Directeur puis Président du Directoire du Bien-Public jusqu’en 1996, Louis de Broissia a assuré la direction déléguée de la Socpresse pendant 9 ans. Président du GIP France Télé Numérique jusqu’à fin 2012, il a été nommé, parallèlement, en Conseil des ministres, Ambassadeur pour l’audiovisuel extérieur de la France. Cet homme de médias et également élu revient sur cette étape…
Mediakwest : Quels sont les enseignements du passage de la France à la télévision numérique ?
Louis de Broissia : Il faut, déjà, souligner que ce passage a été porté par deux grandes lois. Déjà, celle du 5 mars 2007, dont j’étais rapporteur au Sénat et relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur. La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique a complété celle de 2007. Ces deux lois ont donné à la France l’ambition de passer avant fin 2011 (pour l’ensemble des territoires français, y compris l’Outre-mer) à une couverture terrestre numérique. Et le résultat est là : 97 % des Français peuvent obtenir, par le mode râteau (cher aux Latins), la télévision numérique ! Le consensus du calendrier a été tenu ; celui d’une association de tous les acteurs concernés par ce passage (les télévisions, les téléspectateurs et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) est un succès, grâce au travail du GIP : France Télé Numérique. Sur le plan financier, le financement de ce passage au numérique était doté d’un budget de 326 millions ; son coût a été finalement de 150 millions. Cette économie budgétaire est due, certes, à une bonne gestion et la demande en équipements des ménages a été moins importante que prévue. Le mode progressif du passage, choisi par le CSA, a été un garant de succès de cette couverture. Un grand motif de satisfaction, pour la France, réside dans le succès de la couverture de la totalité des territoires ultra-marins, par le mode numérique. La Guyane, la Réunion, Mayotte (en pleine émeute de la vie chère), les îles du Pacifique (Tahiti, Bora Bora et Moorea) ont réussi leur conversation analogique vers le numérique. On peut considérer que nous avons réussi, dans certains endroits comme la Nouvelle Calédonie, à installer (à travers la télévision) un facteur de paix sociale.
MK : La France a-t-elle exporté son expérience ?
LdB : La France s’est sentie très forte de ce passage réussi notamment par rapport à ses homologues comme l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne… Pour des continents comme l’Afrique, l’Amérique latine, l’Asie du Sud-Est, l’Europe orientale et centrale : le passage au numérique est prévu à l’horizon de l’année 2015. Notre réussite nous a conduit à élaborer « un guide du passage au numérique » qui est un document rédigé en français, en anglais et en espagnol. Il est diffusé, aujourd’hui, par tous les Ambassadeurs français dans le monde et aussi, par moi, à tous les chefs d’États, Ministres… Il s’agit de diffuser ce guide à tous les gouvernements, contraints par la Convention de Genève, de passer au numérique, et ce, avant juin 2015 !
MK : Que signifie, pour vous, la télévision numérique ?
LdB : Pour moi, la télévision numérique terrestre signifie : télévision pour tous ! La France a exporté, non pas son savoir-faire, mais son expérience auprès des continents dont le passage est programmé en 2015. Des pays, à titre d’exemple le Niger, nous ont sollicité pour rédiger des lois audiovisuelles. Et le numérique doit être accessible dans toutes les régions du monde, même sur une île ! La France, du fait de sa réussite, a suscité une très forte attente vis-à-vis des continents dont le passage est en cours. Je plaide, en Afrique, pour le dividende numérique.
MK : L’analogique semble déjà loin…
LdB : L’analogique avait un mode d’existence de plus de 60 ans. C’était un mode coûteux, en espace et en fréquence ! Et lorsque vous expliquez cela à des gouvernements africains, ils comprennent tous. La méthode française a séduit, et ce, à tous les niveaux. Ce succès n’a pas fait l’économie d’un bilan (dans lequel sont stipulés certains échecs). Cela me semble positif d’évoquer aussi les difficultés rencontrées notamment vis-à-vis d’autres gouvernements… Une preuve : il a fallu compléter la loi de 2007 par celle de 2009 !
MK : Au-delà de la certitude de votre succès, avez-vous des doutes sur certains points ?
LdB : J’ai une interrogation : est-ce que le gouvernement français attachera de l’importance à la suite des évènements ? Nous avons réuni à Bercy, en novembre 2013, 17 ministres africains sur la thématique du passage au numérique ; j’ai trouvé que la présence ministérielle française n’était pas assez significative. Notre seule concurrente, en Afrique et ailleurs, est la République populaire de Chine. Et elle est ultra-présente. J’ai proposé que la France ou l’Europe s’engage à hauteur de 10 millions d’euros pour aider l’Afrique à entamer le processus ! Aider les continents et en être partenaire est un enjeu : diffuser nos contenus audiovisuels…
MK : Le numérique comme vecteur de revenus futurs ?
LdB : Les revenus du numérique vont devenir très importants. Internet est l’économie de demain. Avec des nouveaux métiers, donc. Si l’on veut que ces nouvelles opportunités du numérique se créent avec l’aide de la France, il faut se positionner.
La Presse a un avenir qui passe aussi par le numérique. Je me réjouis que le nouveau Président de Radio France, que je connais bien, Mathieu Gallet, place le numérique au centre de sa stratégie de développement.
MK : Quel est le partenariat le plus significatif, pour vous, dans le secteur audiovisuel ?
LdB : Canal France International (CFI), sous la coordination de son directeur général, Etienne Fiatte, est le modèle pour moi de la réussite de coopération dans le monde. Sa discrétion est à l’image d’Etienne Fiatte ! Je me suis réjoui de voir Marie-Christine Saragosse arriver à la tête de France Médias Monde pour gérer un groupe exceptionnel.
MK : Le monde de demain s’inscrit en numérique, selon vous ?
LdB : Le monde de demain est déjà là. Le monde industrialisé va changer, du fait qu’il soit «connecté ». C’est bel et bien une formidable espérance, à mon sens. Le Forum Netexplo, que j’ai co-fondé, et qui s’est déroulé les 26, 27, 28 mars à l’Unesco a dévoilé une année d’observation de l’innovation numérique tout en imaginant des nouveaux usages pour les entreprises…