Interview de Madame Frédérique Bredin Présidente du CNC (Centre national de la cinématographie et de l’image animée)

« …À la sortie de l’ENA, j’ai rejoint l’Inspection générale des Finances. En 1984, j’ai été chargée de la politique cinématographique au sein du cabinet de Jack Lang, au ministère de la Culture, avant d’être appelée par le président de la république François Mitterrand en tant que conseillère culture. J’ai été ministre de la Jeunesse et des Sports de 1991 à 1993. Le groupe Lagardère (médias) m’a recrutée en 1996 comme directrice de la Stratégie et du Développement, puis directrice déléguée auprès du Directoire de Lagardère Active Média et éditeur du « Journal du Dimanche ». Aujourd’hui présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée, je suis fière, trente ans après avoir participé à la création d’instruments de politique du cinéma, d’accompagner à nouveau ce secteur et celui de l’audiovisuel dans une nouvelle page de leur histoire… »
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Marie Cornet-Ashby : Le CNC assure la réglementation et la gestion des aides au cinéma et à l’image animée. Il participe, aussi, à la régulation du secteur… Ces actes sont-ils pour vous des gages d’efficacité ?

Frédérique Bredin : Le rôle du CNC est de créer un écosystème favorable à la diversité culturelle et à la structuration industrielle, d’assurer le renouvellement de la création et la protection des auteurs. Ces principes fondateurs ont démontré leurs forces et leur efficacité et font aujourd’hui du cinéma une filière d’exception : notre production cinématographique est dorénavant au premier rang des pays européens avec des films plébiscités dans les plus grands festivals internationaux ! Tous ces succès témoignent de l’efficacité et de la pertinence de notre système, perçu comme un modèle par de nombreux pays dans le monde entier…

 

M. C-A. : Quels sont les enjeux culturels, économiques et (peut-être) sociaux de la première activité culturelle des Français ?

F. B. : Je reprendrais volontiers les mots de Mal-raux qui démontrent à quel point ces enjeux sont intimement liés : « le cinéma est un art, et par ailleurs une industrie ». Le cinéma est une filière importante pour l’économie de notre pays, comparable aux plus grandes industries françaises comme l’automobile. Aujourd’hui le cinéma représente 340 000 emplois. L’enjeu est aussi de faire connaître et reconnaître nos pôles de compétence et d’innovation ; je pense en particulier à celui de l’animation qui réussit de manière extraordinaire. Le studio SolidAnim, futur partenaire des prochains volets d’Avatar, est une parfaite illustration de l’excellence des industries techniques françaises, qui apportent à la France un double rayonnement : économique et culturel.

 

M. C-A. : Le fonds de soutien est financé par des taxes affectées dont le CNC assure le recouvrement. Pouvez-vous revenir sur ce système ?

F. B. : Ce système, extrêmement original, est né dans l’après-guerre d’abord comme une politique de soutien à l’industrie cinématographique. Il a évolué au cours du temps mais son principe reste le même : toute personne qui tire profit de la diffusion d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles doit contribuer à la création de ces œuvres, proportionnellement à son chiffre d’affaires. Ainsi, le chiffre d’affaires des salles de cinéma a été soumis à une taxe affectée dès la première loi d’aide de 1948, ensuite ce furent les chaînes de télévision, la vidéo physique, puis la vidéo à la demande, et enfin les fournisseurs d’accès à internet… Avec ce mécanisme de redistribution et de mutualisation, l’amont finance l’aval, les plus grosses productions financent les projets d’auteurs.

 

M. C-A. : Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit un budget du Centre national du cinéma et de l’image animée stable, est-ce une bonne chose pour vous ?

F. B. : Le gouvernement nous envoie un message fort, une marque de confiance dans l’excellence de la création française dans un secteur économique porteur. Cela conforte nos principes de soutiens.

Dans un contexte budgétaire difficile, aucun prélèvement ne sera effectué sur notre fonds de roulement et je m’en réjouis ! Nous pourrons, cette année, préserver intégralement nos soutiens à la création.

 

M. C-A. : En 2014, le Président de la FNCF, Richard Patry (avec le soutien du CNC), s’est engagé dans une action de promotion tarifaire nationale : l’opération « 4 euros pour les moins de 14 ans ». Est-ce une opération que vous souhaitez renouveler ?

F. B. : Près d’un an après son lancement, l’opération « 4 Ä pour les moins de 14 ans » est un véritable succès, non seulement auprès des jeunes mais aussi auprès des familles. Plus de 9 millions d’entrées à 4 euros réalisées cette année confirment le succès de cette initiative et son impact sur la fréquentation. C’est, sans nul doute, dans un contexte de difficultés économiques, un geste symbolique fort qui permet au cinéma de rester un loisir populaire.

Je souhaite bien sûr que cette opération s’inscrive sur le long terme. À l’heure où les jeunes sont de plus en plus attirés par les écrans multiples et par les réseaux sociaux, il est fondamental qu’ils ne perdent pas le plaisir de découvrir un film, dans une salle de cinéma, car ce sont eux qui forment le public de demain…

 

M. C-A. : Quels sont les chiffres de la fréquentation des salles pour l’année 2014 ? Une satisfaction pour vous ?

F. B. : 2014 a été une année record. Sur les 10 premiers mois de l’année, ce sont près de 169 millions d’entrées qui ont été réalisées et qui représentent une progression de 11,4 % de la fréquentation par rapport à 2013. Cela reflète sans conteste la diversité de l’offre des films français avec une part de marché en hausse estimée à 44,7 % alors que la part de marché des films américains recule à 46,9 %( contre 55,1 % en 2013). Prenez par exemple Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu qui a réalisé plus de 12 millions d’entrées, ou encore Lucy : ces deux films ont largement contribué aux bons résultats de la fréquentation. De vrais succès populaires français, qui ont su séduire au-delà de nos frontières !

 

M. C-A. : Selon les dernières statistiques du CNC, 100 % des salles de cinéma permanentes sont désormais numérisées. Quelles ont été les aides fournies par le CNC ?

F. B. : Les salles françaises sont un exemple de mutation réussie. Et il faut saluer ici le dynamisme de la profession qui, en trois ans et demi, a numérisé la totalité du parc (soit 5 787 écrans) avec la participation du CNC (pour un montant de 81,6 MÄ). Ce plan nous a permis de maintenir la diversité des cinémas et de soutenir les salles les plus fragiles.

 

M. C-A. : Le CNC et TV France International ont publié à Biarritz, dans le cadre du 20e Rendez-Vous, les statistiques d’exportation des programmes audiovisuels français. Les résultats sont-ils positifs, selon vous ?

F. B. : Notre création audiovisuelle a élargi ses horizons et s’exporte de plus en plus (+ 8,2 % représentant ainsi 179,5 MÄ en 2013). Les Revenants et son impressionnante carrière, avec des ventes dans une quarantaine de territoires, Les As de la Jungle, Opération Banquise, série télévisée d’animation qui rencontre un véritable succès international, ou Apocalypse, Première Guerre mondiale, documentaire qui a bénéficié d’une diffusion mondiale… sont autant de succès qui démontrent la qualité et la diversité de notre offre française. Il est essentiel d’aller encore plus loin dans nos soutiens à l’exportation, qui constituent une sécurité économique pour la création, ainsi qu’un marqueur de la qualité française.

 

M. C-A. : Quels sont les nouveaux dispositifs d’aide mis en place par le CNC… Pour quels secteurs ? Avec quels objectifs ?

F. B. : Le rapport Bonnell, remis en janvier, a été le point de départ, pour nous et l’ensemble de la profession, d’une concertation menée dans le cadre des Assises pour répondre aux problèmes du financement de la production et de la distribution cinématographique. Aujourd’hui quatre trains de mesure ont ainsi été décidés : la transparence liée aux dépenses d’un film, la maîtrise des coûts, les mesures de soutien à la production et à la distribution.

Nous avons fait évoluer les aides au documentaire pour encourager les œuvres les plus ambitieuses et leur permettre, entre autres, de réussir leur exportation à l’international. Le secteur de la vidéo à la demande bénéficie également de nouveaux soutiens plus structurants qui permettront d’accompagner les ambitions des acteurs les plus vertueux.

J’ai également voulu que le Centre permette d’accélérer la numérisation des œuvres de patrimoine pour une meilleure diffusion de celles-ci. Au niveau européen et international, nous avons renforcé notre politique de coopération en instaurant des accords bilatéraux de coproduction avec l’Italie, le Portugal et la Grèce. Cela concrétise un souhait commun de développer les synergies financières et artistiques entre nos pays de grandes cinématographies.

 

M. C-A. : Peut-on évoquer vos futurs objectifs ?

F. B. : Les objectifs sont simples : donner à tous les secteurs du cinéma et de l’image animée les moyens de continuer leur développement et leur rayonnement, et permettre l’accessibilité à la culture par tous les publics.

En premier lieu, nous voulons aider l’ensemble des filières du cinéma et de l’audiovisuel à s’adapter au monde numérique, qui amène à repenser notre système de financement de la création. Nous avons déjà œuvré à établir de nouvelles règles du jeu pour certains acteurs de l’internet, mais il nous faut encore approfondir nos réflexions pour définir des outils adaptés afin de permettre la diversité de la création.

En second lieu, notre politique d’accès à la culture suit deux axes prioritaires : un premier dévolu à l’éducation à l’image, primordiale pour former les jeunes à comprendre le langage et la portée des images, afin d’en faire des citoyens avertis. Un second qui concerne la mise aux normes des établissements pour l’accessibilité des personnes porteuses de handicap.