Les exploitants peuvent souffler : leurs investissements, de grande ampleur, et la numérisation ont été perçus comme satisfaisants. Il est désormais possible d’avoir la même qualité d’image à l’écran quelle que soit la salle, ce qui représente un saut qualitatif par rapport à l’époque du 35 mm.
Néanmoins, les fabricants, déjà lancés dans la course aux nouveautés, pour développer toujours plus l’expérience du spectateur. D’autant que les autres formes de divertissement audiovisuel se multiplient (télévision 4K, diffusion sur internet en 4K…) et que tous les moyens pour maintenir et augmenter la fréquentation sont les bienvenus. Petit tour d’horizon.
Vers un son plus immersif
L’amélioration de la chaîne sonore sera l’un des prochains gros chantiers dans les salles : actuellement le 5.1 constitue le standard, mais on équipe plutôt en 7.1 les salles récentes. La grande nouveauté, c’est le son immersif, avec le système Atmos de Dolby, qui équipe déjà une dizaine de salles en France. Il est en cours d’installation dans d’autres.
« L’Atmos n’est pas un mixage figé, contrairement au 5.1 ou au 7.1 qui représentent respectivement six (5+1) ou huit pistes » explique Dominique Schmidt, directeur commercial chez Dolby. « Il s’agit d’un mixage objet, c’est-à-dire que chaque son est accompagné de métadonnées qui décrivent son placement dans l’espace. Lorsque le son est joué dans le cinéma, le processeur le reçoit et l’adapte en fonction de la salle, laquelle est équipée de 30 à 64 haut-parleurs. » Loin d’être réservé aux grandes salles, l’Atmos permet une immersion sonore y compris dans des espaces restreints. Le coût reste néanmoins un frein pour de nombreux cinémas, puisqu’il va de 70 000 à 130 000 € pour une grande salle (400 sièges), ce qui le place au même niveau de coût que la partie image.
Le son immersif a-t-il vocation à faire disparaître les autres systèmes ? Pour Jean-Baptiste Hennion, de 2AVI : « C’est un problème d’écriture : une salle de cinéma sert à exposer une œuvre. Nous avons des outils qui nous permettent de créer des œuvres différentes. Que l’on veuille faire une œuvre en 3D ou en son immersif est un choix qui doit rester libre. Ce sont des outils qui permettent d’augmenter la grammaire cinématographique, le langage. Un cinéaste peut s’emparer d’un type d’outils pour faire un certain film, et pas forcément le suivant. Par conséquent, il faut que les multiplexes soient équipés du son 3D et de l’image 4K HFR, dans une salle au moins, de façon à ce que lorsqu’un exploitant reçoit une œuvre écrite dans cette grammaire, il ait la possibilité de l’exposer correctement. »
Des nouveautés en projection
Côté projection, plusieurs technologies font parler d’elles : les HFR (High Frame Rates, ou haute fréquence d’image) et l’image 4K (taille d’image quatre fois supérieure à la HD). Les contenus sont encore rares, mais la bonne nouvelle pour les exploitants est qu’une simple mise à jour de leurs projecteurs est souvent possible (du moins pour les moins anciens). Le passage aux HFR reste effectivement pleinement supporté par les dernières générations d’équipements, puisque par exemple les projecteurs de série 2 ont tous été prévus pour projeter à haute fréquence en 2D (48/60 i/s) ou en 3D (96/120 i/s), les sources vidéo.
Du côté de l’architecture des projecteurs, le Media Block est maintenant intégré dans le projecteur, ce qui facilite l’augmentation des débits. Dans les installations de première génération, un serveur – à côté du projecteur – effectue la lecture des fichiers DCP, le décryptage et la décompression Jpeg-2000 des images. Deux câbles HD-SDI assurent le passage du flux numérique vers le projecteur. Une protection anti-copie dans ce flux est nécessaire, appelée Cine Link. Dans la deuxième génération (vers 2010), les débits numériques en sortie du serveur augmentent avec l’image 4K et les HFR. Les constructeurs ont donc déplacé la décompression et le décryptage dans le projecteur en y insérant l’Integrated Media Block (IMB), une carte électronique spécifique. La sécurité anti-piratage est aussi améliorée, puisque le flux en sortie du serveur reste crypté. Les deux câbles HD-SDI sont d’ailleurs remplacés par une liaison PCI Express.
Troisième génération (vers 2013), le stockage des fichiers est également intégré au projecteur. L’IMB accueille les disques durs et devient un IMS, Integrated Media Server (tel l’IMS1000 de Doremi). Pour plus de précision, consulter le très documenté site Manice.org.
La résolution minimale en cinéma numérique est de 2K (2048 pixels dans la largeur de l’image, contre 1920 en vidéo HD), mais la norme prévoyait dès le départ la possibilité de doubler la définition en projetant une image 4K (4096 pixels dans la largeur). Aussi les installations récentes se font de plus en plus en 4K. Néanmoins la tendance actuelle pour les cinémas n’est pas de viser à s’équiper intégralement en 4K. L’upgrade des projecteurs de série II pour permettre la 4K, qui nécessite de remplacer la matrice tri-DLP (soit un coût d’environ 1/3 du prix du projecteur neuf) n’est guère pratiqué pour le moment. Les exploitants essayent plutôt d’amortir leurs investissements. La 4K équipe entre 10 et 20 % des salles (la « règle » pour les multiplexes étant de deux salles sur dix). Néanmoins on note que le dernier multiplexe ayant ouvert, l’UGC Paris 19, s’est entièrement doté de projecteurs 4K et que certaines petites salles, récemment passées au DCI, l’ont été directement en 4K.
Sur un projecteur, le premier coût en matière de consommable est représenté par les lampes. C’est pourquoi certains constructeurs étudient actuellement le remplacement des lampes traditionnelles Xenon par des sources laser. Les lampes Xenon coûtent cher et ont une durée de vie limitée. D’autant que la petite taille des matrices des projecteurs DCI a nécessité des nouvelles lampes à arc court, plus lumineuses mais à durée de vie plus courte que les lampes des projecteurs 35 mm.
Les projecteurs à source laser commencent à arriver, comme chez Nec ou Christie. «Christie est filiale à 100 % d’Ushio, lequel a acquis récemment Nexel, un fabricant de diodes laser miniaturisées », explique Pascal Gervais. « Cela s’est fait jusqu’à présent sur des écrans atypiques de grandes dimensions, qui ne peuvent être adressés avec des sources normales. Les deux gros avantages du laser seraient la pérennité dans le temps, et la capacité à envoyer sur de grands écrans des niveaux de lumière élevés, ce qui est idéal pour les films en S3D notamment. Une source d’illumination laser a une durée de vie qui oscille, en fonction de son exploitation, entre quatre et sept ans sans remplacement de lampe, avec une meilleure stabilité lumière. »
Les sources laser laissent envisager une tech- nologie S3D innovante : elle permettront d’avoir deux groupes de trois couleurs primaires légèrement décalées en longueur d’onde. Cela permettrait d’utiliser des lunettes passives sur des écrans blancs mat. La technologie laser permettra donc à terme aux exploitants de s’affranchir des écrans métallisés, et de travailler en 3D avec des lunettes décalées en longueur d’onde sur l’œil gauche et l’œil droit, avec les deux images en même temps.
Le déploiement des projecteurs à source laser a commencé, mais il s’agit encore de salles exceptionnelles, le coût du laser étant actuellement estimé à 10 $ le lumen, ce qui le laisse hors de portée de la plupart des cinémas.
Maintenir le niveau de qualité
À côté de ces nouveautés, les acteurs qui ont investi dans le cinéma numérique souhaitent avant tout de la stabilité. Les matériels ont moins de dix ans, et personne ne peut estimer quelle sera leur durée de vie. C’est pourquoi la maintenance est un enjeu pour assurer la qualité et la pérennité d’un système de projection numérique. C’est à ces fins que HTS (Highlands Technologies Solutions) a créé le Qalif, un outil de contrôle et de calibrage de tous les paramètres d’une projection numérique. Très mobile, l’outil s’adresse aux installateurs, qui ont besoin de calibrer rapidement une salle, mais aussi aux exploitants qui souhaiteraient s’en équiper de façon permanente. Colorimétrie, focus, contraste et uniformité d’éclairement sont en effet des paramètres à contrôler régulièrement (une fois par an au minimum, d’après les recommandations de la CST et de la FNCF). Encore plus régulièrement (une fois par semaine) doit être fait le dépoussiérage de la cabine, car la poussière entraîne un échauffement du matériel. Le nettoyage du miroir et de l’optique ne posent pas de problème.
Mais la poussière ne s’arrête pas à ces éléments les plus évidents. Malgré la forte circulation d’air (600 à 1 000 m3 d’air pour une projection numérique), elle va bien plus en profondeur, près des éléments très sensibles que sont le prisme et le conduit optique, qui guide la lumière. Les cabines dont le sol est recouvert de moquette posent particulièrement problème. Etant donné la rapidité à laquelle s’est fait le passage au numérique, les installateurs n’ont pu assurer la formation de tous les projectionnistes en même temps, bien qu’ils se soient attachés à les accompagner.
Des problèmes résiduels
Si la plupart des problèmes techniques posés par le cinéma numérique ont été résolus, il y a encore quelques accrocs, comme parfois avec le sous-titrage. En cinéma numérique, les DCP contiennent des fichiers de sous-titres séparés des fichiers images, qui sont envoyés au projecteur, lequel se charge de leur affichage. L’interprétation peut être sujette à problèmes avec certains projecteurs de série I.
Pour y parer, certains fabricants de serveurs ont choisi de créer un émulateur de sous-titres. L’inconvénient de cette technique est que l’on perd l’interopérabilité, qui est un des points forts du cinéma numérique. Bien que la norme DCI soit écrite depuis 2005, il y a encore des variations dans la manière de l’interpréter. Ces variations sont dues à des subtilités d’ordre informatique : un morceau de code rédigé avec ou sans espace peut fonctionner sur un type de matériel, mais pas sur un autre. Il n’y a pas que la façon de fabriquer les fichiers DCP, il y a aussi la façon dont le décodeur les interprètes.
Le cinéma bientôt ouvert à tous?
La loi imposant de se mettre aux normes d’accessibilité d’ici 2015 (les personnes à mobilité réduite, PMR), les travaux commencent à s’intensifier. Lorsque l’on rénove une salle ou lors de la création de nouvelles salles, l’accessibilité est maintenant systématique. Permettre à tous d’accéder au cinéma nécessite souvent des travaux y compris au niveau des halls, des parkings et des entrées. Du côté de l’accès aux contenus pour les personnes handicapées, plusieurs systèmes coexistent. Le sous-titrage closed-caption pour les malentendants fonctionne soit grâce à des lunettes holographiques (Access Glasses de Sony) soit à l’aide de petits écrans individuels flexibles (Captiview de Doremi). Pour les malvoyants, l’audiodescription se fait au moyen du propre casque du spectateur, branché sur un boîtier récepteur. Le closed-caption et l’audiodescription sont émis depuis la cabine, soit par infrarouges, soit par HF.
Plus d’évolutions auront eu cours en dix ans de cinéma numérique qu’en trente ans d’argentique. Les fabricants sont pris dans une course à l’innovation, poussés à la fois par des intérêts économiques, et par des auteurs qui souhaitent accéder à de nouvelles façons de raconter leurs histoires (James Cameron pour la S3D, Peter Jackson pour les HFR). Mais derrière cela, les exploitants ont fait de lourds investissements, et ont besoin de rentabiliser leur matériel, lequel est encore en bon état. Il est donc probable que l’on va voir se creuser l’écart entre des salles « standard », aux normes DCI, et les salles dites « de prestige », avec son immersif, HFR, voire projection laser S3D. Mais l’essentiel est que le cinéma reste un endroit d’émotion partagée, et pour cela il doit continuer de s’ouvrir à tous les publics, et de mettre les œuvres à l’honneur.