L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet

Entretien avec Jean-Pierre Jeunet
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Il nous présente sa vision de la 3D et l’aventure humaine qu’il a vécu avec son équipe durant le tournage et la postproduction de L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S Spivet.

Interview réalisée avant la sortie en salles.

 

Mediakwest : Qu’est-ce qui vous donné l’envie de faire un film en 3D ?
Jean-Pierre Jeunet : J’ai toujours adoré la 3D. Quand j’étais petit, j’avais un View Master et je bricolais des images en les replaçant par d’autres ou en changeant l’ordre. (NDLR : le générique de fin du film est un hommage au View Master de Jean-Pierre Jeunet). Je projetais ces images avec un projecteur bricolé et même si celles-ci n’étaient pas stéréoscopiques c’était mes débuts de réalisateur 3D. Quand j’ai décidé d’adapter le roman de Reif Larsen, la 3D s’est imposée d’elle-même pour mettre en avant toutes les notes et croquis présents sur les côtés du texte du roman. Dans son livre, Reif Larsen a en effet accompagné son texte de petits croquis, notes, de portraits. Ces éléments devaient impérativement être dans le film, ils font partie intégrante de l’histoire et pour les mettre en scène, quoi de mieux que de la 3D en jaillissement, permettant à ces éléments de venir devant l’écran. Les objets flottent dans l’espace au milieu de la salle de cinéma et ce sont des effets que les spectateurs adorent.

 

Mediakwest : Vos films précédents, même s’ils ont été tournés en 2D, ont déjà cet esprit 3D sauf que cette fois vous étiez en extérieur en décor naturel, comment pouviez vous exprimer cette composition ?
Jean-Pierre Jeunet : Le film a été entièrement pensé en 3D, dès l’écriture. J’ai voulu que la 3D soit au service de la poésie, comme les effets spéciaux l’étaient pour Amélie Poulain. Par contre, il est vrai que je suis plus à l’aise dans des milieux urbains, dans les villes. Quand vous faites votre cadre tout se joue au centimètre alors que dans la nature, vous changez votre cadre de dix mètres et vous ne voyez pas la différence. Il faut rester humble. Les paysages sont magnifiques et la 3D les rend encore plus sensuels, palpables. Il suffit de choisir le bon moment, et la bonne heure pour capturer les images. En 3D, tout dépend du cadre, du choix des optiques. Demetri, stéréographe du film, m’avait vendu le fait que l’on pouvait changer les optiques en 5 minutes. En fait on était plus proche de 25 minutes. Donc, au bout d’un moment j’ai dit on laisse les 22 mm, on les soude sur les caméras et on y touche plus. De toute façon, c’est ma focale de prédilection, donc ça m’allait bien. Dans la nature en 3D, il ne faut pas que les focales soient ni trop longues, ni trop courtes.

Ayant vu beaucoup de films en 3D, j’ai supprimé tous les plans, ou les cadrages qui font mal à la tête. Dans Spivet, il n’y a aucun plan flou en amorce, qui sont gênants en 3D. Dans tous les films que j’ai pu voir, peu on été vraiment pensés 3D à part Hugo Cabret. Il faut faire attention aux reflets, aux brillances. Il est important de prendre en compte les objets dans l’espace. Ensuite, il faut aussi bien disposer les objets dans l’espace pour amplifier cette impression de relief, c’est là où l’accessoirisation du décor et le travail avec Aline Bonetto étaient très importants. De même le travail avec Madeline Fontaine sur les costumes : en 3D les textures, les matières sont importantes, certaines sont plus payantes que d’autres… Pendant le tournage, je n’arrêtais pas de faire des allers retours entre le plateau et la tente où étaient installés les écrans 3D pour voir l’effet rendu, pour être sûr de ce qu’on faisait.

 

Mediakwest : Comment s’est faite la rencontre avec Demetri Portelli ?
Jean-Pierre Jeunet : En 2011, j’ai été contacté par Demetri Portelli, le stéréographe du film Hugo Cabret réalisé par Martin Scorsese. Il me proposait de venir à Londres pour voir le tournage. Je n’ai pas pu venir le voir mais le contact était pris. J’ai vu beaucoup de films en 3D, beaucoup de mauvais films, de mauvaises conversions. Nous, nous voulions faire de la vraie 3D et Demetri a également cette vision. Le film est une coproduction franco-canadienne, et le tournage de Spivet s’est fait exclusivement au Canada. Quand j’ai appris que Demetri était Canadien, cela facilitait beaucoup de choses. Nous nous sommes parlé sur Skype et nous avons beaucoup échangé. Ce mec est adorable. Il proposait toujours des idées.

 

Mediakwest : Quel rôle prend le stéréographe sur le plateau, il forme un trio avec le directeur de la photographie ?
Jean-Pierre Jeunet : Non, le directeur de la photographie fait son travail et même si la 3D a une influence sur la lumière, il n’y a pas de véritable dialogue permanent sur le tournage entre le stéréographe et le directeur de la photographie. Demetri Portelli est quelqu’un de très positif, il a toujours des solutions. Par contre, il était entouré par une bande de Geeks 3D, qui restaient en permanence sous la tente avec tous les moniteurs et les systèmes de corrections, et eux étaient un peu particuliers. Ils formaient une équipe à part du tournage. Ils ne se sont pas vraiment intégrés, et quand on attend deux heures un nuage pour tourner, qu’on l’a enfin et qu’on vous dit qu’il y a des problèmes avec le rig, vous avez juste envie de tuer quelqu’un.

 

Mediakwest : Comment s’est passé le tournage ?
Jean-Pierre Jeunet : Nous étions dans l’expérimental en permanence. Nous avons tourné avec les premières Alexa M avec des liaisons en fibre optique. Cette longueur de fibre de 300 m permettait d’avoir le contrôle sur l’image en permanence. Mais là aussi nous avons eu quelques déboires, comme de la poussière qui est entrée dans la fibre ! La 3D, il ne faut pas le cacher, apporte une certaine lourdeur. Nous avons apporté un soin immense tant sur le tournage que lors de postproduction pour qu’elle soit la plus belle et la plus confortable possible. Pour le tournage j’ai privilégié des images contemplatives.

 

Mediakwest : Vous appréhender la sortie 3D ?
Jean-Pierre Jeunet : Le problème est la qualité de projection dans les salles qui n’est pas à la hauteur du travail que nous avons fourni. J’ai fait le tour de plein de salles à Paris, en banlieue, et malheureusement la majorité des écrans utilisent la technologie passive avec des écrans métallisés et c’est vraiment pas terrible. La qualité de l’image varie d’un point à l’autre dans la salle. Les lunettes actives offrent une image beaucoup plus belle, comme celle que l’on a imaginé mais, à part quelques indépendants, plus personne n’utilise cette technologie.

 

 

La famille
Un tournage avec Jean-Pierre Jeunet c’est avant tout une affaire de famille. Icône de ses tournages, Dominique Pinon campe un personnage poétique, qui fait une courte apparition mais dont la présence forte donne une aura au film. Une partie de l’équipe de fidèles est présente : Aline Bonetto aux décors, Madeline Fontaine aux costumes, Nathalie Tissier au maquillage. Toutefois, Jean-Pierre Jeunet n’a pas pu travailler avec son chef opérateur habituel Bruno Delbonnel (qui n’avait pas non plus été présent sur Micmacs). C’est donc avec Thomas Hardmeier que la collaboration s’est faite, habitué à travailler sur les films de Richard Berry.

 

No papier
Le film a été entièrement dématérialisé dans ses moyens de productions du tournage jusqu’à la postproduction. Mais également dans sa préparation, Jean-Pierre Jeunet aime la technologie quand elle sert la création. Il a été souvent précurseur dans ses différents films. Le premier à mixer en numérique, le premier à faire un étalonnage numérique, le premier à filmer en 3D sur une fiction française de cette ampleur. « Quand on m’apportait des documents papiers je les refusais. J’ai fait tout le storyboard sur mon ordinateur, et je pouvais le consulter sur mon iPad à tout moment. J’ai fait une grande partie des repérages, du casting sur Internet et via Skype ». C’est également sur Internet que Jean-Pierre Jeunet a trouvé son compositeur. Il a écouté 400 musiciens canadiens, et il a trouvé le duo Denis Sanacore et son épouse, lui guitariste et elle violoncelliste. Ils jouent également dans les mariages. La musique de Spivet a un côté western, folk, pleine d’émotion.