Nous avons donc décidé de donner la parole à ces hommes et femmes de l’ombre, pour qu’ils puissent clairement exprimer, à l’intention des cadreurs, le type d’images dont ils ont besoin pour raconter leur histoire.
Parmi eux :
Loïc Gagnant, chef monteur, étalonneur et formateur
Edouard Hollande, chef monteur et formateur
Aurélie Jourdan, chef monteuse spécialisée dans le documentaire
Jimmy Pichard, monteur-truquiste et fondateur de 5Formation
Julien Tomasi, réalisateur, motion designer et formateur
Tout d’abord, les réglages de la caméra. Pour Jimmy, la première chose essentielle est de tourner dans un « Flat Picture Profile » : « C’est indispensable pour les étalonneurs professionnels mais aussi pour les monteurs qui utilisent des Plug Ins, car on contrôle parfaitement un rush flat alors qu’un rush contrasté impose son look avant même d’être importé dans un logiciel. Le flat est donc de rigueur pour permettre d‘étalonner vos plans en suivant les tendances colorimétriques qui changent très vite. » Julien nuance cependant en précisant que « le flat est idéal quand on a un bon format d’enregistrement comme le RAW, mais qu’il faut s’en méfier pour les formats compressés car la resaturation peut générer du grain dans l’image ».
Pour le reste, il est évident qu’une image correctement exposée, avec une balance des blancs juste, permet d’économiser un temps considérable en étalonnage. Julien précise que « les erreurs d’exposition sont plus faciles à récupérer quand il s’agit de sous-exposition que de surexposition, les détails des hautes lumières étant irrécupérables ».
De manière générale, Aurélie et Julien demandent aux cadreurs de ne lancer l’enregistrement qu’une fois les réglages effectués pour faciliter le dérushage, sauf dans le cas où le son doive être continu, pour n’avoir ainsi « que des rushes utiles ».
Ensuite, le cadrage bien sûr ! Loïc rappelle que même si cela semble scolaire « il est primordial de respecter les quelques règles simples des lignes d’action, de l’air au-dessus de la tête, des tiers, de la direction des regards, des 30 degrés… »
Edouard insiste sur les valeurs de plans, et notamment le besoin systématique d’un plan d’ensemble qui pose le sujet « On peut aller crescendo du plus large au plus précis. Généralement on demande trois valeurs de plan, même si en pratique au montage on garde le plus large et le serré ! »
Jimmy recommande pour les plans de situation d’oser faire « des timelapses créatifs avec un mini glide ou un timer qui fait un 360, cela présente vraiment l’endroit ». Loïc renchérit lui aussi sur l’importance du plan général, qui doit être long, et sur les différents cadres possibles : « Vu que vous avez fait un effort pour trouver un bon spot, avant de vous déplacer voyez si vous ne pouvez pas aisément tourner une autre valeur de plan ou un autre angle du même endroit. » Julien précise que « pour les projets destinés à une diffusion sur le web exclusivement, les plans serrés sont à privilégier car les larges ne sont pas lisibles. »
En effet, multiplier les angles est une demande constante des monteurs, notamment pour ce qui concerne les plans de coupe ou les séquences « lifestyle » qui permettent de situer un sujet. Jimmy précise : « Décrivez les personnes, faites des plans sur les mains, les visages, les expressions, le détail que vous regardez sur cette personne. L’environnement extérieur est également important pour donner une vie «Behind the Scene», des passants regardant un tournage, un chien qui court… Bref, de la vie autour de la scène. »
Bougez mais pas trop
Les mouvements de caméra sont au cœur des remarques des monteurs, et parmi eux les fameux panoramiques. Pour Edouard « on ne fait pas de panoramiques…. avant d’avoir fait des plans fixes ! ». Aurélie précise : « Enregistrez quatre secondes en fixe avant et après un mouvement type panoramique. Parfois il manque un plan de paysage et c’est celui-là qu’on aimerait garder ! ». Pour Loïc « c’est une manière très économe de proposer plusieurs options à votre monteur chéri, le trois pour un : plan fixe avant le mouvement, mouvement et plan fixe après le mouvement. Dans la suite, ne bougez pas votre trépied ou votre slider : réalisez en même temps le mouvement inverse, pour un tout petit peu plus d’effort, vous nous offrez des options supplémentaires. » Edouard insiste aussi sur le sens esthétique de ce mouvement : « on va toujours du moins au plus intéressant (ou esthétique). Et il doit y avoir une composition de l’image au début et à la fin. Rien de pire qu’un panoramique qui n’arrive sur rien. » Cela est valable aussi pour les travellings et les rattrapages de point qui doivent apporter des informations et du sens en amenant la lecture de l’image d’un élément à un autre.
Aurelie renchérit avec le zoom « toujours assez délicat et pas très facile à utiliser en montage. Soit le zoom est justifié en termes de sens alors il faut trouver la vitesse idéale, sinon les zooms rapides sont à éviter quand on suit une action ou un personnage… » De manière générale, Julien recommande de « ne pas utiliser le zoom quand on n’est pas sur pied, une longue focale faisant davantage apparaître les bougés. »
Les situations d’interview sont un grand classique des productions, mais peuvent s’avérer très compliquées à monter. Pour Edouard « il faut bien écouter ce que la personne dit pour aller chercher ensuite ce qui peut permettre d’illustrer, car il y aura forcément des coupes qu’il faudra masquer au montage. » Aurélie précise « qu’il faut être rapide pour changer de valeur de plan sans couper au son », ce que Julien recommande de faire pendant les questions. Loïc demande qu’en cas de coupure de la caméra on « revienne sur un paragraphe entier et pas uniquement sur la dernière phrase, pour éviter les problèmes de raccord dus aux différences d’attitudes de votre interlocuteur avant ou après la coupe ». Julien ajoute « qu’il faut bien penser à placer ses caméras avec un angle minimum de 30 degrés pour qu’elles se raccordent bien ». Il mentionne une astuce qui aide les monteurs à identifier rapidement les questions : « mettre sa main devant l’objectif pendant quelques secondes pour faire du noir, histoire de visualiser facilement les changements de sujets dans l’interview. »
Ne pas oublier l’audio !
Pour les interviews comme de manière générale, il est primordial de soigner le son. Julien insiste sur la nécessité de tourner les interviews dans une ambiance sonore correcte, avec un casque sur les oreilles, et de soigner ses niveaux car « on récupère plus facilement une image à soucis qu’un son mal enregistré, trop faible ou saturé ». Bien sûr on se retient de parler pendant la captation, mais aussi on laisse durer les plans pour avoir le temps de saisir une ambiance sonore. Pour Jimmy, « le parent pauvre des vidéastes c’est l’audio, tout ingé-son vous le dira. Écoutez ce qui vous entoure et enregistrez-le… Le vent, les gens qui parlent, une ambiance musicale de fond sur le lieu du tournage, etc. Le monteur doit rythmer et donner de la vie, avec du son c’est magique ! »
Pour les plans séquences, Aurélie recommande de « savoir écouter et suivre l’action qu’on filme. Il s’agit d’être attentif et sensible à ce qui se joue dans une scène… Si possible, ne pas couper le REC alors qu’une phrase n’est pas terminée ou qu’une action est en cours. Il faudrait arriver à déterminer un début et une fin de séquence puis entre les deux, pouvoir raconter une histoire. Alors sur le terrain, ne pas hésiter à demander de refaire un geste, un déplacement, une fin de phrase. »
Loïc rajoute « même avec les logiciels comme plural eyes, il est toujours très intéressant et parfois plus rapide de disposer d’un clap pour caler les sons et images tournés avec HDSLR et enregistreurs audio externes. » Et Julien ajoute que « quand on a oublié le clap de début, il faut faire un clap de fin, en le mettant à l’envers ».
Les outils de prise de vue se diversifient. Parmi eux, les action-cam bien pratiques pour multiplier les points de vue, dont Jimmy encourage l’utilisation : « Réunissez les GoPro de tout le monde et synchronisez le déclenchement avec la télécommande. Le monteur peut ainsi utiliser les fonctions multi-caméras de son logiciel pour varier ses plans facilement. »
Dans la même idée, Jimmy incite les pilotes de drone à davantage d’audace : « Changez les façons de filmer en drone, deux plans larges suffisent pour situer la scène, alors multipliez les plans au ras du sol, suivez une personne aussi près que possible, faites une ascension verticale… Je pense que les plans drone doivent bouger au même titre qu’un plan steady, sinon on s’ennuie. Soyez créatif avec les mini drones, le monteur aura de quoi rythmer son film. »
De manière générale, les monteurs demandent aux cadreurs de conserver une certaine unité. Loïc dit être « ravi de travailler avec des cadreurs au style affirmé ; par contre, si vous adoptez un style, conservez-le tout au long du tournage. Ne commencez pas dans un style très léché, avec des mouvements très fluides et certaines valeurs de plans, pour au milieu, tourner à la main en choisissant des valeurs de plans différentes : votre monteur pourrait vous en vouloir! » Dans le choix du sujet aussi Aurélie recommande de la constance : « Ne pas changer de personnage en cours de route, à moins que ce soit un choix de réalisation… Et pensez aux entrées/sorties de champ quand on le suit ». Edouard ajoute : « Pensez aussi à un plan de fin de séquence. »
Gérer ses médias
Enfin, pour revenir à des notions plus techniques, Loïc insiste sur le media management, qui est la clé d’un tournage serein : « Si vous êtes votre propre DIT (digital imaging technician) ou media manager, démarrez toujours le tournage sur une carte fraichement formatée : il n’y a rien de pire que de décharger une carte et de se rendre compte que l’on a déjà fait l’acquisition d’une partie des plans. Les problèmes de gestion de projets qui en découlent peuvent être très complexes.
Une autre évidence à rappeler et à répéter est de copier l’intégralité de la carte (avec tous les dossiers, sous-dossiers…), même si vous pensez que ces éléments ne servent à rien. Ces fichiers de metadatas sont parfois indispensables et de surcroit ils ne pèsent rien.
Selon l’importance de votre tournage, prévoyez des copies de sécurité assez tôt dans le processus, l’idéal étant d’utiliser un soft de vérification des copies, comme Adobe Prelude. »
Enfin, de manière générale, Jimmy encourage les cadreurs à faire « ce que vous faites tous les jours lorsque vous ne filmez pas : vous regardez, vous écoutez, vous vous attardez sur des détails insignifiants… L’idée est de décrire au mieux une scène. Amusez-vous ! »
Edouard les incite à étudier les images fixes pour progresser, en se demandant devant un tableau « comment l’image est composée et d’où vient la lumière » et à faire « beaucoup de photos avec l’idée de Cartier-Bresson selon laquelle il n’y a qu’un seul point pour prendre cette photo, qu’il faut donc trouver. »
Aurélie les invite à « venir voir en montage comment ça se passe ! », de même que Loïc : « Nous avons la coutume de conseiller aux monteurs, afin de progresser et maîtriser plus grandement leur métier, de participer à des tournages, ne serait-ce qu’en spectateur.
Mais bien évidemment, ce conseil est autant – voire plus – important pour les cadreurs qui comprendront beaucoup plus sûrement les attentes des monteurs en participant plus ou moins activement à un montage. »
Alors chers cadreurs, n’hésitez plus à venir à la rencontre des monteurs, ils vous attendent impatiemment !