« Les saisons », le temps du tournage

Après un long travail de préparation piloté par Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, qui se sont nourris de toutes les propositions de leurs collaborateurs, est venu le temps des tournages, contrôlés ou sauvages, aériens ou sonores... (1) 
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Les tournages contrôlés

Lors de ces tournages, les acteurs sont les animaux. Ces derniers ont été imprégnés. Le but est toujours de ne surtout jamais maltraiter les animaux. Ils sont aussi habitués à la présence humaine et à celle des caméras. Cela permet de les filmer au plus près en évitant les longues focales qui enlèvent de la proximité d’avec le sujet. Les équipes techniques devaient respecter les consignes des imprégnateurs. Et les imprégnateurs se conformer aux exigences de la technique. Ce fut un dialogue permanent pour réussir à obtenir les plans dont rêvaient les Jacques. Les opérateurs et les machinistes ont dû faire preuve d’une inventivité et d’une imagination débordante pour trouver les moyens de tourner certains plans.

Le suivi de la course des loups et des chevaux Konik Polski à travers les arbres fut possible grâce à la conception d’un scooter électrique d’un genre particulier qui pouvait emmener un steadicamer avec son engin à grande vitesse. Ce dernier a été développé par Alexandre Bugel et Louma Systems.

Sur la base d’un scooter Quadro (scooter à quatre roues) dont seule la partie avant fut conservée, Alexandre Bugel a ajouté les roues arrière de deux scooters électriques (dont les moteurs électriques sont situés dans les roues arrière). Il a ainsi obtenu un engin très puissant, silencieux à double propulsion électrique. Il fut équipé de pneus qui lui permettaient de rouler sur le sol meuble de la forêt. C’est un véhicule tout terrain plus étroit et plus maniable qu’un quad ; en effet, il se comporte comme une moto, ce qui le rend plus facile à piloter entre les arbres.

Antoine Struyf, steadicamer, pouvait s’y tenir à l’avant ou à l’arrière pendant qu’Edgar Raclot conduisait. Cela donne des plans jamais vus auparavant, le spectateur peut ainsi suivre la course des loups et des chevaux au milieu de la forêt comme si cela était naturel. Le décor était long de six cents mètres et les animaux canalisés. Cette séquence n’a pas été éclairée, la caméra était suffisamment sensible pour que l’on puisse se passer de lumière. Après le passage des animaux, des feuilles mortes étaient remises sur le sol afin d’effacer toute trace.

D’autres animaux furent filmés depuis une voiture travelling équipée de la « grue Galatée » mise au point sur les précédents opus.

Une grande partie du film fut tournée dans la forêt des Dombes, en région lyonnaise. Cette forêt se rapproche des forêts primaires. Elle est très touffue, sombre et dense. Les décors où évoluaient les animaux étaient éclairés. Souvent les projecteurs étaient accrochés dans les arbres. Cette tâche incombait au chef machiniste, Sylvain Bardoux, grimpeur et alpiniste émérite. Le fait d’éclairer permettait une grande souplesse de tournage. En effet, les acteurs-animaux, même imprégnés, ne sont pas aussi dociles que des humains. S’affranchir quelque peu des aléas de la lumière naturelle en créant des « trouées lumineuses » donnait la liberté de saisir les moments les plus propices du comportement des « acteurs ».

Certains nécessitaient d’autres installations de décors et de machinerie. Le hérisson au temps des romains, par exemple : une fausse route pavée fut construite. La caméra montée sur un travelling fut équipée d’un inclining prisme afin d’être au ras du sol.

Les saisons, ainsi que le dit Sylvain Bardoux, est un film de machinerie. Un plan subjectif montre la chute d’un arbre avec un nid au sommet. Le challenge était de pouvoir refaire plusieurs fois la prise. Il était hors de question d’abattre un arbre à chaque fois. Sylvain et Edgard construisirent un mât avec des quadrilights (tubes qui servent à construire des ponts lumière dans le spectacle). La caméra, avec le nid et les branches installés devant en amorce, fut fixée au bout du mât. Le mât pouvait tomber huit ou dix fois de toute sa hauteur, soit seize mètres. Il était à chaque fois relevé par un système de treuil fixé avec des rappels sur les arbres adjacents. Au sol, une très forte sangle fut tendue entre deux arbres pour amortir quelque peu la chute qui était aussi freinée avec des systèmes d’assurance utilisés en alpinisme.

En général, Éric Guichard, Michel Benjamin et Laurent Fleutot et Christophe Pottier assuraient les tournages contrôlés.

 

Les tournages sauvages

Ils étaient assurés par des cinéastes animaliers, comme Laurent Charbonnier. Tous ont privilégié d’être au plus près des animaux avec des courtes focales et la plus grande profondeur de champ possible de manière à donner l’impression au spectateur d’une grande intimité avec l’image. Cela compliquait leur tâche. Laurent Charbonnier s’est servi d’une caméra Sony F65 accompagnée de différents zooms (24/290 Angénieux, 28/340 Angénieux).

L’opérateur et son assistante Alexandra Sabathé pouvaient rester à l’affût dans une cabane onze à douze heures de suite, attendant la cigogne noire par exemple. Ce temps permettait de préparer, d’observer avec les jumelles en faisant attention au vent. Il fallait se cacher des oiseaux, ne pas être repéré. Il y eut vingt-quatre tournages pour filmer, entre autres, l’outarde canepetière, le vautour dans les Pyrénées, le cincle plongeur, la naissance d’un faon, les chevreuils en rut en Sologne, les cerfs, les chevaux en Camargue, les pinsons du nord en Suisse, le balbuzard pêcheur en Ecosse, les sangliers dans les Ardennes, un guêpier dans l’Allier.

En général, l’opérateur et son assistante étaient accompagnés d’un régisseur, d’un DIT et d’un machiniste (Nicolas Kiechel). En effet, il était quelquefois nécessaire de construire l’affût et d’installer la caméra dans les arbres. Laurent Charbonnier s’est aussi transformé en peintre de la nature, en traquant la beauté des toiles d’araignées par exemple. Il a aussi exécuté des prises de vues en montgolfière, en de longs plans rasant la cime des arbres. Pour l’anecdote, la caméra équipée d’un zoom montée sur une tête Sachtler F75, pesait environ… 37 kg !

 

Les tournages aériens

Les tournages aériensétaient le domaine de Christophe Pottier. Depuis Le peuple migrateur, les airs sont un terrain de jeu pour Jacques Perrin et Jacques Cluzaud. Au fil du temps, les ULM ont évolué, leur vitesse peut être plus basse et leurs ailes offrent plus de portance. Suivant un cahier des charges précis établi par Jean Michel Rivaud, le pilote ULM, et Christophe Pottier, l’opérateur, la conception et la construction de l’engin spécifique pour ce film durèrent huit mois.

Avec cet appareil, Christophe Pottier a suivi les vols de vingt-deux grues cendrées imprégnées par Aurélien Gallier et son équipe, mais aussi des pigeons, des choucas, des passereaux, des huppes, des grives. Contrairement aux autres équipes, il a utilisé une Sony F55, moins encombrante et plus légère, donc mieux adaptée à ces conditions de tournage particulières. Cette dernière était installée sur une tête gyrostabilisée, les commandes étaient fixées sur un col de cygne. Ce dispositif permettait des prises de vues à 180 °, tant en verticale qu’en horizontale, et permettait de se retourner pour filmer les oiseaux de face pour répondre à la demande artistique des réalisateurs.

De temps en temps, Christophe Pottier prenait la caméra à l’épaule pour plus de dynamisme. Il vérifiait l’exposition à l’aide d’un transvidéo avec un oscilloscope intégré et devait quelquefois ajouter des filtres neutres. Dans les airs, la température descend souvent vers – 4 °C. Les vols ne duraient pas plus d’une heure ; au-delà, les animaux étaient trop fatigués. Souvent, Christophe partait trois semaines ou un mois dans une région, dans le Jura, en Normandie, dans le Sud-Ouest, à Temple-sur-Lot…

L’opérateur s’est aussi occupé des tournages avec le drone accompagné du pilote et de son assistante Fabienne Delaleau. Un assistant récupérait l’engin en l’attrapant par les poignées à la fin des prises. En effet, il n’était pas équipé de pieds qui lui auraient permis de se poser. La Sony F55 servait toujours, mais elle était équipée de vieilles optiques photo Leitz recarossées : un 19 mm ou un 24 mm. Le but étant de ne pas dépasser un poids de 2,8 kg. Pour cette même raison, il n’a pas utilisé d’enregistreur Raw. Le format XAVC 4K en 4.4.4 12 bits a été choisi.

Christophe Pottier a aussi filmé les oiseaux depuis une voiture travelling. Il était assis sur des cubes avec la caméra sur l’épaule et François Paturel avait installé sa station de DIT sur la voiture.

 

Les tournages sonores

Il fut rapidement décidé que le film serait projeté avec le nouveau procédé Atmos de chez Dolby qui permet de restituer un univers sonore en plusieurs dimensions dans la salle et de placer les sons où les artistes sonores le désiraient, de manière à créer une immersion plus réaliste pour le spectateur. Cette technique était donc parfaite pour restituer la richesse et la diversité spatiale des sons de la forêt.

Les deux chefs opérateurs du son, Philippe Barbeau et Martine Todisco, sont partis plusieurs fois chacun de leur côté, seuls pour enregistrer la forêt, qui offre une très belle acoustique avec beaucoup de profondeur. Les prises de son se faisaient souvent (mais pas que) en même temps que le tournage des images sauvages, mais de manière non synchrone pour être les plus discrets possibles.

Concernant les tournages contrôlés, les ingénieurs du son, regardaient attentivement les rushes des images en prenant des notes. Ils allaient ensuite recueillir les sons ponctuels ou les ambiances nécessaires. Ils utilisaient des microphones cachés, quelquefois installés haut dans les arbres avec l’aide d’un machiniste. Ils repéraient les endroits propices avec des jumelles, leurs oreilles et des gardes naturalistes qui les guidaient et leur indiquait les secteurs fréquentés par les animaux recherchés. Les microphones étaient installés là où ils ne dérangeaient pas les animaux. Suivant les cas de figure, ceux-ci variaient.

Pour un gros plan, les ingénieurs du son choisissaient un micro équipé d’un réflecteur parabolique ou un microphone très directionnel type « canon ». Les prises de son multicanal étaient réalisées avec le système « ORTF surround » de chez Schoeps permettant une captation homogène à 360°. Dans des lieux acoustiquement plus restreints, ils optaient pour le système « double MS » de chez Schoeps. Tous les sons étaient enregistrés en modes multicanal ou monophonique sur des enregistreurs Zaxcom  (Deva IV et 5.8, Nomad 10). Ensuite, les ingénieurs du son procédaient à un dérushage très soigneux en écoutant absolument tout et en prenant des notes. Ainsi, toute leur cueillette pouvait être classée et ensuite agencée en plusieurs couches d’ambiance et ponctuelles. Total de la manne : environ cinq cents heures de rushes son, avec de longues prises dans la même acoustique pour enregistrer toutes les variations et ensuite avoir le choix.

(1) Cet article est extrait de « Les saisons, une aventure humaine et technologique » paru en intégralité, pour la première fois, dans Mediakwest #15, pp58-62. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.

 La première partie de cet article, Les Saisons, une aventure humaine et technologique a été publié publiée jeudi dernier… La suite demain !