Sur le plan cortical, cette économie de manipulation est gage de moins de fatigue, notamment visuelle et mentale, et d’une meilleure focalisation sur l’aspect conceptuel et artistique du montage, simplement en automatisant les tâches répétitives via des raccourcis claviers à une seule touche, facilement digérés par la mémoire procédurale.
Les actions de montage deviennent fluides, un peu comme le jeu d’un musicien qui regarde à peine ses mains, les doigts se posent naturellement au bon endroit. Le conscient n’étant plus sollicité par des actions complexes – dérouler et chercher dans un menu, taper plusieurs touches simultanément, cliquer pour changer de fenêtre -, il laisse à l’inconscient les manipulations simples et réduites à minima et peut ainsi se concentrer sur les contenus.
Depuis la naissance, au début des années 1990, du montage numérique professionnel avec Avid, les logiciels de montage concurrents en ont gardé l’ergonomie de base tout en l’améliorant, pour un gain de productivité non négligeable. Là où il fallait plusieurs touches pour faire un raccourci clavier, ou plusieurs manipulations pour une action simple, il n’en faut aujourd’hui plus qu’une pour les tâches répétitives courantes.
La plupart des logiciels de montage offrent d’ailleurs les mêmes raccourcis clavier de base (I : point d’entrée, O : point de sortie, JKL : lecture rapide avant/arrière), le reste étant configuré par défaut par les éditeurs de logiciels. La concurrence des systèmes de montage est telle que ces logiciels offrent plusieurs configurations (layout) de raccourcis, dont celles de ses concurrents : vous pouvez monter sur Da Vinci avec les raccourcis de Premiere ou de Final Cut ; il suffit d’activer le panneau dans le menu des raccourcis. Bien pratique de retrouver ses touches quand on change de logiciel…
La première source d’économie de clics et tapes est donc un panneau de raccourcis bien programmé, pensé en rapport avec la position des mains : un droitier utilisera idéalement la main gauche sur le clavier et la droite pour le pavé numérique et la souris. La main gauche active, entre autres, les fonctions de lecture avant/arrière (JKL) et de points d’entrée/sortie (I & O situés juste au-dessus de JKL) pendant la phase initiale de dérushage ; ce sera évidemment l’inverse pour un gaucher.
Le sport du monteur consistant à cliquer le moins possible, il faut commencer par analyser le nombre de clics ou tapes que requiert une action. Prenons la méthodologie élémentaire enseignée aux monteurs débutants comme le montage par insertion (ou addition). Une fois les rushes importés, le montage par insertion ou addition consiste à double-cliquer sur le premier plan (dans le chutier), qui apparaît dans le visualiseur à gauche du moniteur de montage, puis de parcourir ce plan avec la souris ou les touches JKL pour en tailler la ou les parties exploitables, via les touches I & O, et enfin à l’envoyer dans la chronologie (timeline) via un raccourci préprogrammé (F9, F10 pour FCPX, virgule (,) et point-virgule (;) pour Premiere) : soit six clics et tapes pour un seul plan posé ; cent plans envoyés dans la séquence représentent donc 600 clics et tapes clavier (sans compter les doubles-clics et mouvements de souris pour la visualisation dont on ne retiendra pas le plan)…
Avec les supports numériques à grandes capacités d’écriture, à des prix très bas comparés à la bande magnétique du XXe siècle, plus personne ne fait d’économie au tournage. Notamment en reportage et documentaire, on a souvent intérêt à laisser tourner la caméra en attendant que l’événement attendu se produise. Cette technique produit beaucoup de rushes et accroît grandement le temps du dérushage. Alors comment faire pour manier autant de plans potentiels sans perdre trop de temps au montage ? La solution est le montage par extraction.
LE MONTAGE PAR EXTRACTION
Il consiste à créer une séquence de dérushage pour chaque jour de tournage, donc à prendre dans le chutier tous les plans d’un seul coup et à les envoyer dans cette séquence chronologiquement, sans même les regarder dans le visualiseur, ni leur donner une taille (entrée/sortie).
Une fois dans la timeline, les 100 plans (par exemple) enregistrés par la caméra s’alignent dans l’ordre du tournage. Il ne reste plus qu’à extraire les parties non exploitables (recadrage, flous de mise au point, bougés brutaux, vibrations, changements de diaphragme) en travaillant directement dans la séquence toujours à l’aide des touches de lectures avant/arrière (JKL) et des touches d’entrée/sortie (I & O) via la main gauche (pour les droitiers). Simplement, l’entrée et la sortie sur un plan détermineront la partie à extraire, soit seulement trois clics : I, O, Touche d’extraction ($ pour Premiere, Delete pour FCPX). Cette méthode économise un double-clic pour une visualisation par plan ainsi que l’action d’envoyer le plan dans la séquence, soit trois clics et tapes sur six, donc 300 manipulations de moins pour 100 plans.
Si on compte en moyenne trois secondes par plan monté, on obtient 20 plans à la minute montée, 200 pour 10 minutes, 600 pour 30 minutes, 1 800 pour 90 minutes… Sur de telles quantités, trois clics économisés par plan ne sont plus négligeables.
Il faut bien comprendre qu’il s’agit pour l’instant d’une séquence de dérushage qui se taille donc directement sur la timeline et que l’on parcourt d’un seul clic de souris ou de clavier, pas de changements de fenêtres, pas de clics externes. Tout se fait avec les cinq touches JKLIO, la souris est au repos. Ce premier tri, qui n’écarte que les plans inexploitables, n’est pas un montage, c’est un simple dérushage ; néanmoins, les plans coupés côte à côte restent chronologiques et font apparaître assez rapidement la diversité des valeurs de plans offerte par le tournage, ainsi que certaines coupes « naturelles », des plans qui s’enchaînent du fait de leur réduction à la partie exploitable.
Cette technique s’applique aussi bien aux interviews, fixes ou en mouvement, en intérieur ou extérieur, qu’aux plans descriptifs. Pour les interviews, les réponses complètes seront isolées côte à côte, idem pour les plans descriptifs.
Une fois au bout de la séquence de dérushage, la première chose à faire est de la dupliquer comme une base de travail pré-nettoyée que l’on caractérisera en la nommant « Séquence 1 – base ». Puis on revient sur la séquence 1 que l’on vient de dupliquer et on recommence un deuxième tri en éliminant cette fois les plans hors sujet, inutiles ou inintéressants, que ce soit dans l’interview ou les illustrations. Les 100 plans initiaux ne seront plus que 50, voire moins, mais ils seront taillés et tous exploitables dans le sujet ; certains commenceront même à s’ajuster naturellement côte à côte, comme si la coupe nous tombait sous la main…
Un troisième tri constituera un premier montage par réduction et déplacement des plans, permutation, ajustements divers, réglages de splits, tout cela entièrement et directement sur la timeline, sans jamais perdre de vue et d’écoute l’essentiel du reportage, ni cliquer ailleurs.
Cette méthodologie, qui peut sembler contre-intuitive au premier abord, devient une seconde nature avec un peu de pratique et permet de gagner de précieuses heures au dérushage. Surtout, elle permet de mémoriser inconsciemment et rapidement les plans à notre disposition dans la chronologie du tournage, et de « cadrer » l’essentiel du propos.
En outre, en cas de besoin, on peut aisément aller rechercher dans la séquence-base, d’éventuels plans que l’on aurait éliminés trop vite au montage. Le fait de voir tous ses plans côte à côte dans une timeline et pouvoir les consulter rapidement d’un mouvement de souris ou avec les flèches (haut/bas) pour aller de coupes en coupes, est beaucoup plus simple et rapide que de consulter un chutier plan par plan.
Toutefois, cette méthode s’adresse surtout au dérushage abondant. Si vous montez une pub en cinq plans, cette technique ne représentera pas un gain de temps avec 20 plans de dix secondes au départ. Elle devient vraiment intéressante à partir de 10 minutes et jusqu’à plusieurs heures de rushes à réduire sur des sujets de 3 à 90 minutes.
En images, reportage avec 30 minutes de rushes au total.
Sur la timeline (image 1)
Côté gauche, l’action et les sons synchrones ; côté droit, les plans d’illustrations. La coupe à extraire correspond à une image inexploitable sur 7”23i. © DR
Séquence1-base (image 2).
Le reportage est réduit par extraction aux plans exploitables à 12’20”. On élimine les recadrages, flous de mise au point, bougés brutaux, vibrations, changements de diaphragme. On fait de même avec les plans descriptifs à droite de la timeline que l’on monte sur la musique pour des coupes rythmées. Pendant cette première phase, on ne se sert pas nécessairement de la souris, tout peut se faire avec JKLIO et la touche d’extraction programmée à proximité comme le $ (extraire et resserrer par défaut). La main gauche bouge à peine et la droite se repose… Pour 100 plans montés, on passe de 600 clics à 300. On a éliminé la moitié des clics du montage par insertion/addition.
Séquence 2 (image 3).
4’45” toujours montées par réduction (extraction). Pour une meilleure visibilité, les plans descriptifs ont été placés en piste vidéo 2, également par réduction toujours dans la timeline en éliminant les plans hors sujet, inutiles ou inintéressants, que ce soit dans l’interview ou les illustrations, puis par déplacement, permutations, etc. À ce stade, l’utilisation des touches Q ou W rabotant en une seule action le début ou la fin d’un plan déjà taillé dans la timeline, élimine deux clics sur trois ; plus besoin de IO & $ (extraire et resserrer).
Dernière réduction à 3’15” (image 4)
Avec titrage et mixage, le tout produit en moins de deux heures depuis le dérushage. Travaillée dans une seule fenêtre, la timeline, en l’occurrence, évite de nombreux clics inutiles à l’extérieur, sur les autres fenêtres ou les menus, et permet de se focaliser sur les plans et le propos.
Article paru pour la première fois dans Moovee #2, p.82/84. Abonnez-vous à Moovee (4 numéros/an) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.