La caméra Delta Penelope est la dernière-née d’Aaton, entreprise grenobloise connue pour sa capacité d’innovation. Au départ, le projet d’Aaton était de modifier la Penelope, leur caméra Super 35mm, en lui ajoutant la possibilité de remplacer le magasin 35 par un dos numérique comprenant le capteur et l’électronique. Mais avec l’accélération du passage au numérique en tournage, le projet a été simplifié, et la Delta Penelope est devenue une caméra numérique à part entière, à capteur S35 et enregistrement non compressé intégré.
Capteur CCD et visée reflex
De la Penelope 35mm, la Delta conserve la visée optique et l’obturateur rotatif. Aaton fait le pari que ce viseur réflex saura séduire les opérateurs lassés de la visée numérique, peu définie, avec un décalage d’une ou deux images par rapport à ce que l’on filme.
Le capteur est un CCD FT (frame transfert) fabriqué par Dalsa sur un cahier des charges défini par les ingénieurs d’Aaton. Pour l’anecdote, ce CCD est embarqué actuellement dans le Rover Curiosity de la Nasa qui explore la planète Mars. Le capteur offre un excellent facteur de remplissage fill factor de 90 %, largement supérieur aux capteurs CMos. Cela signifie que la taille des photosites est maximale et assure une captation d’un maximum de photons incidents. Ainsi, le rapport signal sur bruit du capteur est élevé à la sensibilité nominale de 800 Iso. Il faut donc ensuite moins d’artifices électroniques – de traitements dans la caméra ou en post-production – pour réduire le bruit et reconstituer les zones aveugles entre les pixels. Aaton a choisi le CCD non seulement pour sa haute sensibilité, sa définition élevée, mais aussi pour sa résistance aux rayons cosmiques, qui sont connus pour détruire des photosites des capteurs lors des transports par avion. En contrepartie, la cadence image est limitée à 30 i/s. Le capteur CCD FT de Dalsa est, par principe, insensible au rolling shutter : l’intégralité de chaque image est capturée au même instant, et transférée dans la zone mémoire du capteur, séparée de la zone image. Ce transfert s’effectue lors du masquage de la zone photosensible au cours de la rotation de l’obturateur hérité des caméras film. Le capteur est vidé dans son intégralité pendant le temps d’obturation. Cela à l’inverse d’un capteur CMos où l’image est « scannée » progressivement, plus ou moins rapidement, comme avec un obturateur à rideau. Le fonctionnement du CCD est celui qui se rapproche le plus du film, puisqu’il revient à faire une série de photographies. Il permet surtout d’échapper au jello-effect qui peut survenir avec un rolling shutter.
Comme dans toutes les caméras grand capteur actuelles, l’analyse tri-chrome se fait par un filtrage RVB au niveau des photosites par une mosaïque de Bayer.
Obturateur à fentes
L’une des grandes innovations de la Delta se situe dans l’obturateur multi-fentes, conçu pour les tournages en extérieur en fortes lumières. Une des difficultés posées par les caméras numériques à forte sensibilité pour ce type de tournage, est qu’elles nécessitent l’usage de filtres neutres. L’obturateur de la Delta se présente comme un obturateur classique, un disque tournant dont la moitié est un miroir qui renvoie l’image au viseur, tandis que l’autre moitié – soit 180° – est une ouverture qui laisse passer la lumière. Cette autre moitié, en mode 100 Iso, est fermée par une sorte de store vénitien, d’où son nom d’obturateur multi-fentes. Ce système réduit d’un facteur 8 la lumière parvenant au capteur (soit trois diaphragmes), ce qui supprime le recours aux filtres neutres. Contrairement à un obturateur classique, l’obturateur à fentes Aaton conserve le temps d’exposition de 180°, permettant au capteur d’être exposé la moitié du temps, soit 20 millisecondes à 25 images/secondes. Raccourcir le temps d’exposition aboutirait à des images trop nettes, qui donneraient une dommageable impression de stroboscopie.
En termes d’ergonomie, la Delta reprend le célèbre design du chat sur l’épaule, selon la tradition d’Aaton. Assez légère (7,5 kg avec deux batteries), elle est conçue à la fois pour être utilisée sur pied en tournage fiction, avec une équipe complète (cadreur, assistants, etc.), ainsi qu’à l’épaule en tournage documentaire, avec une grande mobilité. Un grand écran LCD sur le flanc droit donne accès aux réglages, pour un fonctionnement autonome de l’objet. L’assistant-opérateur peut ainsi vérifier les paramètres essentiels, et configurer les sorties, le time-code… sans empêcher le cadreur de cadrer ou de préparer la prochaine prise, et sans encombrant matériel supplémentaire. Côté cadreur, un petit écran LCD reprend les principaux réglages et informations : vitesse, charges des batteries, etc. Une grosse molette – héritée du Cantar – donne accès aux menus et à la lecture des plans ; placée sur le dessus de la caméra, elle est accessible tant au cadreur qu’à l’assistant.
La Delta possède une entrée micro numérique AES 42, qui permet, à l’aide d’un micro canon, d’enregistrer le son de très haute qualité sans avoir besoin de réglage de niveau. Le son est enregistré avec toute sa dynamique, directement dans le fichier image. Elle est équipée de sorties vidéo Rec709 HD-SDI et 3G-SDI, ainsi que d’une entrée gen-lock pour prise de vue relief ou à plusieurs caméras.
Enregistrement non compressé
La Delta a un enregistreur incorporé, appelé Delta Pack, composé de l’assemblage de quatre modules SSD du commerce. Ces modules sont remplaçables par n’importe quelle marque, Aaton tenant à ce que l’objet dans lequel on enregistre l’image ne soit pas propriétaire. Le Delta Pack a une capacité d’un tera-octet, en Raw non compressé, ce qui correspond à 50 minutes d’enregistrement. On atteint ainsi un haut niveau de qualité d’image sans enregistreur externe : comme la Red Epic et contrairement à l’Alexa première manière, la Delta se suffit à elle-même.
La Delta est une caméra Raw qui, selon la philosophie d’Aaton, se rapproche le plus possible d’une caméra film : un objet servant à la captation avant tout, donc un système d’enregistrement « brut » qui permet de retenir le maximum d’informations, lesquelles seront traitées dans un second temps. Pour faire du Raw, il fallait donc pouvoir tout enregistrer et ne rien compresser, donc avoir des disques suffisamment rapides pour ne jamais s’éloigner du temps réel. D’où les quatre SSD montés en Raid-0, et d’où le choix du format d’enregistrement Cinema DNG. Ce format est un standard ouvert, documenté, choisi pour faciliter le développement et l’adaptation des systèmes d’étalonnage aux images de la Delta. Aaton espère, par son utilisation, contribuer à l’établissement d’une alternative à la multiplication des formats Raw propriétaires, qui entravent les workflows. Ils n’assurent pas non plus la pérennité des données dans le temps. Rappelons que le Cinema DNG est supporté par Adobe, adaptation du Photo DNG pour le cinéma. C’est aussi le codec de l’Ikonoskop Acam DII.
Grâce à l’enregistrement Raw, on conserve dans le fichier la structure de la mosaïque de Bayer du capteur (deux photosites verts pour un bleu et un rouge). L’enregistrement est linéaire, il n’y a aucune courbe appliquée dans la caméra. Chaque image est enregistrée sous forme de fichier image séparé, en DPX, format de fichier standard. Le Delta-Pack est formaté en Fat-32. Chaque fichier image DPX fait 14 Mo, ce qui permet de ne pas subir la limitation du FAT-32 à 2 ou 4 Go.
Les workflows
Aaton a développé Ergon, station de lecture, de débayerisation et de transferts des rushes. Le choix des formats ouverts s’applique aussi à la constitution d’une station Ergon : n’importe quel ordinateur fait l’affaire, qu’il soit sous Mac OS, Windows ou Linux. Le Delta Pack nécessite juste un adaptateur pour le connecter à une carte ATTO PCI habituelle. Il est aussi possible de constituer un Delta.link à connecter à un port Thunderbolt. Une tour de disques durs Raid de débit élevé réceptionnera les images.
Les stations de on set dailies et d’étalonnage Marquise Technologies (Mist et Rain), DaVinci Resolve, Firefly, Filmlight (BaseLight) supportent déjà les rushes issus de la Delta Penelope.