« Les saisons ». Et après ? Workflow et postproduction

Après avoir longuement décrit le travail de préparation piloté par Jacques Perrin et Jacques Cluzaud et les quatre types de tournage utilisés pour ce film événement,  focalisons notre attention sur le contrôle de l’image, la gestion des rushes, les effets visuels, l’étalonnage et la postproduction sonore.(1)
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Contrôle de l’image et gestion des rushes

Comme il se doit, la gestion des rushes fut anticipée dès la préparation et pendant le tournage. Elle fut supervisée par Sophie Vermersch, directrice de postproduction.

En ce qui concerne l’image, François Paturel et l’équipe de HD Systems mirent en place un workflow rigoureux. La majorité du film fut tournée en Raw 16 bits LIN. Le labo HD Systems fut préféré à un laboratoire plus traditionnel pour l’étalonnage et la gestion des rushes à cause de sa petite taille qui lui permettait une plus grande souplesse et une plus grande réactivité. En préparation, le labo et François mirent au point les valises de DIT et de data loader spécifiques à ce film. Pour ce dernier, elle se composait d’un ordinateur et d’une tour en Raid 5 (qui offre un plus grand débit et la possibilité de reconstruction des informations avec les trois disques restants si l’un des quatre vient à faillir) composée de quatre disques durs qui servaient de navette. Par ailleurs, une autre tour de huit disques en Raid 6 restait en permanence sur le tournage.

François Paturel disposait de deux ordinateurs équipés de différents logiciels permettant de traiter l’image, créer une LUT (Look Up Table), appliquer la LUT sur les moniteurs de plateau… mais aussi d’une station d’enregistrement. Ainsi, il pouvait vérifier certaines images sur le plateau pendant les changements de plans et refaire les LUT au besoin. Ces dernières permettaient d’anticiper le résultat de l’étalonnage. Elles se sont avérées surtout une aide considérable pour déterminer la bonne exposition. D’ailleurs, les caméras des équipes animalières avaient embarqué quelques LUT, mises au point par Olivier Garcia, qui correspondaient aux situations de lumière susceptibles d’être rencontrées dans la nature. Leur but était de conserver une réserve d’informations et d’exposition dans l’image en vue de l’étalonnage.

Lors des tournages contrôlés, les animaux n’étaient pas si contrôlés que ça… Conséquence : ces acteurs indisciplinés ne restaient pas forcément dans leurs lumières… Cela engendrait des changements d’ouverture de diaphragme constants, difficiles à maîtriser pour l’opérateur. François Paturel pouvait suivre, avec une télécommande HF, ces changements d’exposition en accord avec Éric Guichard, bien entendu.

De même, toujours en concertation, les LUT adéquates pour chaque séquence étaient émulées sur le plateau à partir des images de la sortie HD/SDI de la caméra et renvoyées sur les moniteurs. Attention, elles n’influençaient absolument pas l’enregistrement du fichier Raw. Par ailleurs, un photogramme de chaque séquence était conservé et transmis au labo comme indication d’étalonnage des rushes. Le rôle du DIT sur ce film était aussi de contrôler l’exposition, les filtres, la vitesse des caméras (qui pouvait changer suivant les animaux), l’obturateur, bref tous les éléments qui seraient inscrits dans le Raw et sur lesquels il ne serait plus possible de revenir.

Les data loaders avaient été formés avant le tournage à la méthode de travail du film. Les cartes SR memory du tournage de la veille leur parvenaient dès 10 h ou 11 h du matin. Elles étaient déchargées sur la navette sus-citée. Par ailleurs, cet assistant scrutait toutes les images et vérifiait tous les problèmes éventuels (stroboscopie, vignettage, pixels morts…). Il leur fallait un œil exercé à l’analyse de l’image. Ils avaient été choisis et formés pour ça. Ensuite, ils remplissaient un rapport image.

HD Systems recevait la navette. Elle était copiée sur deux bandes LTO (conservées dans deux lieux différents) et en simultané, sur un SAN uniquement dédié au film (neuf ensembles de seize disques durs de 4 To).

Finalement, il y eut 450 To de rushes, soit 450 h d’images. Les data loaders appliquaient la méthode de débayerisation (le SRDM de Sony) spécifique à la Sony F65 et F55. Les rushes étaient vérifiés et étalonnés droit avec en référence les photogrammes du plateau. Ensuite, des DNX 185 HD 10 bits (soit la qualité maximum de l’Avid) en étaient tirés pour le montage. Les métadatas suivaient du tournage jusqu’à l’étalonnage final. Le rapport du labo était placé dans une dropbox sécurisée.

Tout au long du tournage, un assistant monteur faisait un bout à bout afin de pouvoir montrer des modules aux deux Jacques qui avaient ainsi un retour direct des équipes. Une fois le montage terminé, les EDL (Edit Decision List) étaient conformées en 4K 16 bits et envoyées à l’étalonnage chez Digimage.

 

Effets visuels… invisibles

Il y en a ! Ils sont invisibles. Leur but était d’améliorer l’image en respectant ce qui avait été filmé et de permettre de ne pas maltraiter les animaux. Ce sont surtout des effacements de filets, d’éléments de sécurité, d’objets dans le champ qui permettaient de guider les animaux. Christian Guillon de L’Est les a supervisés. Pour des raisons de coproduction, la moitié a été sous traitée chez Arri à Cologne et l’autre moitié chez Mikros à Levallois, sous la direction d’Arnaud Fouquet.

Il ne fallait surtout pas franchir la ligne rouge, respecter la vérité. Il n’y a pas d’animaux en 3D. En revanche, les reflets de la caméra ou des projecteurs visibles dans les yeux des animaux en 4K ont été effacés. Les mouvements de caméra ont été lissés, des fondus enchaînés très fins entre les plans ont été créés. Tout ceci en respectant l’esprit du film qui était de ne pas sentir la caméra selon le souhait de Jacques Perrin. 

 

Étalonnage chez Digimage

L’étalonnage fut effectué chez Digimage par Laurent Desbrueres sous la direction d’Éric Guichard. Laurent a aussi participé au choix des caméras. Il est ravi de l’élection de la Sony F65 qui lui a offert un terrain de jeu formidable, grâce à son très grand espace colorimétrique en Raw 3.1, 16 bits lin, les couleurs n’étaient jamais tordues. Le choix des optiques a parfaitement correspondu au rendu final souhaité. Le travail des LUT et de l’exposition en amont a permis une grande liberté à l’étalonnage. La F65 a permis d’étalonner de manière très fine. En fait, l’heure de la prise de vue comptait peu, il y avait toujours suffisamment de matière dans l’image pour pouvoir la travailler.

Éric et Laurent ont mené une grande réflexion sur les teintes de l’image en fonction des saisons, sur les meilleures options pour la narration avant d’attaquer la phase finale de l’étalonnage. Ces temps de réflexions très importants à toutes les étapes de la conception de l’œuvre l’ont fait grandir. Cela correspond à la philosophie de Jacques Perrin.

L’étalonnage a aussi consisté à assombrir les fonds afin que les oiseaux se détachent mieux. Dans la forêt, les biches et les faons ont des pelages qui absorbent le vert. Au printemps, la canopée est touffue et il n’est pas toujours possible d’éclairer pour ne pas effrayer ses habitants ; donc, il est nécessaire d’éliminer le vert des pelages et d’assombrir les fonds pour mettre les animaux en valeur.

Sur certains plans, la netteté a été renforcée et sur d’autres, elle a été adoucie. C’était indispensable au regard des conditions de tournage. Sur les ailes des oiseaux, il était possible de récupérer de la matière dans les brillances. Comme on disait en film « le négatif est bien plein ». Selon Éric Guichard, la F65 est la première caméra numérique qui permet de récupérer autant d’informations dans l’image qu’en 35 mm.

 

Postproduction sonore, un long travail

Jérôme Wiciak fut le monteur son et le « sound designer » du film, il était assisté de Roland Duboué. Le fil conducteur de son travail fut de se demander comment le spectateur allait vivre le film.

L’association du regard et de l’écoute – on entend plus qu’on ne voit – suppose un travail sur le hors champ. Le son évoque au spectateur ce qu’il ne voit pas à l’image. Il fallait recréer l’atmosphère sonore de la forêt primaire, en construisant un espace sonore rythmé par les bruits des animaux.

Au moment du montage, il y eut des aller-retour constants entre le montage image et le montage son de manière à ce qu’ils restent en symbiose. Aux sons des chevaux camarguais furent ajoutés les sons de chevaux de course, plus quelques bruitages. L’artifice ne devait pas se sentir. Pour la séquence des chevaux et des loups, quatre-vingt sons se mélangent pour former un tout homogène. Il fallait rendre la forêt cinématographique, créer un rapport émotionnel en faisant entendre le souffle des animaux alors qu’en réalité, ils sont silencieux. Le travail a consisté à imaginer les sons accordés à l’image et ensuite les rechercher dans la sonothèque du film. Pour rendre la proximité avec les animaux, ce fut un long travail.

Dès le début, les réalisateurs furent conquis par la technologie Dolby Atmos. Si l’on traduit la présentation de celle-ci sur le site de la marque : « … En revanche, la technologie Dolby Atmos, permet de libérer le son des canaux. Cela permet aux artistes de considérer des sons spécifiques comme des entités distinctes appelées objets audio. Ceux-ci peuvent être précisément positionnés et déplacés par le créateur de la bande son n’importe où dans l’espace 3D du cinéma – ils ne sont pas limités à des canaux particuliers – bien que l’artiste puisse continuer à utiliser les fonctionnalités du canal s’il le souhaite. Le processeur cinéma Dolby Atmos détermine alors, parmi la vaste gamme d’enceintes avant, arrière, sur le côté ou en hauteur, laquelle sera utilisée pour recréer la dimension réaliste.

En conséquence, la bande son Dolby Atmos permet de vivre l’histoire à l’écran comme jamais. Les sons du film circulent en surround pour une immersion complète dans l’action, en exaltant l’impact de l’histoire et en réalisant une démonstration cinématographique très émouvante. »

Dans la forêt, le champ de vision est bloqué par les arbres, le son Atmos a permis de faire vivre ce qui n’est pas à l’image avec un grand naturalisme, une impression « d’être » dans la forêt impossible à retrouver avec les autres procédés. Cela permet une immersion du spectateur en plaçant des sources sonores dans l’espace avec une localisation très précise ; ceci est très nouveau et très efficace. Cela a donné lieu à une longue période d’expérimentation pour trouver le meilleur fonctionnement dans un but de naturalisme.

Une salle de montage son Atmos a été développée par Red Mountain à Joinville, qui permettait aux metteurs en scène d’écouter le placement spatial des sources avant le mixage.  Le mixage a été confié à  Armelle Mahé et  Gérard Lamps. Il a consisté en un travail des équilibres entre les sons d’ambiance, les effets, les quelques bruitages, la musique, tout en faisant attention à garder une certaine transparence. En effet, le son ne devait pas être prééminent sur l’image. L’idée était de rechercher une incarnation du son dans les personnages du film, d’être au plus près des animaux et de vivre par eux… Ce sont eux qui racontent leur histoire. Le montage image a tenu compte du hors champ sonore.

Le mixage en 5.1 et en 7.1 s’effectue en tâche de fond. Le mixage en 5.1 et en 7.1 s’effectue en down conversion automatique et le résultat est excellent.

Tous les membres de l’équipe évoquent leur bonheur d’avoir pu exercer leur métier avec les moyens nécessaires au but recherché. Ils sont fiers d’avoir participé à cette belle aventure sous la direction éclairée de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud et cela se voit et s’entend dans la salle de cinéma. 

(1) Cet article est extrait de « Les saisons, une aventure humaine et technologique » paru en intégralité, pour la première fois, dans Mediakwest #15, pp58-62. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.

 


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