À quelques jours de la fin du tournage de La Mante-religieuse, premier long métrage de Natalie Saracco, François De Morant, ingénieur du son toujours impliqué dans la mise en œuvre de nouvelles technologies, répond à nos questions sur l'utilisation des micros numériques en tournage de fiction.
Après quelques essais préalables et une première utilisation sur la série Soda diffusée sur W9, François De Morant, en collaboration avec Tapages et Sennheiser, a choisi d’utiliser une configuration comprenant les micros MKH de la série 8000 associés à l’enregistreur Sound Devices 788T et sa télécommande CL9. Dotés du module numérique AES 42 MZD 8000, les Sennheiser MKH 8040, 50 et 60 ont été utilisés sur perche, mais aussi pour l’enregistrement de sons seuls, d’ambiances et de musique. Premier bilan.
Quelles ont été les motivations pour passer au micro numérique?
Depuis environ cinq ans, j’utilise la même configuration de travail avec laquelle je suis très à l’aise, mais je suis curieux de nature et je pense qu’il faut s’obliger à s’intéresser aux nouvelles techniques, et examiner ce qu’elles peuvent apporter. Ça fait partie du charme du métier…
Pourquoi s’intéresser à cette technologie ?
Au-delà de la curiosité, je suis intimement convaincu qu’à terme, l’analogique va disparaître au profit du numérique. En plus, sur le système Sennheiser, ce sont exactement les mêmes capsules qu’en analogique, donc on conserve à priori le même son, on passe juste d’un corps analogique (NDLR : MZX 8000) à un module numérique (NDLR : MZD 8000). Sur le papier, le micro numérique possède des qualités indéniables. D’abord, il est absolument résistant à tout parasite ou induction magnétique. Or, entre la Wifi, les téléphones portables, les projecteurs de dernières générations, les sources de stress sur un tournage ne cessent de se multiplier. D’autre part, le matériel que l’on utilise en cinéma est onéreux, et l’une des raisons de ce coût élevé réside dans la qualité des préamplis. Avec les micros numériques, il n’y a plus besoin de préampli, donc on peut se tourner vers des systèmes moins chers sans pour autant faire de compromis sur la qualité. Très concrètement, entre le Sound Devices 788T que j’ai utilisé et le Cantar, la différence de prix est de l’ordre de 5000 euros.
Qu’est-ce qui change dans la configuration utilisée ?
Durant la phase d’essais préalables, j’ai découvert que le Cantar auquel j’étais habitué n’était pas totalement adapté pour gérer des micros AES 42, donc du coup, j’ai changé d’enregistreur, de mélangeur et de micro. La seule chose que j’ai gardée de ma configuration initiale, ce sont les systèmes HF Lectrosonics et les micros cravates. Par rapport à ma configuration habituelle, j’ai constaté quelques lacunes. Par exemple, il est pour l’instant impossible d’assigner deux micros numériques sur une même paire AES, ce qui m’oblige à supprimer la voie inutilisée dans le dispatch du 788. Il manque également une console de mélange véritablement adaptée aux micros numériques. Sur la télécommande CL9, la précision de l’encodeur qui commande le Trim d’entrée est sensible à la vitesse de rotation, ce qui est une aberration, car dans l’urgence, on a tendance à tourner l’encodeur rapidement. Du coup, il m’est arrivé plusieurs fois, en voulant éviter une saturation sur l’étage d’entrée, de baisser accidentellement le niveau de 35 dB, ce qui est beaucoup trop ! Pour moi, c’est un problème majeur.
Est-ce que la latence liée au numérique s’est montrée gênante ?
Non, elle est de 22 échantillons selon le constructeur, ce qui me semble peu, mais cette légère latence m’arrangerait plutôt car les HF Lectrosonics ont un retard plus important. En pratique, l’expérience montre que le délai acoustique est bien plus gênant que le retard lié au numérique. Au pire le rephasage se fait facilement en postproduction sur une station Pro Tools.
Quid de l’énergie et de l’autonomie ?
Ce n’est pas un souci majeur ici car je travaille avec une configuration lourde sur roulante et avec des batteries puissantes. En effet, j’enregistre les pistes séparées sur le disque interne, un mixdown ou une copie sur carte CF, et une autre copie sur disque externe. Avec en plus un ou deux micros numériques, plus les HF ça fait beaucoup. En utilisant uniquement la batterie interne du 788, j’ai constaté qu’il n’y avait pas assez de puissance pour alimenter le DD externe…
Qu’est-ce que la résistance aux interférences électromagnétiques change sur un plateau ?
Comme je dois parfois rester éloigné du plateau ou, en intérieur, m’installer à un autre étage, il nous arrive couramment de tirer cinquante mètres de longueur de câble. Nous avons donc opté pour du câble AES dont l’impédance est spécifique plutôt que du câble pour micro analogique. En pratique, je n’ai jamais récupéré de bruits liés à l’induction magnétique même avec des variateurs ou des ballasts électroniques à proximité. En revanche, il m’est arrivé de capter le bruit acoustique du variateur, et de manière encore plus nette qu’en analogique ! En tout cas, sur ce point, le numérique nous libère de tous ces problèmes et permet de nous consacrer d’avantage au son et au mixage.
Quels micros numériques ont été utilisés ?
Le choix des micros est vraiment une question de goûts et de couleurs. En tournage, je préfère les micros Sennheiser au Neumann qui ont souvent tendance à restituer trop bien l’empreinte acoustique des lieux rarement intéressante. Je me suis donc lancé avec la série 8000 équipé du module numérique. Autant j’ai tout de suite été séduit par le 8050 (hypercardioïde) qui possède une jolie couleur, autant au départ, je trouvais le 8060 (canon court) un peu agressif voire aigre. Mais finalement, ce micro se montre en pratique extrêmement efficace sur les plans larges où il ramène une présence réelle. Même lorsque la perche se trouve à trois mètres des comédiens, on comprend bien le texte et j’ai l’impression qu’en analogique, on n’aurait pas eu le même résultat, mais pour être honnête, il aurait fallut comparer…
Quels changements par rapports aux microphones analogiques ?
Je découvre une précision dans le détail absolument diabolique ! Par exemple, sur une scène où je trouvais les bruits de pas un peu trop envahissants, je pose, comme c’est souvent l’usage, de la moquette au sol. Et là, oh surprise ! J’entends tellement bien le son de la moquette sous les chaussures que j’ai dû me résoudre à l’enlever car le bruit des pas ne correspondait plus du tout à l’acoustique du lieu. Pour résumer, je dirais que la précision dans le détail que l’on gagne n’est pas inintéressante, mais elle demande de changer les habitudes, de travailler autrement. Sinon, l’absence de souffle à part celui de la capsule est bien réelle et on peut pousser les niveaux dans des extrêmes impensables en analogique. Revers de la médaille, la saturation numérique ne pardonne pas.
Qu’elles sont les spécificités de ce tournage ?
Sur La Mante-religieuse c’est peu le grand écart technologique entre l’image et le son puisque l’image est filmée en 35 mm 3 perfos scope, alors que le son est très high-tech. Sinon, nous avons tourné dans de nombreux décors et la part des dialogues est importante. J’ai eu l’occasion d’effectuer quelques prises de musiques rediffusées ensuite en playback pendant le tournage. Pour ces enregistrements, j’ai utilisé jusqu’à huit micros. Principalement des 6040 et 50 que j’ai mélangés sans problème avec des micros analogiques.
Quel bilan tirer de cette expérience ?
Pour l’instant, le montage image a déjà commencé et personne n’est venu me dire : « ce n’est pas comme d’habitude ». Et effectivement, je ne pense pas qu’il y ait de différence significative sur le résultat pour quelqu’un qui n’exerce pas dans le son. Le montage son démarre dans un mois et j’attends avec intérêt leurs réactions… Sinon, j’aimerais pouvoir disposer d’un compresseur numérique qui m’aiderait à contenir la dynamique sur les dialogues. Zaxcom a ouvert la voie sur le Deva Fusion où le traitement de dynamique pour chaque voie est déjà disponible en tant qu’option logicielle. Neumann en propose également un que l’on peut piloter via AES 42 dans le logiciel de contrôle de ses interfaces DMI, mais il ne fonctionne pas pour l’instant avec les micros Sennheiser. Aujourd’hui, disposer d’un très bon limiteur et d’un très bon compresseur sur un tournage me semble incontournable car cela correspond à un réel besoin, le but étant de ramener du tournage un maximum de matière exploitable tout en minimisant le travail de postproduction. Hors, le numérique permet de disposer d’une multitude de traitements, de manière simple et peu onéreuse, chose inenvisageable en analogique…