Les liaisons de contribution TV : des réseaux complémentaires

Les liaisons de contribution TV ont longtemps été l’apanage des transmissions satellites en bande KU. La montée en puissance de réseaux alternatifs, comme la fibre optique, la téléphonie 4G ou la bande KA, offre des solutions performantes pour rapatrier les images et les sons d’un direct. Au lieu de rivaliser avec les cars DSNG en bande KU, ces nouveaux modes de transport les complètent dans des architectures toujours plus efficaces.*
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Les liaisons de contribution servent à transporter les images et les sons des émissions en direct vers le siège de la chaîne TV et sa régie finale. Elles « contribuent » à la fabrication du programme depuis les lieux extérieurs où se déroulent l’actualité, des événements sportifs ou des spectacles.

Depuis une trentaine d’années, ces liaisons sont transmises via des satellites géostationnaires, d’abord depuis des camions munis d’antennes de 2 à 3 mètres, puis des véhicules plus légers et des antennes plus petites. Avec l’amélioration des performances des émetteurs et le passage au numérique, elles sont assurées grâce à des camionnettes appelées DSNG (Digital Satellite News Gathering).

Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, ce marché a littéralement explosé, à la fois par l’augmentation des capacités satellitaires, de la multiplication des chaînes TV, en particulier les chaînes d’info en continu ou les programmes dédiés aux sports.

 

De multiples prestataires

Globecast, filiale à 100 % d’Orange est le plus connu et le plus ancien spécialiste de ces liaisons. Fort de ses vingt véhicules KU en France, dont certains équipées de moyens de production (jusqu’à six caméras avec mélangeur), trois en Grande-Bretagne et six en Italie, le prestataire gère également le nodal d’échanges à Paris Archives, plus connu sous l’ancienne dénomination SERTE. Il a conçu et exploite aussi les flottes DSNG de certaines chaînes et prend en charge la gestion de média centers lors de la tenue de grands événements internationaux.

De nombreux autres prestataires ont investi ce marché extrêmement concurrentiel qui subit aussi les assauts de solutions technologiques alternatives décrites ci-après. Le paysage français du marché de la contribution évolue régulièrement. Ainsi, à l’automne dernier, TDF a racheté Ad Valem, qui avait développé une offre hybride basée sur une transmission simultanée fibres optiques/Satellite KU. Plus récemment, les Films du Soleil ont revendu leur flotte de cars SNG à WTS Live qui exploite maintenant une trentaine de véhicules. En complément à sa flotte de cars-régies de production, AMP a mis en place une filiale Xi Live qui exploite sept véhicules DSNG et trois stations mobiles Fly.

De manière simplifiée, un car DSNG comprend un encodeur vidéo qui compresse le signal SDI issu d’une caméra, d’un mélangeur ou d’un car-régie, dans un flux H.264 sous forme d’un signal ASI. Celui-ci est envoyé sur un modulateur pour obtenir un signal HF, ensuite amplifié et transmis vers le satellite via l’antenne.

Cette liaison montante est captée par le satellite, transposée sur une autre fréquence et renvoyée sur toute la zone desservie, en général de la taille de l’Europe continentale. Cette transmission est unidirectionnelle et le satellite fait office de distributeur vers toutes les chaînes souhaitant recevoir ce direct, sous réserve de faire partie des ayants droit. Pour améliorer la fiabilité de la transmission, l’ensemble des équipements sont dédoublés avec un système de commutation assurant une continuité de service.

Ce schéma de transmission s’est enrichi d’un mode de transport bidirectionnel en IP grâce à la technologie NS3 développée par NovelSat, un constructeur de modem satellite distribué par SAV en France. Le codage et le traitement des signaux offrent une efficacité spectrale améliorée de 40 à 60 % par rapport au DVB-S2. Grâce à la technologie Duet-CEC, il est possible d’établir une liaison bidirectionnelle IP avec un débit maximal de 850 Mb/s. Il devient alors possible de renvoyer depuis la chaîne vers le lieu du direct divers signaux nécessaires à la production : des voies de retour, l’intercom pour la coordination, l’accès à l’informatique de la chaîne, ou des transferts de fichiers. NovelSat a annoncé la sortie de sa technologie NS4 qui offre encore de meilleures performances de transmission.

 

Les DOS de transmission 4G

En 2007, LiveU a lancé son premier DOS de transmission 3G ou 4G avec l’ambition d’éliminer les contraintes d’exploitation des satellites. En associant plusieurs flux émis grâce à un jeu de cartes SIM exploitées par des opérateurs différents, et à la technique du « bonding », il devenait possible de transmettre des images vidéo « live » via le réseau téléphonique mobile terrestre. Avec un coût de transmission beaucoup plus faible et surtout un matériel ultraléger, cette nouvelle technologie offre une grande liberté aux journalistes pour couvrir l’actualité en direct à condition qu’ils soient dans une zone couverte par les réseaux 4G.

Avec sa généralisation en ville, les images transmises sont d’une qualité à peu près équivalente à celles transitant par le satellite. Malgré la souplesse apportée et surtout la rapidité de mise en œuvre d’un direct dans le cas d’une actualité chaude, la généralisation des DOS/4G dans la rédaction des chaînes TV n’a pas réduit l’activité des camions DSNG. En effet pour du « breaking news », Michele Gosetti, responsable des services de contribution de Globecast, constate que « sur l’actualité chaude, les chaînes envoient tout de suite une équipe à moto avec un sac à dos 4G pour émettre très vite. Dès que l’événement dure un peu, un DSNG est envoyé en renfort ».

Le fonctionnement des backpack LiveU, TVU ou Aviwest conduit à un temps de latence important qui casse le rythme des dialogues entre le plateau et le lieu du direct. Sur une liaison satellite, ce temps est plus court et facilite l’interview à distance.

Concernant le confort de travail, Thierry Michalak, directeur de la production externe à TF1, pointe les avantages d’un car SNG : « Si on reste plus que quelques heures, on a un véhicule dans lequel on peut s’asseoir, être au chaud, monter un sujet, et faire une double transmission en envoyant les rushes d’un côté et le sujet de l’autre ».

De son côté Corentin Rivière, responsable des diffusions, transmissions et moyens externes pour D8, D17 et iTélé constate « que l’arrivée des DOS/4G n’est pas venue concurrencer l’utilisation du DSNG, mais au contraire a élargi les volumes de transmission en direct ».

 

Le satellite KA-SAT

Fin 2010, l’opérateur de satellites Eutelsat a lancé KA-SAT, un satellite fonctionnant en bande KA (de 17 à 31 GHz). Il est destiné à offrir un accès à Internet par satellite au grand public et aux professionnels dans les zones blanches mal desservies en ADSL ou en 4G. Grâce à ses 82 spots de 250km de diamètre au sol, il dessert toute l’Europe, le Moyen-Orient et le Maghreb. À côté d’un service professionnel offrant jusqu’à des débits de 22 Mb/s en download et 6 Mb/s en upload mais avec une garantie de débit très limitée, Eutelsat propose NewsSpotter un service dédié aux transmissions TV.

Le transport des signaux s’effectue entièrement en IP avec une liaison bidirectionnelle. La taille de l’antenne et des équipements électroniques est beaucoup plus réduite que pour les transmissions en bande KU ; ils peuvent être installés dans une grosse berline. Leur mise en œuvre est beaucoup plus simple et nécessite une formation allégée.

Les signaux IP transmis par le terminal KA-SAT sont récupérés par la station de contrôle de Turin d’où ils sont renvoyés vers le destinataire via des liens IP terrestre. Ce retour terrestre vers la chaîne TV où son prestataire subira les aléas d’une liaison IP classique, même si des dispositions peuvent être prises pour en améliorer la qualité, mais au prix d’un surcoût.

Eutelsat annonce un débit garanti de 10 Mb/s (attention, valeur mesurée en UDP), mais plusieurs utilisateurs estiment qu’il faut compter sur 6 Mb/s au maximum. AMP, via sa filiale Xi Live, exploite deux véhicules KA-SAT et deux systèmes mobiles Fly.

Bernard Birebent, son responsable des transmissions Live TV estime « que le service KA-SAT fonctionne correctement pour des news, ou de l’institutionnel, mais que pour du sport, ce n’est pas suffisant ». Il note également que les transmissions en KA-SAT utilisent des fréquences plus hautes que le KU et sont donc plus sensibles aux aléas météo.

E-SAT est un prestataire spécialisé dans les télécommunications par satellites et propose à la vente ou à la location des antennes KA-SAT manuelles ou à pointage automatique. La société a conçu le service à la demande Terralink News accessible par un portail Web, qui permet de réserver une liaison par tranches de 15 minutes avec un débit maximal garanti de 10 Mb/s. Le coût de la liaison est facturé 32€ HT par Mb/s et par heure.

Arnaud Beauvoir, son directeur technique constate que ce service est utilisé principalement par des sociétés de production pour couvrir en direct des conventions d’entreprise en vue de les diffuser sur le web, des assemblées de collectivités locales ou même du sport pour des disciplines absentes des chaînes nationales.

Globecast, avec ses véhicules M’icar, fait le même constat de l’intérêt porté par la communication « corporate » à l’utilisation du KA-SAT. Michele Gosetti estime que « le KA-SAT élargit la visibilité de nombreux sports, absents de la télévision. Cela permet à des fédérations sportives de retransmettre en direct sur le web leurs événements. Nous proposons tous les outils d’encodage et de distribution OTT. »

En 2014, France Télévisions avait lancé ses premiers VRC – Véhicule de reportage connecté – exploitant une transmission en KA-SAT, pour compléter la flotte de cars KU implantés dans les stations France 3. La chaîne publique a élargi sa flotte pour atteindre une vingtaine d’unités de reportage KA-SAT et Videlio a annoncé la construction d’une nouvelle série de dix unités pour l’an prochain.

De son côté, iTélé a renouvelé totalement sa flotte de cars DSNG en 2015. Le parc existant comprenait dix unités fonctionnant en bande KU. Elles sont remplacées par trois unités transmettant en bande KU et sept en bande KA. Les cars DSNG munis d’une antenne KU sont prévus pour couvrir les événements majeurs avec des moyens de production intégrés (mélangeur vidéo, quatre caméras HF et transmission multifaisceau) avec une équipe technique, dont un spécialiste des transmissions. Les sept autres unités, des camionnettes plus légères, sont équipées d’une antenne KA et d’un module de transmission 4G Mobile Viewpoint.

Réparties sur tout le territoire, elles sont conçues pour être exploitées directement par le JRI. Le système Mobile Viewpoint sélectionne automatiquement le réseau le mieux adapté en débit, KA-SAT ou 4G. Si la liaison par satellite n’est pas possible pour des raisons de visibilité, les images partiront en 4G sans aucune intervention du JRI.

Au lieu de parler de véhicule KA-SAT, Corentin Rivière préfère l’expression « bureau mobile pour l’équipe de reportage ». La liaison IP bidirectionnelle lui offre un accès à l’informatique de la chaîne, un retour audio, l’intercom avec la coordination. Le véhicule est aménagé avec une table de travail pour y installer un ordinateur de montage, et offre 8 ou 9 heures d’autonomie avec ses batteries lithium intégrées. Chaque véhicule est pourvu de deux caméras complètes et d’un DOS/4G Aviwest.

Les deux types de véhicules sont conçus pour assurer des liaisons multifaisceaux, c’est-à-dire transportant plusieurs images simultanément. Cela répond à la demande des rédactions qui souhaitent multiplier les sources d’images lors d’un direct, interview à deux caméras, un plan large sur la scène de l’événement ou même pour un groupe audiovisuel, alimenter plusieurs chaînes en même temps. Cette transmission multifaisceaux est rendue possible par le multiplexage de plusieurs sources codées ASI et surtout par la généralisation des transports en IP, de base en KA-SAT ou offert par le modulateur NS3.

 

La fibre optique étend sa toile

Dans le domaine du sport, les matches reviennent régulièrement sur les mêmes stades et une bonne partie de l’actualité se déroule de manière récurrente depuis les mêmes endroits (Palais de l’Élysée, Assemblée nationale, sièges des partis politiques…). Les réseaux en fibres optiques sont maintenant largement déployés par les opérateurs de télécommunications dans toutes les grandes villes. Ils deviennent ainsi des modes de transport en concurrence avec les véhicules DSNG.

Depuis sa plate-forme technique de Paris Archives, Globecast dessert en fibre optique sur la région parisienne plus de 150 clients, chaînes TV, prestataires techniques, stades, palais officiels, salles de spectacles. Pour certains événements temporaires d’importance, la fibre optique peut prendre le pas sur les liaisons satellites. Ainsi pour la COP21, Globecast rapatriait depuis Le Bourget tous les signaux (direct des conférences, les stand-up des envoyés spéciaux et les playout des reportages) vers le Serte à Paris pour les redistribuer vers le monde entier, en fibre ou par satellite.

Dans le cadre de la diversification de ses activités, TDF a déployé des data centers à Lille, Rennes, Bordeaux et Marseille, qu’elle a intégrés dans son réseau ultra-haut débit, renommé depuis peu Teraway.

Suite au rachat d’Ad Valem, l’entreprise a regroupé le réseau FO du prestataire, qui dessert une cinquantaine de stades de Ligue 1, Ligue 2 et du Top 14 en rugby. TDF exploite également un téléport à Nantes donnant accès à l’ensemble des satellites couvrant l’Europe et une partie de l’Afrique.

Guillaume Rincé, directeur technique adjoint de TDF, croit fermement en l’avenir de la fibre optique pour les liaisons de contribution : « La fibre optique est totalement agnostique en termes de signaux et transporte aussi bien des datas, de la voix ou des images. Le réseau Teraway déployé par TDF offre des débits de 10, 40 et jusqu’à 100 Gb/s avec une flexibilité s’adaptant aux besoins du client avec un service multifaisceaux pour transmettre le signal privatif, habillé ou pas, le signal international, le retour, les réseaux d’ordres et l’accès à l’informatique de la chaîne ».

Il note que les chaînes souhaitent de plus en plus recevoir un signal vidéo non compressé pour un mixage élaboré en plateau ou le retravailler dans une exploitation ultérieure. Seule la fibre optique autorise ce transport non compressé.

Ce n’est pas pour autant que les liaisons satellites sont abandonnées. La fiabilité de la liaison sera assurée par une double adduction et un cheminement séparé, mais cela n’est pas possible sur tous les sites. Donc pour les événements importants, un car satellite viendra sécuriser l’acheminement des images.

L’emploi de deux technologies renforce la fiabilité et c’est pourquoi TDF a racheté Ad Valem l’automne dernier, ce prestataire ayant développé le concept de liaison hybride dans ses véhicules DSNG en associant satellite et fibres optiques.

Bernard Birebent explique, de son côté, que souvent on exploite cette double liaison avec le signal privatif transmis en fibre optique vers la chaîne nationale, détentrice des droits et que le satellite en bande KU servira pour la distribution sur l’Europe du signal international, plus facile à assurer pour les autres détenteurs de droit grâce à sa couverture globale.

 

Des plates-formes d’échange entre les réseaux

Cette combinaison de plusieurs modes de transmission a conduit tous les opérateurs de contribution à mettre en place une plate-forme d’échanges pour récupérer les signaux sur un réseau, les renvoyer vers un autre et les distribuer vers de multiples destinataires.

Avec son centre nodal de Paris Archives, Globecast exploite un véritable nœud d’échanges en étant capable d’établir des connexions en SDI, en mode compressé ou en IP. Il dispose également de serveurs de réception pour les systèmes 4G afin de renvoyer le signal vers une chaîne ou un prestataire qui ne serait pas équipé ou faisant face à une panne. Dans le cas d’applications basées sur le streaming, il peut renvoyer un signal vers un CDN avec ou sans transcodage ou un service de mise en ligne.

Michele Gosetti précise que « Globecast est totalement agnostique par rapport aux technologies et aux réseaux de transport. Il y a 10 ou 15 ans, c’était la technologie qui guidait les choix pour une solution. Les clients viennent nous consulter avec des demandes très diverses. Ce sont les usages et le contexte qui servent à définir la solution la mieux adaptée en combinant tous les outils à notre disposition ».

TDF, de son côté, insiste sur la maîtrise complète de son réseau de bout en bout en privilégiant son réseau de fibres optiques en propre et les cinq véhicules DSNG en bande KU de sa filiale Ad Valem. Pour cela, il exploite un centre de supervision à Romainville et les équipes d’Ad Valem peuvent s’appuyer sur l’expertise technique du groupe.

AMP a également mis en place un media center au studio 107 avec des moyens de transmission, d’enregistrement, de streaming, de VOD et de postproduction. Il est relié par fibre optique aux différents plateaux exploités par AMP, au Serte de Globecast, à TDF et à l’Eurovision.

Sipartech a déployé plus de 1 500 km de fibre optique sur la région parisienne. Il soutient le lancement d’un nouveau service d’échanges vidéo dénommé Wibx (World Information Broadcast eXchange). Reprenant le principe des plates-formes d’échanges GIX (Global Internet eXchange) entre les opérateurs de services Internet, il a pour ambition de créer un nœud d’échanges de média live en reliant les chaînes TV, les prestataires associés et les grandes agences mondiales.

Le client équipé d’un terminal unique pourra échanger des signaux et des contenus (SDI et IP) avec l’ensemble des autres abonnés de manière très souple grâce à un service web annonçant les contenus accessibles en Live et de les réserver. Les liaisons sont établies de manière automatique grâce à une grille de commutation fonctionnant en SDI et en IP et à un stockage redondé d’une capacité de 1 petaoctet.

 

La remote production en ligne de mire

Les capacités de débit offertes par la fibre optique autorisent la transmission de plusieurs images en simultané avec une voie de retour pour les commandes de la tourelle motorisée et les réglages de cadrage de la caméra. La « remote production » est à l’ordre du jour chez tous les opérateurs de contribution.

AMP a déjà mené des expérimentations lors de démonstrations entre Lille et Paris. Lors du Tour de France 2015 pour l’étape de l’Alpe d’Huez, les cars de production ont été installés sur l’aéroport de Grenoble pour réduire les délais de transfert routier vers Paris.

Globecast, avec l’assistance d’Orange, a mis en place un déport des caméras en fibre optique sur 150km. TDF de son côté mise aussi sur le développement de ces nouvelles techniques de production déportée. Nul doute que la « remote production » va constituer le prochain chapitre de la longue histoire des liaisons de contribution.

 

* Cet article est paru pour la première fois, dans Mediakwest #17. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.