Interview de Gérald-Brice Viret, Directeur Délégué des chaînes de télévision Lagardère Active

« J’ai commencé ma carrière comme journaliste dans les télévisions locales et à 8 Mont-Blanc en Haute-Savoie. En 1989, 8 Mont-Blanc recrutait des candidats pour sa rédaction et j’ai fait partie des premiers animateurs-journalistes de la station ! J’y suis resté quelques années et l’on m’a confié la direction de l’antenne. J’avais comme mentors André Campana et Patrice Laffont, ils m’ont assez vite fait confiance. Grâce à eux et à Georges Bonopéra, j’ai pu évoluer rapidement…
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Ensuite, je me suis occupé de TLM (Télé Lyon Métropole). Je suis parti aux Antilles et j’ai notamment mis à l’antenne un certain Frédéric Lopez ! Cette expérience de quelques années au sein de TLM m’a beaucoup plu. J’ai aimé la ville de Lyon, c’était à l’époque de l’inauguration du nouvel Opéra… Après, j’ai rejoint Antilles Télévision où j’ai participé à la création de la chaîne régionale antillaise avec Audrey Pulvar. Nous étions dans la même équipe ; j’ai vu qu’elle avait un grand talent ! C’est Georges Bonopéra qui l’a découverte.

 

Par la suite, j’ai été rédacteur en chef du magazine Continentales (sur l’actualité européenne) présenté par Alex Taylor, produit par France 3 et diffusé sur France 5.

 

Puis, j’ai créé la chaîne Voyage au sein du groupe Pathé avec Georges Bonopéra. Ensuite, j’ai été nommé à la direction de TMC du groupe Pathé. Et en 2004, nous avons amené cette chaîne TMC, sur la TNT. Puis, j’ai été nommé directeur général délégué des chaînes du groupe NRJ par Jean-Paul Baudecroux. J’y suis resté pendant sept ans et j’ai créé NRJ Paris, NRJ Hits, et Chérie 25. Sept ans après, en 2013, j’ai été contacté par le groupe Lagardère qui m’a nommé directeur délégué de ses chaînes : Gulli, Canal J, MCM, June, TiJi, Gulli Россия (Russie), Mezzo et Mezzo Live HD… »

 

M. C-A. : Les émissions de grands shows galvanisent un public de plus en plus large. Vous pouvez le confirmer ?

G-B. V. : Oui, les gens aiment les grands shows en direct, où ils peuvent à la fois regarder et commenter sur les réseaux sociaux. Je crois beaucoup, d’ailleurs, à la renaissance du direct ! L’empreinte sociale de ces formats est, de facto, très forte. Et nous avons besoin de ces grands rendez-vous fédérateurs pour la valorisation des offres des chaînes linéaires. Pour une chaîne gratuite, le linéaire prévaut. Concernant les chaînes payantes, le linéaire à la même valeur que le non linéaire.

 

M. C-A. : Comment expliquez-vous votre passion pour les contenus audiovisuels ?

G-B. V. : J’ai toujours été passionné par le média télévision et également par la télévision dans son ensemble ! Pour moi, une grille de programmes ressemblait à puzzle composé de plusieurs pièces. Et ce puzzle, c’est à la fois un jeu, un documentaire, une fiction, un événement… Comme dans la cuisine avec les ingrédients, il s’agit de créer « ad fine » un plat. C’est la pertinence du choix des ingrédients qui permettra à ce dernier d’être harmonieux et agréable à regarder : la création d’une grille de programmes procède des mêmes principes. Il y a à la fois une part de créativité, d’assemblage et j’ai envie de dire : d’orchestration ! Il faut savoir être un rassembleur, un chef d’orchestre et parfois même un compositeur soi-même. Les directeurs de programmation sont des compositeurs dont les équipes jouent un rôle crucial dans leurs réussites.

Un chef d’orchestre n’est rien sans son premier violon ; il n’est rien, non plus, sans son triangle…

Chaque membre de l’orchestre est donc très important. Et une télévision c’est un orchestre : chacun doit y jouer son rôle et sa partition.

 

M. C-A. : Peut-on dire qu’il y a une recette idéale pour réussir la programmation d’une chaîne de télévision ?

G-B. V. : Non, il n’y a pas de recette idéale. En revanche, il y a une cohérence de marques… Et la marque d’une chaîne de télévision c’est celle qui rassemble d’autres marques pertinentes autour d’un public visé. Sa crédibilité éditoriale dépend d’un très juste assemblage de contenus. J’ai envie de dire que 80 % des programmes doivent être cohérents avec la marque de la chaîne. Sur Gulli, par exemple, 95 % des programmes diffusés peuvent être regardés par des enfants car nous sommes dans le secteur jeunesse ! Et quand bien même nous diffusons une fiction jeunesse comme L’Instit, les enfants restent au cœur de la fiction. Il s’agit bien de cohérence éditoriale. Et cela est très important.

 

M. C-A. : Avez-vous connu une expérience difficile sur NRJ12 avec Star Academy ?

G-B. V. : La vie est faite d’expériences. La Star Academy, lorsque j’ai vu les résultats de Rising Star sur M6… Nous étions en moyenne à 1,4 million de téléspectateurs, avec quelques soirées à 1,7 million. Rising Star a terminé avec une audience de 1,5 million. Donc, la déception est très relative, en revanche ce passage a été nécessaire à NRJ12.

Avec le recul, nous n’aurions pas dû faire la quotidienne. C’est une expérience, nous avons perdu de l’argent. Dans la vie, il faut être confronté à des échecs et des réussites… Les Anges de la Téléréalité ont été un grand succès ! Et donc je ne regrette pas du tout d’avoir fait la Star Academy. Si j’étais resté à NRJ12, j’aurais programmé une deuxième saison de cette émission uniquement avec les prime times…

 

M. C-A. : En France, quelle est la préférence des téléspectateurs entre les chaînes généralistes et thématiques ?

G-B. V. : En France, nous aimons les télévisions généralistes et aussi thématiques. Et le constat est le suivant : il ne s’agit pas d’univers différents avec les uns contre les autres mais plutôt, les uns avec les autres ! TF1 est une chaîne généraliste. Gulli est une chaîne thématique mais généraliste dans son offre de programmes destinés aux enfants. Mezzo est une chaîne thématique qui propose des concerts, du jazz, des opéras, de la musique classique…

 

M. C-A. : Quel est le positionnement des chaînes de votre groupe ?

G-B. V. : Nous avons des chaînes pour les jeunes adultes : pour les femmes avec June et pour les hommes avec MCM. Nous diffusons de la musique classique avec Mezzo.

Nous proposons, aussi, une très grande offre pour la jeunesse et la famille. Et nous sommes le premier éditeur télévisuel dans le secteur de la jeunesse en France avec les chaînes Canal J, Gulli et TiJi. Et il y a une dizaine d’années, nous avons eu l’opportunité de développer quatre chaînes en Russie : Gulli, TiJi, MCM et Mezzo ; nous poursuivons leur rayonnement. En 2015, nous allons lancer, en Afrique, Gulli Africa.

 

M. C-A. : Quelle est la chaîne que vous préférez au sein de votre groupe ?

G-B. V. : Canal J : c’est une histoire d’amour avec cette chaîne qui a été l’une des premières du câble et du satellite. Elle s’est lancée il y a trente ans, et elle fait partie de notre jeunesse.

 

M. C-A. : La déclinaison de vos chaînes en Afrique a bien débuté…

G-B. V. : L’Afrique, c’est une demande : Gulli est une marque très forte en France ! Avec l’espace francophone, cette chaîne trouve un écho favorable pour son développement sur ce continent. Et nous réfléchissons à l’élaboration d’une nouvelle chaîne Gulli en anglais pour l’Afrique anglophone. Nous pensons également lancer une nouvelle offre pour le Maghreb, en arabe…

 

M. C-A. : Avez- vous déployé un dispositif particulier pour l’une de vos chaînes ?

G-B. V. : Avec Gulli, à titre d’exemple, nous avons mis en place un écosystème à 360 degrés. On retrouve Gulli, la chaîne ; Gulli, le web ; Gulli, Replay (18 millions de vidéos vues par mois) ; la radio Gulli, 8 chaînes YouTube mais aussi des produits comme la tablette Gulli (vendue à 50 000 exemplaires) ! Nous avons une vingtaine d’ères de jeux ou de points de proximité en province. À Noël, on a pu trouver des jeux et des casques Gulli pour les enfants. Ce développement est très intéressant, à notre niveau. Il enrichit l’offre, la marque et sa fidélisation. Les enfants aiment ! Gulli est l’une des seules chaînes de la TNT qui s’est déployée autant, à 360 degrés.

 

M. C-A. : Quelle est la part de la production de contenus en interne au sein de votre groupe ?

G-B. V. : Avec 14 chaînes en tout, la production est de l’ordre de 30 % en interne et de 70 % en externe. Côté création, nous sommes à la fois à l‘écoute des idées du marché et de celles des créatifs qui viennent nous en proposer. Et être responsable de chaînes c’est en aimer ses contenus ! Pour moi, l’enjeu est de travailler encore mieux l’éditorial des chaînes payantes…

 

M. C-A. : Depuis le 4 juin 2013, vous présidez l’ACCeS (Association des Chaînes Conventionnées éditrices de Services)…

G-B. V. : L’enjeu de l’ACCeS est de définir le périmètre des chaînes payantes pour le futur avec l’accroissement du gratuit et l’arrivée des vidéo-clubs comme Netflix ou Canalplay.

 

M. C-A. : Netfix ou la VOD sont des problèmes pour le marché de la télévision, selon vous ?

G-B. V. : Netlix ne pose aucun problème. Et c’est très bien que des opérateurs ou diffuseurs français comme Orange, Canal+ ou TF1 fassent des offres concurrentielles ; la compétition est une bonne chose ! Ce sont des vidéo-clubs (VOD : vidéo à la demande) ! Ils ont le droit d’exister, et je leur souhaite bonne chance… Ce n’est pas du tout la même problématique : les chaînes de télévision sont des éditeurs de contenus et de programmes très forts !

Ces nouveaux entrants ne sont pas des concurrents ; ils nous obligent à redéfinir l’éditorial et le territoire de chaque chaîne payante. Il n’est pas exclu d’être partenaire de certains acteurs de la VOD, dans certains cas.

 

M. C-A. : Pensez-vous qu’il y ait un affaiblissement de la production en France ?

G-B. V. : Je pense qu’il faut rester concentré sur nos métiers. Les Français aiment la télévision inédite, exclusive avec des programmes pertinents, nationaux avec une forte identité. Ils peuvent être produits par la chaîne ou pour la chaîne. Il ne faut pas se laisser perturber par internet ou par les vidéo-clubs. Il faut se concentrer sur la ligne éditoriale de nos chaînes et sur la créativité ! Je pense qu’il est nécessaire de surinvestir sur la créativité afin de contrer les offres gratuites internet ou vidéo. Et nous devons être partenaires des producteurs, dans ce souci permanent d’originalité et de créativité !

J’ai pu constater un affaiblissement de certains producteurs et aussi un renforcement d’un grand nombre d’entre eux très innovants. Et cela fait partie de la vie des entreprises, tout simplement…

 

M. C-A. : Quels sont vos objectifs pour les deux années à venir ?

G-B. V. : Je me réfère à ce que nous avons écrit avec Richard Lenormand, le Directeur Général du pôle Radios et Télévisions. Déjà, que Gulli soit toujours, et encore plus, numéro 1. Aussi, que les chaînes Canal J et TiJi forgent davantage leur identité culturelle française par rapport aux offres américaines… Ensuite, créer une vraie marque féminine autour de June qu’il faut poursuivre de développer. À l’évidence, continuer à perdurer la première offre musicale en France avec MCM, MCM TOP, RMF et Virgin. Faire aussi de Mezzo la première chaîne mondiale de musique classique et approcher les 70 pays d’initialisation. Enfin, développer à l’international certaines de nos marques, comme Gulli et TiJi. Voilà la feuille de route que nous nous sommes fixée pour les 24 prochains mois…