En 2017, que la lumière soit, vienne et devienne

Évolution, révolution, mutation, écologie, matériel, économie, esthétique d’image, contraintes de tournage sont étroitement imbriqués. Parler de la lumière en 2017 ne se résume pas à énumérer une fois de plus les nouveautés en matière de projecteurs à Led. Certes, cela revêt une grande importance et nous allons le voir tout à l’heure, mais d’autres facteurs entrent aussi dans la danse des lucioles. *
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Pour rédiger cet article, nous avons recueilli les témoignages de Yann Blitte (Panavision), Jacqueline Delaunay (ACC&LED), François Roger (Cinélum/TSF), Richard Sarfati (Transpalux) et des directeurs de la photographie Gilles Arnaud (CST), Pierre-Hugues Galien (AFC) et Thomas Letellier (AFC).

 

Un peu d’histoire récente

Jetons juste un petit coup d’œil dans le rétroviseur : les projecteurs à Led et leurs nouvelles technologies sont apparus il y a cinq ans. Ils ont connu des progrès et des perfectionnements rapides, et ce n’est pas fini… Parallèlement à cela, les caméras sont devenues de plus en plus sensibles, les conditions et contraintes de tournage (économie, écologie) ont évolué, et même la postproduction et la diffusion… Ouf !

L’élément constitutif par essence de l’image c’est la lumière, c’est elle qui lui donne son identité, elle raconte en donnant à voir ou pas, elle est chaude, enveloppante, contrastée, brute, travaillée, naturelle, sophistiquée… Elle est l’apanage du chef opérateur, le magicien de la lumière qui en connaît tous les arcanes, qui sait la travailler, la plier, la dompter, la sculpter, la peindre, la regarder, la créer…

À tout seigneur, tout honneur, commençons par les projecteurs. Ils se divisent encore en plusieurs catégories : HMI, Led, tungstène, fluorescence, directionnels ou d’ambiance. Les uns commencent doucement à remplacer les autres, mais ce n’est pas si simple.

Il y a cinq ans, les premiers projecteurs à Led sont apparus avec leur cortège d’inconnues et d’IRC (Indice de Rendu des Couleurs) pas toujours corrects. Les premiers projecteurs à Led ajoutaient des dominantes colorées sur les peaux, dominantes qui n’étaient pas discernables à l’œil nu sur le plateau, mais posaient de sérieux problèmes au moment de l’étalonnage. Le besoin d’une étude approfondie de ces nouveaux appareils semblait donc indispensable.

Le groupe de travail sur les projecteurs à Led du département image de la CST (dirigé par Gilles Arnaud, Benoît Gueudet et Jacques Gaudin) s’en est chargé (à lire ici).  Cette étude assez exhaustive, qui a vite fait autorité en la matière, vient d’être actualisée.

Le spectrophotomètre est devenu l’instrument indispensable du chef électricien. La première révolution a eu lieu avec l’apparition du True Color HS, doté d’une technologie phosphore remote ; malheureusement, la seule température de couleur disponible était 6 500 K, des filtres de correction étaient nécessaires. Avec un projecteur Led de 450 W, on obtenait le même rendu lumineux qu’avec un projecteur soft de 1 200 W. Aujourd’hui, d’autres appareils équipés de Led bicolores ou trichromes étendent le champ des possibles grâce aux Led Philips high power.

Trois technologies de Led coexistent, les mini SMD (pour des projecteurs soft), les Led Cob (pour des projecteurs à lentille de Fresnel), enfin les Led SMD qui peuvent être fixées sur les supports souples ou textiles. Certains projecteurs peuvent être roulés ou pliés suivant les constructeurs. Ils peuvent maintenant reproduire des puissances assez importantes comme le Litetile de chez Litegear qui mesure 240 x 240 cm (1 600 W Led) et permet d’obtenir une ouverture de diaphragme de 11 à 6 mètres, soit l’équivalent d’un HMI 2 500 W équipé d’une diffusion. L’avantage est son faible encombrement en profondeur et la possibilité de le brancher sur une simple prise secteur. Les Led SMD sont plus petites et permettent donc de disposer des Led 3 200 K et 5 600 K côte à côte sur un même appareil et de le rendre ainsi bicolore.

 

Révolution

En juin 2015, Arri a fait une vraie révolution, nous dit François Roger, dans le monde des projecteurs à Led, en dévoilant le Sky Panel S60. Les règles du jeu ont changé avec l’avènement de cet appareil. Depuis, deux autres tailles sont apparues sur le marché : 30 et 120 cm. Ses caractéristiques ? Une grande puissance lumineuse, la trichromie et surtout la possibilité de reproduire toute la gamme des gélatines Rosco et Lee par une programmation dans le menu. Depuis, Kino a suivi avec le Kino Select Led 30 par exemple.

L’accessoirisation poussée à l’extrême du skypannel renforce encore sa position hégémonique sur le marché. Pouvoir changer de gélatine sans manipulation physique représente un gain de temps considérable en tournage. Depuis, Kino a suivi avec le Kino Select Led 30 par exemple. De plus, ces « gélatines numériques » sont plus fiables en colorimétrie. « L’évolution technologique des projecteurs à Led nous vient surtout du spectacle vivant », témoignent en chœur Jacqueline Delaunay (Acc&Led) et Yann Blitte (Panavision). La société Robert Juliat est leader en la matière.

Dans l’évènementiel, le théâtre, les spectacles, les projecteurs à Led développent de fortes puissances directionnelles. Ces domaines ont beaucoup d’avance sur l’éclairage de cinéma. Les projecteurs Led de forte puissance commencent à arriver grâce aux Led COB qui peuvent équiper des projecteurs à lentille de Fresnel. Témoin, le dernier projecteur de chez Mole Richardson, le Tener 1 600 W, qui est constitué d’une lampe Led de 1 600 W dans une enveloppe de projecteur 12 KG tungstène équipée d’une lentille de Fresnel prévue pour un projecteur 400 W.

Les progrès en la matière sont très rapides ; en effet, il y a trois ans, les ampoules Led les plus puissantes culminaient à 450 W ; aujourd’hui, on arrive à 1 600 W. On peut penser que ces grandes puissances sont appelées à évoluer et les projecteurs à Led directionnels de grande puissance à se développer.

Par ailleurs, la souplesse des Led permet une grande inventivité en ce qui concerne les formes des projecteurs (Les Boas de Rubylight, par exemple). Bientôt on pourra les dissimuler ou les disposer où bon nous semblera tellement leur versatilité et leur souplesse d’adaptation seront grandes. Ces projecteurs souples sont aussi susceptibles de connaître une grande évolution en ce qui concerne leur taille et leur puissance. Cerise sur le gâteau, la plupart des projecteurs actuels peuvent évoluer vers des versions plus récentes via l’implémentation de logiciels en version supérieure par exemple.

 

Économie, écologie, ergonomie

Nous venons de voir que les gélatines numériques permettent un gain de temps et de manipulation conséquent. Les projecteurs à Led peuvent souvent être télécommandés et reliés entre eux via des technologies sans fil comme le wifi, le Bluetooth ou la HF. Il est ainsi possible, sur certains modèles, d’agir sur 19 canaux de réglages via une tablette numérique par exemple. C’est l’équivalent d’une commande DMX sans avoir à tout câbler. Là encore, les temps de manipulation se trouvent réduits. Cela va dans le sens de l’économie des tournages telle qu’elle évolue aujourd’hui.

Par ailleurs, l’éclairage Led est nettement moins « énergivore » que le tungstène. En effet, la puissance de ce dernier est divisée en 20 % de flux lumineux et 80 % de chaleur. En ce sens, les projecteurs à Led sont plus écologiques. Néanmoins, le label Ecoprod se pose la question de savoir si les moyens de fabrication et de recyclage de ces projecteurs sont très écologiques. De ce fait, ce label voudrait faire une étude poussée pour déterminer les rapports bénéfices/coûts écologiques de cette technologie.

Enfin, beaucoup peuvent être alimentés par des batteries, ce qui évite bien entendu l’enchevêtrement des câbles sur le plateau et donne la possibilité d’éclairer des endroits où l’accès à l’électricité est difficile. La conception des batteries, leur rapport poids/puissance/durée est l’un des grands enjeux de ces prochaines années.

Aujourd’hui, les projecteurs à Led sont présents dans toutes les listes de matériel et côtoient les projecteurs HMI et tungstène. Leurs faibles poids, encombrement et consommation entraînent une diminution du volume des camions et une raréfaction de l’utilisation des groupes électrogènes. Encore un facteur en faveur de l’économie et de l’écologie, mais c’est ce facteur qui oblige les loueurs de matériels à revoir leur modèle économique.

 

Image

Selon Yann Blitte et Richard Sarfati, l’évolution des projecteurs à Led est aussi encouragée par les changements des caméras et de la postproduction numériques. Mais ils sont aussi compatibles avec la pellicule, comme en témoigne Gilles Arnaud. Lequel a tourné un long-métrage en pellicule en utilisant 80 % de projecteurs à Led. En effet, la majorité de l’action se situait sur un bateau (l’alimentation sur batteries fut fort utile). Gilles avait aussi emporté un projecteur fluorescent à tubes dans une gaine plastique de chez Softlight qu’il pouvait ainsi immerger au besoin.

Néanmoins, selon lui, il faut faire très attention à la colorimétrie des sources, bien se renseigner avant et les mesurer. En effet, la durée de vie des Led est souvent réduite car elles sont souvent poussées à leur puissance maximale et leur spectre lumineux change. Ces changements peuvent poser des problèmes de rendu de couleur de peau à l’étape de l’étalonnage.

Toujours selon Gilles Arnaud, aujourd’hui un chef opérateur a toujours besoin d’utiliser des projecteurs HMI de grande puissance à cause de l’étendue de plage lumineuse qu’ils offrent. Thomas Letellier abonde dans le même sens, en ajoutant qu’il est possible d’agrandir cette plage avec un grand cadre de gélatine placé devant le projecteur. La sensibilité accrue des caméras numériques permet effectivement de s’affranchir de très, très grosses puissances HMI.

D’aucuns pourraient rêver de tourner un film avec un capteur très sensible, de faire une liste de lumière avec des petites sources. D’avoir par exemple, une grosse source pour le soleil et de n’ajouter que des petits projecteurs à Led, des bougies, des lampes de poche, de choisir les décors pour leur lumière et de travailler en lumière ambiante. Tout ceci suppose d’assumer que des points lumineux dans l’image soient brûlés. En effet, avec de tels capteurs numériques, les flammes deviennent blanches et sans matière. Sur la pellicule, le dégradé d’une flamme est plus joli, tout comme les phares de voiture. Cela suppose d’accepter ou pas d’avoir du bruit dans l’image, lequel est moins agréable que le grain de la pellicule.

Pierre-Hughes Galien préfère ne pas dépasser une puissance de 6 kW. Il est partisan de sources enveloppantes, proches des comédiens, qu’il trouve plus caressantes. Il est ainsi plus facile de couper la lumière indésirable sur les fonds. Il utilise des sources très lumineuses comme le Brieselight qu’il décrit comme une parabole en aluminium très brillante produisant une lumière solaire qui décroît vite. Selon lui, un projecteur Truecolor placé à l’extérieur d’une fenêtre à 1,5 ou 2 mètres sur un bras de déport remplace avantageusement un HMI. Bien sûr, il reprendra l’effet lumineux à l’intérieur. En extérieur, il affectionne les sun boxes équipées de barres carrées avec du velcro pour fixer des toiles de diffusion qu’il juge plus pratiques que des toiles tendues sur un cadre.

 

Postproduction

L’avènement du HDR (High Dynamic Range) en postproduction et en projection étoffe encore les possibilités d’éclairage. En effet, le HDR permet un rendu plus fidèle et nuancé de la lumière et de la couleur. En fait, le HDR « voit » presque comme notre œil. L’étalonnage s’en trouve réduit et facilité. En effet, l’utilisation des masques et de la limitation des hautes lumières dans l’image devient presque obsolète.

 

Et demain ?

La plupart des projecteurs à Led permettent de produire une lumière douce, presque froide, clinique. « On en arrive presque à une standardisation de la lumière », regrettent les loueurs et les chefs opérateurs. Selon eux, les Led ne reproduisent pas encore la chaleur d’une lampe à filament sur la peau. « Avec la Led, on fait du remplissage lumineux. Il va falloir retravailler pour tromper l’œil, retrouver la matière et la rondeur d’une lampe à filament », dit Yann Blitte.

Demain, nous verrons arriver des projecteurs au plasma qui seraient une alternative aux lampes HMI, le Grafène est encore à l’étude pour remplacer les lampes à filament de tungstène. Cela devient effectivement extrêmement subjectif, de l’ordre de la sensation. Personne n’oublie que le but premier est de faire de belles images… Qu’importent les outils utilisés. 

 

 

EXPLICATIONS EXTRAITES D’UNE ÉTUDE DE LA CST

Explications extraites de l’étude de la CST réalisée par Gilles Arnaud, Yann Cainjo, Jacques Gaudin & Benoît Gueudet (accessible ici) :

Les Led ne fonctionnent qu’en Bleu, Vert ou Rouge. Pour obtenir une lumière blanche, deux technologies s’affrontent, le mélange RVB et la Led bleue coiffée d’un capuchon fluorescent jaune.

1) Le RVB: Les trois Led (rouge, verte et bleue) fonctionnent simultanément.

• Avantage : la souplesse, puisqu’en modulant les composantes rouge, verte et bleue, vous pouvez obtenir la lumière blanche que vous désirez, choix d’une température de couleur ou la possibilité de corriger une dominante magenta/verte.

• Inconvénient : le spectre de la lumière émise est caractérisé par trois pics (R,V et B), ce qui est loin de ressembler au spectre idéal de la lumière blanche émise par une source incandescente.

Une évolution technologique, tout en finesse, des projecteurs Led.

Tournant le dos à la course à la puissance, Arri et Kino Flo (et bientôt d’autres constructeurs) se penchent sur la souplesse de réglages qu’offrent ces nouveaux projecteurs avec la possibilité d’utiliser des filtres couleurs numériques.

Spectre du Zylight IS3 5600K (IRC 54)

Spectre de la lumière du jour (IRC 99)

L’indice de rendu des couleurs (IRC, aptitude à rendre fidèlement les moindres nuances de couleurs que nous offre la nature) est moins bon qu’avec la technologie de la Led blanche.

2) La Led blanche (5 600 K ou 3 200 K). En fait, ce sont des Led bleues que l’on recouvre avec une matière fluorescente à dominante jaune qui peuvent avoir un TC de 3 200 K ou 5 600 K.

• Avantage : le spectre, bien qu’affichant une pointe dans le bleu, est plus homogène et l’IRC est meilleur qu’avec la technologie RVB. Les températures de couleur intermédiaires sont obtenues en mélangeant les Led 5 600 K avec les Led 3 200 K.

• Inconvénient : il n’y a aucune possibilité de régler une dominante magenta/verte ou d’afficher une couleur particulière.

Une alternative intéressante du point de vue qualitatif est le phosphore déporté. Ces projecteurs sont équipés de Led bleues et de plaques de phosphore 5 600 K, 3 200 K ou autres.

Revenons à notre étude sur les filtres numériques. Bien entendu, Arri et Kino Flo ont choisi la technologie RVB afin de pouvoir afficher les filtres « couleur » bien connus des opérateurs. Pour améliorer le rendu, ces fabricants ont ajouté aux Led RVB des Led blanches. Sur le Skypanel, Arri a choisi d’associer une Led 3 200K aux Led rouge, verte et bleue. Kino Flo assemble deux Led 3 200 K et deux Led 5 600 K disposées en rectangle, une cinquième Led est constituée de trois diodes : une rouge, une verte et une bleue.

 

* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #21, p.18-20. Abonnez-vous à Mediakwest (5 nos/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur totalité.

 

 


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