisi la web TV, c’est une niche dans la niche, pourrait-on dire ! On exporte aussi en Afrique, vers le Sénégal, la Côte d’Ivoire, pour les studios de la RTI (2011), en Éthiopie EBC (2015) et bientôt pour une grande chaîne privée de ce pays.

 

M. : Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ?

F.C. : C’est difficile à dire car chaque demande est différente et unique, il y a toujours de l’urgence et ce sont de vrais moments de créativité. Cela va d’un téléfilm que j’ai fait dans le Luberon où on a tourné pendant 40 jours dans un décor extraordinaire (là, ce n’est plus du studio, mais de l’aménagement extérieur, rénovation de vieilles maisons, par exemple), à l’Opéra Bastille, en adaptant un décor italien pour la scène parisienne si particulière. J’ai ainsi goûté à tout ce qu’il faut pour bien comprendre. Par exemple, pour l’émission Questions pour un champion on pensait que l’on allait créer un jeu pour trois à six mois. C’est au bout de huit ans que l’on a changé le premier décor et cette émission dure depuis trente ans, comme mon logo QPUC, l’âge de mon parcours professionnel. Pour Fort Boyard, Jacques Antoine était venu nous voir avec un polaroïd. Il venait d’acheter un fort et je devais faire une étude de faisabilité, faire un budget pour le rendre propre (élimination des ronces). Un an après, le jeu Fort Boyard arrivait sur la 2.

 

M. : Ce studio Vendôme où nous sommes, en êtes-vous le designer ?

F.C. : Oui, auparavant réservé à une agence de presse financière, le plateau télé Studio Vendôme de 60 m2 a été aujourd’hui totalement repensé. L’idée était de pouvoir permettre au client de personnaliser le plateau avec sa propre identité visuelle, mais également de pouvoir transformer le lieu aisément de manière très modulaire et totalement configurable. Il s’adresse, au-delà du cercle de la finance, aux entreprises pour leur communication corporate diffusée sur les plates-formes vidéo Internet. Qu’il s’agisse du domaine pharmaceutique, bancaire, automobile, de l’assurance, du luxe… tous les secteurs désireux de communiquer en interne ou vers une audience plus large sont concernés par ce studio (HD) disponible à la location, à l’heure ou à la demi-journée, avec ou sans techniciens. Les directs sont diffusés sur les réseaux grâce à une double fibre optique et un système de back-up ADSL indépendant à très haut débit. Le studio est également disponible à la location sans son dispositif technique, pour des séances photo de mode et des packshots.

 

M. : Quelles sont vos autres réalisations ?

F.C. : J’ai fait des émissions politiques pour le journal de France 24, RFI, les plateaux d’Eurosport et pour le Groupe RTL où l’on m’a demandé une identité pour chaque thématique. Pour Fun Radio, c’était plutôt l’ambiance béton fluo ; pour les autres, un mélange de bois clair et foncé pour RTL 2 Pop Rock en fonction de la cible, et blanc lumineux et rouge épuré pour RTL. C’était là les grandes tendances. J’étais conseiller artistique pour le groupe RTL en supervisant le look général et le design des plans.

 

M. : Pour quel type de plateau travaillez-vous ?

F.C. : Je travaille beaucoup pour des scènes de moins de 100 m2 pour les studios de web TV. J’ai eu la chance de faire un 3 000 m2 à la Plaine-Saint-Denis pour une société pharmaceutique et le chanteur Yannick Noah en concert devant 2 000 personnes. J’ai aussi fait de la variété avec des plateaux plus réduits.

 

M. : Est-ce que la technologie d’aujourd’hui améliore votre travail ?

F.C. : Oui. La fréquentation des salons spécialisés nous aide à intégrer les nouvelles technologies vidéo. Nous, les créatifs, les décorateurs, les architectes, ce qui nous intéresse c’est d’avoir cette miniaturisation des choses pour qu’elles s’intègrent parfaitement dans nos espaces. La led par exemple, on peut l’intégrer partout. En revanche, je n’interviens pas sur le choix des caméras, ni sur le matériel vidéo. Aujourd’hui, comme je l’ai dit, on tend vers des matériaux plus naturels ; on va évacuer les plastiques et revenir à des matériaux plus écologiques grâce aussi à la technologie.

 

M. : Comment voyez-vous l’avenir des studios ?

F.C. : Aujourd’hui, il y a le virtuel, la réalité augmentée (VR). Eurosports y est déjà ! On peut avoir deux types de décor en un : un décor réel et un virtuel avec de la réalité augmentée et de la 3D autour des invités ou du présentateur. C’est un plus, mais la partie décor réel se réduit un petit peu et donne moins de travail pour les constructeurs et la fabrication des éléments réels et concrets. Je pense cependant qu’il restera toujours la table et le fauteuil, car on ne peut pas être 100 % virtuel. Tant qu’il s’agit d’un jeu vidéo c’est acceptable, mais quand il y a des protagonistes, il faut la présence d’une vraie table, d’une chaise et on aura toujours besoin d’un designer. Il faut savoir rebondir et prendre le bon embranchement.

 

M. : Quels conseils pourriez-vous donner à des jeunes qui voudraient faire comme vous ?

F.C. : Un ou une jeune qui voudrait se lancer dans ce domaine doit être très courageux, faire une école d’art ou de design très poussée, avoir un sens critique et tout de suite faire des stages dans ce milieu, bien que mes stagiaires soient devenus professeurs de design ou DA ! Mais je n’ai jamais retrouvé mes stagiaires sur ce secteur !

 

M. : Quels sont vos projets ?

: Je suis en train d’écrire un livre sur « les coulisses de la télévision » qui sera publié prochainement.

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #33, p.88/89. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.