En 1970, les gens étaient de moins en moins nombreux à se rendre dans cette salle. Je me souviens, même, être seul un soir pour la projection d’Excalibur ! Parallèlement à cela, j’étais au lycée André Maurois et, déjà, délégué de ma classe de 6ème. Au fil du temps, avec les professeurs de mon lycée (les principaux spectateurs de cette salle), des liens se sont naturellement noués. Finalement, au sein du lycée, nous décidons de créer un ciné-club « Climats 16 » ! Et tous les vendredis soirs, nous allions projeter des films, cela fonctionnait très bien ! Globalement, c’est à travers le ciné-club et la salle d’Elbeuf que s’est fondée toute la diversité de ma culture cinématographique : Fernandel, Charlot, Belmondo, les superproductions (ou les blockbusters) mais aussi, Fellini, les films japonais, Truffaut, Hitchcock… J’ai, en fait, cette formation très populaire et aussi, celle du cinéma d’auteurs, de la Nouvelle Vague…
En 1982, j’avais 18 ans à l’époque, un événement très important survient : le cinéma d’Elbeuf, ferme faute de clients. Et le projet du nouveau propriétaire de construire un complexe de trois salles se concrétise. D’ailleurs, c’était à mon sens génial puisque je visionnerai plus de films ! Mon souci était de savoir comment payer mes entrées… C’est le jour-même de l’inauguration du nouveau cinéma, et invité en tant que Président du ciné-club, que j’ai rencontré le nouveau propriétaire. Tout de suite, je lui ai proposé de travailler pour lui gratuitement le week-end en échange du visionnage gratuit de tous les films. Et j’ai commencé le lendemain, à 15 heures, le jour de l’ouverture de ce cinéma rénové ! C’est là que j’ai découvert tous les métiers extraordinaires de l’exploitation cinématographique… Puis, deux ans après, avec le départ du directeur Monsieur Samuel, on m’a proposé la direction de ce cinéma. Rendue officielle le 1er décembre 1983, j’étais alors un lycéen-salarié. Après l’obtention du baccalauréat, j’ai fait un BTS d’action commerciale. Mais, en 1986, avec le grand choc audiovisuel voulu par François Mitterrand (Lancement de Canal + en 1984, arrivée de nouvelles chaînes de télévision en 1986), la fréquentation des salles chute…
En 1986, je suis licencié économique. Mais, avant de rendre mes clefs, j’annonce au propriétaire que, s’il vend, j’achète. Trois semaines après, il me rappelle pour m’annoncer qu’il est d’accord, sauf que je n’ai pas un centime ! Donc, j’appelle la Fédération des Cinémas pour des conseils. On me dit que reprendre ce cinéma est une folie mais j’obtiens les noms d’experts-comptables connus. Je débarque à Paris le lendemain, sans rendez-vous, à l’adresse de Serge Katzenberg, commissaire aux comptes. Nous nous rencontrons finalement à 17 heures et, en un coup de fil, nous obtenons un rendez-vous avec le directeur de la Société Générale. Nous allons ensemble à Elbeuf et nous obtenons un prêt de 1,5 million de francs. Le 24 décembre 1987, je me retrouve à la tête de mon premier cinéma, et très heureux. Je dois dire que j’étais certain de la réussite de ma démarche… »
Quelles ont été vos priorités au départ face à cet investissement colossal ?
Nous avons commencé par faire des travaux de modernisation avec la construction de deux salles supplémentaires. Je me suis dit d’ailleurs très vite qu’il fallait s’étendre sans investir de nouveau ! Et nous avons donc opté pour ce que l’on appelle en France la délégation de service public (DSP). Avec cette idée qu’il n’était pas utile d’être propriétaire pour exploiter un cinéma. Et d’ailleurs, la propriété foncière ne m’intéresse pas. Je ne fais qu’exploiter les lieux dont je possède le fonds de commerce ou ceux qui appartiennent à des collectivités comme les mairies. Et l’on peut dire que cela a été parmi les premières DSP des salles de cinéma. Nous nous sommes positionnés très vite sur cette opportunité que je sentais instinctivement très positive… Pour pouvoir offrir le service maximum à nos clients, il fallait avoir une taille critique qui nous permettait d’avoir le meilleur pour nos spectateurs : le film en même temps que les grands, et aussi des outils de fidélisation du public (cartes d’abonnement, le Chèque cinéma…). Seule une force financière pouvait nous aider à atteindre ces objectifs. Paradoxalement, nous avons été l’un des premiers réseaux de cinéma à offrir la disponibilité de nos horaires sur Minitel, et ce, bien avant Gaumont. Dès son apparition, d’ailleurs, j’ai pensé qu’il fallait que l’on puisse y consulter les horaires de nos séances. Nous avons beaucoup travaillé également sur la dématérialisation des billets d’entrées. Au final, nous avons rattrapé notre retard et nous nous sommes assurés de notre crédibilité sur le marché !
Vous êtes aujourd’hui à la tête du groupe NOE, qui est un succès exceptionnel…
Aujourd’hui, c’est une vraie réussite qui couvre 33 lieux avec 67 salles dans toute la France. Nous sommes sur trois sites géographiques : notre bassin historique avec la Normandie, en région parisienne (avec trois salles) et en Alsace. Le groupe a beaucoup d’associés et je travaille avec d’anciens collaborateurs. J’ai eu cette chance dans ma vie d’être aidé par des professeurs dans mon parcours et j’essaie d’offrir à mes collaborateurs la possibilité d’évoluer et d’être associés à leur tour…
Combien de collaborateurs travaillent au sein du groupe NOE que vous dirigez ?
Au sein de la maison mère NOE, nous sommes 40 salariés. Au total, avec les filiales, on peut comptabiliser 70 collaborateurs. Et l’on peut reprendre des salles dans le cas d’un appel d’offre dans le cadre d’une délégation de service public. Il nous arrive aussi d’aider des collectivités à créer des salles. Je suis actuellement à Montivilliers, et j’assiste l’agglomération du Havre dans la création de ses salles de cinéma. Nous avons aussi un grand rôle de conseil pour certaines agglomérations détentrices de salles de cinéma, cela provient du fait de notre expertise. Cette activité de notre groupe est passionnante ! Cette expertise peut aller jusqu’à l’encadrement des salles, des conseils sur la programmation ou sur la gestion de leurs sites…
Quel type de management avez-vous instauré au sein de NOE ?
Nous avons une politique, que j’ai mise en place, de promotion interne et de formation très forte. Si je prends le cas de mon directeur commercial, qui est un jeune cadre de 28 ans : il est rentré chez nous à 18 ans pour un petit job… Un jour, il m’a indiqué qu’il voulait faire un BTS en alternance chez NOE. Et je lui ai donné mon accord. Ensuite, il m’a dit que cela lui plaisait et m’a demandé s’il pouvait faire un Master en communication. J’ai validé, et je lui ai proposé un stage aux États-Unis de six mois, dans une société d’exploitation américaine. À son retour, il a pris la responsabilité du secteur commercial du groupe. Mon directeur technique a commencé comme opérateur projectionniste, il a fait de nombreux stages. Aujourd’hui c’est, entre autres, l’un des meilleurs dans son domaine. Notre directeur de programmation travaille chez nous depuis 15 ans.
En fait, l’idée de NOE est de repérer des talents en interne pour essayer de les faire monter. Et je fais confiance à mes collaborateurs fidèles. La politique du turn-over n’existe pas vraiment chez nous. C’est grâce à mes collaborateurs que je peux être présent à la Fédération. Il existe aujourd’hui, à la tête de l’entreprise, un groupe de personnes de confiance et très efficace. Je délègue avec facilité. Nous parlons entre nous, échangeons et validons… Et cela va vite.
Quelle est, selon vous, la meilleure des qualités pour être un bon exploitant de salles de cinéma ?
Je pense que la qualité première d’un exploitant, c’est d’aimer fondamentalement le cinéma en salles ! Il doit avoir aussi le sens de l’accueil et le goût du partage. Je revendique que le cœur de notre métier est le film même si nous avons, bien sûr, des revenus annexes (des services aux clients) importants dans les comptes de résultat.
Vous êtes, aujourd’hui, le Président de la Fédération Nationale des Cinémas Français…
Oui, je suis arrivé il y a deux ans. La Fédération se compose de 24 syndicats d’exploitants adhérents qui regroupent eux-mêmes la totalité des salles de cinéma. Les syndicats adhérents sont régionaux, pour certains d’entre eux transversaux comme le SCARE (syndicat national des salles d’Art, de répertoire et d’Essai)… C’est une force pour la Fédération ! Le Conseil fédéral est le « Parlement » de la Fédération. Siègent à ce Conseil, principalement, tous les Présidents de syndicats régionaux. Nos différentes Commissions couvrent toutes les questions propres à l’industrie de l’exploitation. Nous siégeons, aussi, dans de nombreuses institutions comme le CNC… Le Bureau est composé de huit membres avec dix personnes salariées en sachant que les élus sont bénévoles. Je suis moi-même élu ; je me suis investi dès 1987 dans mon syndicat régional qui est celui de Normandie, j’en ai assuré la Présidence deux ans après.
Quelles sont les principales missions de la Fédération ?
Notre rôle est d’aider, de conseiller et de proposer des actions à nos adhérents qui sont libres ou non d’accepter. En majeure partie, les grandes opérations que nous proposons (comme La Fête du Cinéma, Le Printemps du Cinéma, l’opération 4 euros pour les moins de 14 ans) sont acceptées. Notre rôle aussi, est celui de promouvoir les salles de cinéma. Cette année, nous lançons une grande campagne de communication pour sensibiliser les jeunes à aller voir les films en salles ! Nous faisons aussi de la veille technologique en concertation avec d’autres pays afin de savoir ce que seront les salles de cinéma dans le futur. Notre grand événement annuel : le Congrès de la FNCF qui aura lieu en septembre…
Quels sont les dossiers importants en ce moment pour la Fédération ?
Celui déjà de l’accessibilité du parc des salles de cinéma. Aujourd’hui 80 % de ces lieux répondent aux critères de cette accessibilité ! Une autre problématique est l’avenir des salles, après le basculement au numérique. Et l’investissement pour obtenir ce résultat a été colossal : désormais, amortir ces salles totalement numérisées est essentiel. Au-delà de ces aspects fondamentaux en ce moment, nos conseils au quotidien pour nos adhérents sont permanents : sociaux, juridiques, techniques…
Quelles sont pour vous les meilleures espérances pour le cinéma français ?
Selon moi, les meilleurs atouts du cinéma français sont sa diversité et son système de production.
Ce soutien au cinéma, le monde entier nous l’envie, il est redistributif et mutualisateur. Cela explique que nous produisons 250 films par an, c’est exceptionnel ! L’innovation est perpétuelle dans notre secteur : elle est culturelle, créative et technique. Cette année, nous fêtons les 120 ans d’histoire du cinéma…
Quel serait votre plus grand bonheur pour le cinéma ?
Mon plus grand bonheur est que les gens continuent à aller toujours au cinéma…