Cisco donne la parole aux diffuseurs et acteurs de la transformation numérique (Table ronde 1)

Cisco France est l’un des sponsors officiels des JO de Paris 2024. En partenariat avec Mediakwest, ses équipes ont organisé en novembre dernier des tables rondes « Sport et Médias » autour des évolutions technologiques et des modes de consommation du sport. Thème de la première : « Stratégie de transformation broadcast ».
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Une trentaine de professionnels panelistes et invités ont été accueillis à Roland-Garros. Leurs interventions furent riches et ont permis de dresser des lignes de force sur le futur des médias. Lors de cette première table ronde, les conférenciers se sont penchés sur le broadcast aujourd’hui confronté à de nombreux enjeux technologiques, économiques, écologiques, au grand écart entre innovation et création. Comment l’innovation peut-elle aider les éditeurs de contenus et diffuseurs que vous êtes ? Pour y répondre, étaient présents Skander Ben Attia, directeur de l’ingénierie et du support audiovisuel à France Télévisions, André Meterian, directeur de l’unité des systèmes vidéo professionnels pour l’Europe chez Panasonic, Pierre Maillat, Études et Architectures à Canal+ et Daniel Rodriguez, responsable programme innovation média à TDF.

 

Pierre Maillat, Études et Architectures à Canal+ © DR

Mediakwest : Notre première question sera pour Pierre Maillat. Quels sont aujourd’hui les principaux enjeux des architectures chez vous, éditeurs de contenu ?

Pierre Maillat : Vaste question ! Je vais faire appel à des mots quelque peu tarte à la crème : « agilité », « flexibilité », « élasticité ». C’est globalement ainsi que nous avons souhaité architecturer notre réseau lors de notre déménagement de cet été. J’imagine que chaque broadcaster a ses contraintes, la nôtre aujourd’hui c’est l’international, le fait d’accompagner de manière assez facile notre développement sur l’international. Nous mettons à disposition de la production une gamme suffisamment étendue de process qui apporte des réponses à la fois en volume et en qualité, ceci de manière assez flexible, en fonction de l’acquisition des droits, des partenariats conclus sur différents territoires. Finalement notre vision, j’emprunte un gimmick venant de chez Cisco, que j’aime bien – c’est de passer du SDI à l’IP et l’IP nous ouvre les portes de l’IT. C’est exactement cela que nous cherchons aujourd’hui, cette capacité d’ouvrir « à l’envie » différents types de process. Nous avons commencé à le faire dans une petite partie de notre siège, créant ce qu’on appelle la régie multifeed et des régies d’habillage qui sont finalement des régies sans plateau et qui ont une granularité de fonctionnalités pour s’ouvrir en fonction de la nature des productions à réaliser. Cela nous a servi puisque, cet été, l’antenne a démarré deux nouvelles chaînes sport : Canal+ Sport 360 et Canal+ Foot. Ces nouveaux moyens nous ont permis de répondre (sur la Métropole) à cette augmentation de capacité de production. Voilà, c’est vraiment ça, SDI, IP et IT in fine pour nous permettre d’avoir cette flexibilité, une réponse beaucoup plus granulaire que ce qu’on avait jusqu’à présent avec les infrastructures classiques.

 

Avez-vous la même philosophie chez France Télévisions, sachant que vous êtes dans un bâtiment historique, voire multisite ?

Skander Ben Attia : Je rejoindrai beaucoup ce qui vient d’être dit. En ce qui nous concerne, nous devons tenir compte à la fois de l’aspect historique et de nos contraintes budgétaires. Comme vous le savez, notre budget reste stable pour le moment, mais l’inflation actuelle aura forcément des répercussions sur ce qu’il nous sera possible d’entreprendre. En même temps, nous nous devons – et cela est tout à fait normal de la part des pouvoirs publics qui sont nos donneurs d’ordre – de faire davantage d’offres régionales, numériques. Autrement dit, la question qui se pose est de savoir comme faire plus avec les mêmes moyens. Ma réponse rejoint complètement ce qui a été dit, il faut être plus flexible et plus modulaire.

La flexibilité, c’est tout d’abord de proposer un panel suffisamment large de moyens, du plus petit au plus grand, pour répondre aux différentes demandes, que ce soit une petite prod régionale de sport ou un grand tournoi de rugby. L’idée est de détenir un panel de moyens de production qui puisse répondre aux différents cas d’usage. C’est pourquoi nous disposons de moyens de production de différentes tailles, que nous pouvons moduler et éventuellement associer les uns aux autres. C’est en quoi la technologie constitue une réponse. Nous n’avons pas forcément un projet pour lequel nous dirions : « OK, nous voulons absolument tout faire en 2110 ». Nous voulons de l’IP, du cloud pour répondre à ces contraintes. Par exemple, nous utilisons le cloud pour mettre en place des régies temporaires, lequel est clairement une réponse pertinente. Tout le travail de l’équipe d’ingénierie est de creuser, déceler les technologies aujourd’hui suffisamment matures, susceptibles d’être mises en production pour répondre à ces contraintes. Je pense que nous vivons tous à peu près les mêmes difficultés, affrontons les mêmes enjeux.

 

Skander Ben Attia, directeur de l’ingénierie et du support audiovisuel à France Télévisions © DR

La norme SMPTE est-elle mature ou va-t-on, pendant un certain nombre d’années, « marcher sur les deux jambes » SDI-SMPTE ?

Skander Ben Attia : Clairement, nous croyons à la technologie IP. En revanche, ce qui sera plus compliqué, le vrai enjeu, réside dans la maîtrise de la technologie par nos équipes. Le saut technologique est énorme. Toutes les infrastructures qui sont au siège et que nous sommes appelés à renouveler, par exemple le nodal, nous les passerons en SMPTE. En revanche, les nouveaux moyens mobiles que nous venons de déployer sont hybrides SDI-SMPTE, parce que justement nous sentons qu’il n’y a pas forcément la maîtrise suffisante pour être complètement à l’aise, dans un moment de pleine production, pour se dire : « Si jamais j’ai un problème, une difficulté, je saurais y répondre ». Nous avons beaucoup d’équipes à former ; la transition prendra du temps. En revanche, dès que possible, notamment sur les infrastructures du siège, nous serons en full SMPTE. Les nouvelles régies que nous allons déployer à partir de 2025 seront aussi en full SMPTE parce que les équipes de support qui seront sur place seront alors formées, qu’il y aura un peu plus de puissance pour répondre à une éventuelle difficulté. Nous avons choisi cette approche plus pragmatique. Aujourd’hui, le premier gros moyen mobile est hybride et fonctionne très bien.

 

Daniel Rodriguez, responsable programme innovation média à TDF© DR

Daniel Rodriguez, en sport, c’est vrai qu’il y a une problématique : le site où on doit capter l’événement. TDF a acquis une solide expérience en remote production en cars, régies, nodaux. Comment voyez-vous la place de la remote dans cet univers du sport ?

Daniel Rodriguez : Ce que nous envisageons avec la remote production, c’est l’augmentation en termes de débit de transport, des stades aux chaînes de télévision. Nous disposons de notre propre réseau national permettant de faire de multiples multiplex. Nous sommes donc prêts pour cette évolution en termes de bande passante. C’est surtout là que réside la différence. Nous aurons peut-être un coût de production sur le stade qui sera moins important. Du coup, une part de cette économie reviendra à l’accroissement de la bande passante.

Le nouveau siège de Canal+ One à Issy-les-Moulineaux bénéficie d’une infrastructure moderne. © DR

 

Quelles sont les limites ?

Daniel Rodriguez : Là, sur notre réseau, par exemple, on a 80 x 100 gigas avec les technologies actuelles.

 

N’importe quelle fédération peut s’offrir ce type de service ? Imaginez-vous que ce sont plutôt les sports premium ?

Daniel Rodriguez : Nos premières simulations ont eu lieu autour du Top 14 suite à une sollicitation de Canal il y a déjà tout de même quelques années. Nous avions constaté que c’était économiquement viable.

 

André Meterian, directeur de l’unité des systèmes vidéo professionnels pour l’Europe chez Panasonic © DR

Panasonic joue un rôle important dans le monde sportif, encore plus sur les JO. Comment aujourd’hui choisit-on ses moyens de captation ? Faisons un peu de futurologie… L’intelligence artificielle arrive-t-elle dans les caméras ?

André Meterian : Tout d’abord, je voudrais préciser que chez Panasonic nous sommes parfaitement en phase avec tout ce que je viens d’entendre. Toutes les nouvelles technologies que nous développons visent à faciliter ce passage du SDI traditionnel à l’IP. Il n’y a plus de développement chez Panasonic lié au SDI. L’intelligence artificielle fait effectivement partie de ce sujet-là, la flexibilité est aussi quelque chose d’extrêmement important.

L’intelligence artificielle a toujours cette difficulté à être mise en place par rapport à un cas d’étude et à un cas pratique. Nous avons développé pour différentes fédérations de tennis, pas la Fédération française mais ailleurs dans le monde, des cas de captation de matchs grâce à l’intelligence artificielle. Mais c’est quelque chose qui est lié proprement au tennis, à un instant donné. C’est toujours assez compliqué. Notre travail consiste plutôt à ouvrir des boîtes à outils que d’autres sociétés s’approprieront pour créer ces cas d’usage, les uns après les autres, plutôt qu’à Panasonic de les développer. Nous sommes un fabricant global, nous n’avons pas à ce jour de volonté de trop nous spécialiser sur telle ou telle activité.

Concernant l’IP, le monde hybride, je pense qu’il y aura une phase hybride. Depuis un an et demi maintenant, nous poussons la solution Kairos qui est native 2110. La difficulté est de se coller au monde du broadcast et des broadcasters, c’est-à-dire des latences extrêmement faibles. Nous avons des demandes de mutualisation, d’avoir des outils répartis sur un territoire. Nous voyons cela arriver, nous y travaillons beaucoup. En SDI, nous étions sur des solutions finies dans leur taille et leur périmètre. C’est-à-dire, si je prends un switcher 96 entrées, c’est 96 entrées. Il en manquera toujours une ou il y en aura toujours dix de trop, mais c’est 96. L’IP apporte cette flexibilité.

 

Pour revenir à la remote production, comment la gérez-vous ? Vous la sous-traitez ? L’intégrez-vous directement dans votre workflow ?

Pierre Maillat : Nous avons essayé plusieurs axes. Par exemple, à Cannes, nous avons vraiment fait de la remote production. Plus exactement, je préfère utiliser le terme de « production distribuée » qui me paraît davantage coller aujourd’hui à ce que demande le marché. Lequel désire, plutôt que d’avoir des choses un peu monolithiques, A d’un côté et B de l’autre, on est plutôt dans une répartition, mettre les équipements et les opérateurs où cela paraît le plus pertinent. Aujourd’hui, nous sommes davantage dans une logique de production distribuée et non pas de remote production.

Je reviens à l’international. Typiquement, en Éthiopie par exemple, on a des journalistes qui commentent le football en amharique. Évidemment, on n’a pas nécessairement la capacité de trouver des gens de ce gabarit à Paris, donc effectivement c’est modestement déjà une idée de remote production. Je pense que, petit à petit, on va aller dans ce genre de choses, avoir de plus en plus de productions distribuées, les équipements et les process étant distribués là où cela paraît le plus cohérent.

Je voudrais juste dire un mot sur le réseau TDF. Nous avons la chance d’avoir 125 gigas, avec notre nodal, et de pouvoir échanger du coup en 2110 directement l’ensemble des signaux qu’on reçoit, puisqu’on a sous-traité à TDF, aujourd’hui l’activité de réception satellite qui était autrefois à l’intérieur de Canal.

 

Pensez-vous qu’il y aura un partage encore longtemps entre car-régie et remote ?

Pierre Maillat : Je pense que le car-régie est un métier différent. En tout cas, ce n’est pas le nôtre. Nous ne sommes pas du tout organisés, structurés, pour gérer ce genre de prestation, laquelle est très cyclique, beaucoup le week-end, rien du tout la semaine. Cette organisation diffère totalement de la nôtre. Par conséquent, ne serait-ce que sur ce plan-là, c’est compliqué. Les talents sont eux aussi complètement différents. Je pense qu’on ira plutôt vers un partenariat avec des organisations ou des structures sur le terrain, plutôt que d’y aller nous-mêmes, sauf sur de petites opérations.

 

France Télévisions a entamé la modernisation de sa flotte de cars avec une unité livrée en 2022 et qui est le fleuron du parc autour d’un modèle hybride SDI/IP. © DR

 

Je vais me tourner vers Skander Ben Attia parce que chez France Télévisions un car est déjà sorti et deux autres sont en chantier…

Skander Ben Attia : Tout à fait. Je rebondis sur la remote parce que nous avons connu la même situation, un petit mouvement de balancier pendant le Covid, tout le monde a fait de la remote, de la production distribuée. Quand on est revenu sur site, chacun a voulu refaire les workflows habituels. Et puis finalement, maintenant on s’approche de plus en plus de quelque chose qui est entre les deux, avec des modes de production hybrides, notamment le montage des news qui se fait de plus en plus à distance. Les équipes voient vraiment ce que cela apporte. On le voit aussi sur les petites productions régionales, une petite captation de musique ou du sport très local. Faire de la remote est très pertinent. En revanche, on aura toujours des moyens mobiles avec notamment les cars pour nos grosses productions, qu’il s’agisse d’émissions politiques, de sport, d’opéra, de spectacle vivant de manière générale. Mais pas forcément de très gros moyens. Le premier gros moyen mobile reçu il y a neuf mois comprend 24 caméras et 32 stations de travail, mais nous n’en possédons qu’un seul comme ça, parce que nous savons que le plan de charges est assez aléatoire. Par conséquent, les deux autres moyens qui vont être livrés seront plus modestes. En fait, l’idée est d’avoir des moyens complètement modulaires, que nous puissions répondre aux différents enjeux. Pour mémoire, il y avait avant chez France Télévisions deux gros cars équivalents à celui qu’on a aujourd’hui. Nous avons décidé d’en retirer un et de nous appuyer sur de la prestation, et de bons partenaires sur place qui peuvent aussi proposer des moyens professionnels.

 

Aujourd’hui sur les appels d’offres et les cahiers des charges, qu’est-ce qui est le plus « challengeant » ? La sécurité ou la réduction de l’empreinte carbone ?

André Meterian : Je répondrais : actuellement, les deux. J’aurais aussi tendance à dire que la réduction de l’empreinte carbone se situe davantage dans les infrastructures qu’on est prêt à mettre derrière les solutions de Panasonic et du mode opératoire choisi. Aujourd’hui, on nous dit : « Oh là là, on arrive sur l’IP, il faut sécuriser, il faut remettre un double, mettez-nous un triple ». Je peux l’entendre, nous sommes au début d’une technologie, mais il n’y a pas de raison.

 

Pour un vendeur, c’est bien…

André Meterian : Très clairement, c’est notre moteur [rires] ! Mais cela ne fait pas sens ! Au-delà de cette sécurité, de la crainte de l’événement qui ne se produirait pas, nous parviennent aussi des questions de sécurité liées au monde de l’IP, c’est-à-dire de se faire hacker, voler nos datas, nos données, c’est vraiment quelque chose qui monte en puissance là où on ne le voyait pas sur des technologies dites traditionnelles.

 

Question collégiale. Je m’adresse en premier à Skander Ben Attia : quelle est l’actualité des prochains mois, prochaines semaines, les défis à relever au sein de France Télévisions ?

Skander Ben Attia : Notre plus grand défi ce seront les JO que nous avons en ligne de mire pour 2024. Ce sera un grand événement en France. La présidente de France Télévisions souhaite aussi en faire un événement pour l’entreprise France Télévisions. Notre objectif est d’offrir à la fois un événement qui soit le plus accessible possible pour le public, chaînes linéaires et numériques, se positionner au niveau de l’innovation, mais pas uniquement de l’innovation broadcast, pas seulement faire de l’UHD, mais aussi être sur des formats forcément nouveaux, animer des fan zones physiques ou virtuelles. Pour ça, la session de tout à l’heure nous intéresse particulièrement. Nous cherchons justement à faire en sorte que ces événements soient fédérateurs. Plus en interne, nous en faisons en outre un accélérateur technologique ; c’est pourquoi notre planning prévoit que tous les cars seront livrés avant 2024, que notre nodal sera renouvelé en IP avant 2024. Nous avons cet objectif-là qui est un bon driver pour nos équipes, motive tout le monde. Il est notre fil rouge.

André Meterian : Sur les prochains mois, les Jeux olympiques sont effectivement un vrai sujet pour Panasonic puisque nous allons livrer l’ensemble des solutions audiovisuelles pour les news. Nous allons fournir pas mal de choses dans ce sens, avec beaucoup d’IP, de remote, de travail en commun en collaboration avec des sociétés de haute technologie. Oui, je pense que ça, c’est effectivement le fil conducteur pour nous sur les années à venir.

 

La tour TDF de Romainville, l’un des sites historiques du groupe. © DR

D’ailleurs, on ne parle pas de 8K au sujet des JO ? 

André Meterian : Non, on ne parle plus beaucoup de 8K [rires]. Je pense qu’on va fermer les usines 8K. Il y aura des solutions 8K déployées, mais davantage pour faire des multiples de 4K ou de HD, que de la 8K en fait.

Pierre Maillat : En ce qui nous concerne, il nous faut juste continuer ce qu’on a commencé. Nous avons mis en place assez vite une infrastructure au global qu’il faut qu’on assèche. Il faut revenir aussi sur le développement des compétences, nous développer à l’international et puis sans doute revisiter ce que nous avons laissé de côté depuis quelque temps, regarder de quelle manière nous pouvons augmenter le niveau de l’expérience de nos abonnés.

Daniel Rodriguez : Dans la même lignée que Pierre, nous allons déjà stabiliser le nouveau réseau 2110 qu’on a déployé en Île-de-France et toutes les nouvelles technologies que nous avons intégrées. Dans la foulée, nous allons rénover nos moyens de transmission mobile avec le SNG qu’on envoie sur les stades, pour qu’il soit justement compatible 2110, que ce soit en acquisition ou en transmission vers le cœur du réseau. Ensuite, ce réseau 2110 que nous avons déployé en Île-de-France, l’idée est de le déployer en national pour atteindre tous les stades de France ou tout autre lieu événementiel.

 

Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #50, p. 104-114