Premier film. Quelle caméra ?

La rédaction a voulu faire le point sur les choix actuels en matière de caméras numériques. Pour cela, nous avons pris le point de vue d’un jeune chef-opérateur qui doit choisir un matériel pour un premier long-métrage de fiction, ou pour un court-métrage. Dans les deux cas, il s’agit de produire une image de qualité pour le grand écran, avec un budget généralement limité. Nous avons posé nos questions à quatre responsables de loueurs parisiens : Patrick Leplat, directeur d’exploitation et marketing technique de Panavision Alga, Albrecht Gerlach, de PhotoCineRent, Samuel Renollet, responsable département caméra de RVZ, et Danys Bruyère, directeur général adjoint opérations & technologies de TSF.*
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Indispensable robustesse

Il y a, a priori, deux approches pour apprécier et choisir une caméra. Certains opérateurs s’intéressent à la technologie interne (capteur, codecs…), d’autres vont d’abord étudier l’ergonomie de la caméra et l’accessoirisation.

Pour Danys Bruyère, « il n’y a pas que la caméra à prendre en compte, il y a son environnement immédiat : viseur, compatibilités, enregistrement embarqué ou non, l’enregistrement Raw ou le codec de compression. Cela limite déjà le spectre des possibles. »

De même, pour Albrecht Gerlach « il faut se poser la question de la monture d’objectif, du codec d’enregistrement, faire les bons choix liés à la postproduction, établir le workflow : est-ce que le film comporte des VFX, des incrustations ?… »

Cependant, un des critères qui vient logiquement en premier, c’est la solidité de la caméra, en particulier les matières et la qualité de construction, qui joueront sur la résistance dans le temps et à l’usage.

« C’est important pour un loueur, mais aussi pour un opérateur qui va partir plusieurs semaines avec une caméra. Il souhaite qu’elle soit résistante », explique Danys Bruyère. « Il existe aujourd’hui de nombreuses caméras à grand capteur, mais construites de façon légère pour en diminuer le prix : FS7, C300… Elles peuvent intéresser un opérateur qui voudrait posséder sa propre caméra. Mais quand on loue pour 40 ou 50 jours, on veut du solide. Certaines petites caméras peuvent aussi laisser un doute quant à leur capacité de supporter une optique lourde. » Le matériel doit avant tout être fiable, car il ne faut pas avoir à gérer de problèmes techniques sur un tournage, même pour un premier film et un petit budget.

 

Deuxième caméra ? La même que la première !

« Pour la deuxième caméra, il vaut mieux rester dans la même marque pour garder une cohérence dans l’aspect de l’image », explique Albrecht Gerlach. « Avec un appareil photo numérique (APN), il faut l’accessoiriser et ça devient très vite une usine à gaz peu pratique sur le tournage. Or, le temps où un APN était la seule solution pour tourner à bas prix avec un grand capteur pour obtenir un look cinéma est fini. Aujourd’hui, il y a des caméras grand capteur peu coûteuses qui sont beaucoup plus pratiques. »

« Un APN comme seconde caméra ? Exceptionnellement, pour un plan à tourner dans un lieu particulier, exigu, qui interdit l’usage d’une caméra normale », concède Danys Bruyère.

« Un APN avec un enregistreur externe Raw ou ProRes, c’est un retour en arrière par rapport à l’ergonomie de caméra tout intégrée que l’on développe à Panavision avec la F65 Mini et la motorisation interne des optiques », affirme Patrick Leplat.

Dans le même ordre d’idée, l’addition d’un enregistreur externe – qui, pour certaines caméras ou APN, permet d’enregistrer avec un codec moins destructeur – est une mauvaise solution. La mise en œuvre complexifie le tournage, les câbles supplémentaires sont embarrassants et sources de faux contacts ; il faut gérer une alimentation supplémentaire.

Pour Samuel Renollet, « il existe aujourd’hui assez de caméras peu chères qui enregistrent en Raw en interne avec un bon rendu image ». RVZ loue cependant des enregistreurs type Atomos Shogun ou Pix-E de Video Devices pour les associer aux boîtiers photos (APN) type Sony Alpha 7 en 4K, mais sur des publicités, des courts, des enregistrements plateau.

« Certains veulent les associer à des optiques anamorphiques, mais il faut faire attention au rolling shutter qui est amplifié par l’anamorphose, surtout lors d’un panoramique », prévient Samuel Renollet. Là aussi, l’enregistreur externe est destiné plutôt à un opérateur indépendant qui possède son propre matériel.

 

Les optiques évoluent

« On trouve aujourd’hui des optiques adaptées de la photo », explique Danys Bruyère. « Elles peuvent avoir d’excellentes performances, mais elles ont été conçues à d’autres fins. Il peut donc s’avérer difficile d’avoir une série homogène : harmonie de flare, ouverture maximale identique… Il faut aussi faire attention à la précision mécanique, et aux possibilités de motorisation. »

Albrecht Gerlach dit la même chose. « Côté optiques, on peut faire de belles choses avec des optiques photo peu coûteuses… Mais il est difficile de trouver une série homogène et complète, avec une large gamme de focales, à bas prix. Il manque des focales et elles n’ont pas toutes le même rendu. En fait, sur un tournage court, la location d’une série ne grève pas tant le budget que ça. »

RVZ propose des séries d’optiques anciennes, Kowa, Canon K35 qui – même si elles restent coûteuses à l’achat – restent moins chères qu’une série Master Prime. Elles donnent une texture à l’image numérique pour un coût abordable. « Il y a aussi les deux nouveaux zooms Sigma 18-35 et 50-100 ouvrant à T2 qui, associés à la Scarlet W, forment une configuration abordable, polyvalente qui suffit à faire un long, exploitable en salle, affirme Samuel Renollet. Ils sont carrossés cinéma, avec le point qui tient sur toute la course. »

« Depuis l’Alexa Plus, l’intégration dans la caméra des commandes de moteurs est un progrès : moins de câbles, suppression d’une alimentation, moins de risques de panne, gain de place – d’autant que les accessoires sont plus nombreux, il n’est pas rare de voir aujourd’hui deux moniteurs sur une caméra – en plus du viseur », constate, avec la satisfaction du loueur, Danys Bruyère.

 

L’argument de la « dynamique »

Aujourd’hui, beaucoup de caméras de cinéma ont une large plage d’exposition, les Alexa, la Red Weapon, les Sony F55 et F65, les Varicam… « Or, tous les plans n’ont pas 15 diaphragmes de dynamique, c’est même plutôt rare, souligne Danys Bruyère. Ce n’est donc pas tant cette vaste étendue d’exposition qui est en pratique intéressante que la propreté du signal à l’étalonnage et la finesse des rendus. Avec une bonne dynamique, le tournage de plusieurs plans peut se faire à diaphragme constant sur une succession de prises, donc en conservant un rapport avant plan/arrière plan constant. L’étalonnage permettra d’appliquer des corrections fines si besoin, sans remontée du bruit. C’est donc plus la souplesse au tournage qui est intéressante que la dynamique elle-même. On se retrouve alors avec trois ou quatre caméras seulement : F55, Alexa, Red Weapon, F65. »

 

Un choix au final réaliste

Quand on prépare un projet en essayant plusieurs caméras, on s’arrête généralement au choix Arri Alexa, Red, Sony F55 / F65 ou Panasonic Varicam. La taille et l’ergonomie sont différentes. Le facteur de forme de l’Alexa Mini a séduit beaucoup d’opérateurs, et donc plaît aux loueurs. C’était déjà celui de la Red Epic/Weapon.

« Red a élaboré une ergonomie de caméra polyvalente avec l’Epic puis la Weapon, et Arri l’a concrétisé avec la Mini, constate Patrick Leplat. Cette caméra polyvalente, c’est la caméra du jeune opérateur, qui est devenue possible en numérique, à l’inverse de ce qui se faisait avant. En film, la conception d’Arri c’était une caméra pour chaque type d’utilisation. Nouvel arrivant partant d’une planche à dessin vierge, Red a choisi de concevoir un corps de caméra léger et compact avec un ensemble d’outils complémentaires qui se greffent dessus. Après avoir décliné l’Alexa en multiples versions, Alexa, Alexa Plus (pilotage des moteurs), Alexa M (tête séparée), Studio (visée optique), Arri a suivi Red dans la polyvalence, avec la Mini. »

Patrick Leplat plaide pour sa F65 Mini, une Sony allégée et panavisée en intégrant les commandes de moteurs CMotion pour les optiques motorisées Primo. « En intégrant les moteurs dans les optiques, on franchit un pas supplémentaire dans la simplification et l’efficacité sur le plateau. Les contacts électriques se font par la monture d’objectif, il n’y a donc plus aucun câble en externe. » Supprimer des câbles, c’est aller plus vite dans l’installation et réduire le risque de panne.

Samuel Renollet cite la Scarlet W Dragon comme caméra bien adaptée à des films indépendants, à petits budgets et néanmoins destinés à une projection en salle. « C’est une caméra 5K, légère, avec une bonne dynamique, un bon rendu de couleur, même si elle est limitée en ralenti. »

Une Scarlet W va se louer à la moitié du prix d’une Weapon ou d’une Alexa Mini. Si le tournage se fait en basse lumière, l’Epic W, avec son capteur Helium, est plus sensible mais impose un budget plus important. Le workflow Red en Raw compressé est maintenant mature et pratiqué par de nombreux postproducteurs. Il est important de rappeler qu’il faut logiquement mettre au point toutes les procédures de postproduction en amont du tournage.

« Le R3D est une vraie révolution en matière de workflow. Lorsqu’un opérateur a acquis ses repères en Red, et qu’il comprend ce qu’il fait, c’est très simple de bien poser une image, sans forcément passer par un Astro ou un oscilloscope. »

L’Alexa Mini a repris l’ergonomie apparue avec l’Epic et elle est simple à mettre en œuvre. Les Red restent un peu plus modulaires que la Mini, certaines fonctions de la Mini nécessitant d’accéder aux menus par le viseur Arri. Et si l’opérateur recherche une configuration de tournage à bout de bras en visant sur un petit moniteur, Samuel Renollet estime que c’est possible en Red alors qu’en Mini, il est difficile de se passer complètement du viseur.

Autre possibilité méconnue en France, l’Amira. À partir du moment où l’on ne tourne pas en Raw ni en anamorphique, la qualité d’image est identique à l’Alexa. Par contre, avec la Mini, on a accès à l’Open Gate, au 4/3, à l’anamorphique, c’est-à-dire aux mêmes performances que l’Alexa XT. Orientée documentaire, l’Amira est une vraie caméra d’épaule qui peut être très efficace en fiction. « Si j’avais un film à faire à l’épaule et pas en Raw, je prendrais une Amira plutôt qu’une Mini », constate Samuel Renollet.

De son côté, Albrecht Gerlach rappelle que la Panasonic Varicam est très performante en basse lumière. « Je la conseillerais à un jeune opérateur car les chefs-opérateurs chevronnés restent sur les caméras qu’ils connaissent. Ils ont leurs habitudes et la Varicam est arrivée récemment. Un chef-opérateur n’a pas envie de prendre des risques en changeant de caméra à chaque film ». Il reste cependant une question à se poser : quelle est la taille de l’équipe ? Ses compétences ? « Cela ne servira à rien d’avoir la meilleure caméra si elle exige une équipe nombreuse que la production ne pourra pas engager. »

Au final, chacun constate que ce qui va faire monter les coûts, ce sont les optiques, les commandes de point, le monitoring HF, la machinerie, la lumière. Donc le prix du corps caméra n’est pas si déterminant que cela dans le budget global de location. Au-delà des qualités techniques, le choix est aussi une question de « goût » et d’habitudes. Certains aiment Red, d’autres préfèrent Arri, d’autres encore voudront Sony. « Avant le numérique déjà, en argentique, il y avait les pro Kodak et les pro Fuji », rappelle Danys Bruyère avec un sourire.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #20, p.16-18Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.

 

 

 

 

 

 

 


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