En dix ans, l’abbaye de Fontevraud est devenue un acteur incontournable de l’animation à travers ses résidences internationales d’écriture. Impulsées par Xavier Kawa-Topor, alors à la direction de l’Abbaye, ces résidences ont joué – et jouent encore – un rôle important comme incubatrices de talents. Plus de 150 auteurs venus de 28 pays différents ont pu ainsi travailler, hors contrainte économique, à l’écriture de leurs projets de courts-métrages.
La plupart ont été lauréats dans des festivals internationaux (plus de 500 récompenses à ce jour) et près de 70 % des projets sont entrés en production. Le premier à y être approché, La Traversée de Florence Miailhe aura été le plus long à se concrétiser (à lire en fin d’article).
Parallèlement à ces résidences, se tiennent en octobre les rencontres professionnelles « Les chemins de la création ». Pour sa sixième édition, Caroline Leaf (Entre deux sœurs) et Michael Dudok de Wit (La Tortue rouge) ont été invités pour parler de leur travail.
Médiakwest : Pourquoi avoir tant insisté il y a dix ans sur cette étape d’écriture ?
Xavier Kawa-Topor : L’écriture se trouve au cœur du processus créatif. Or, il manquait un dispositif permettant d’accompagner les auteurs sur cette phase avant qu’ils ne rentrent en production. Une telle résidence n’existait nulle part ailleurs. Cette résidence d’écriture s’adresse aussi bien aux réalisateurs ayant une approche scénaristique et cinématographique de leur projet qu’à ceux qui abordent leur création sous un angle plus visuel, comme Florence Miailhe par exemple.
M. : Dès le départ, ces résidences ont été internationales. Pourquoi ?
X. K.-T. : Faire se rencontrer, dans le même lieu, des résidents de pays différents ne peut être que très productif. Il arrive fréquemment que des projets adoptent une autre technique suite à des échanges avec les résidents. L’auteur argentin de Luminaris, Juan Pablo Zaramella, a réalisé ainsi son film tout en pixilation, alors qu’il l’avait prévu avec des marionnettes. L’auteur russe Svetlna Filippova a beaucoup impressionné les résidents en montrant comment elle reprenait depuis le début son storyboard, lequel acquiert ainsi une très grande cohérence narrative et visuelle.
M. : Parmi les succès les plus marquants, lesquels citeriez-vous ?
X. K.-T. : La Traversée a reçu le prix du scénario au festival Premiers Plans, à Angers. Luminaris a remporté un nombre impressionnant de prix dans les festivals. La jeune réalisatrice coréenne Dahee Jeong, accueillie deux fois de suite (et qui va revenir pour un troisième projet très prometteur), s’est illustrée avec son court-métrage Man on the chair, qui a reçu le Cristal du court-métrage à Annecy en 2014. C’est exceptionnel pour un premier film.
M. : L’Abbaye intervient-elle aussi dans le montage financier des projets ?
X. K.-T. : Nous intervenons seulement en amont du projet avec nos bourses de création. Mais comme nous organisons depuis six ans des rencontres professionnelles, les résidents sont mis en contact avec des producteurs et diffuseurs venus ici repérer les talents que nous avons sélectionnés. Notre sélection de très haut niveau ne porte que sur le potentiel artistique du projet.
M. : La réalité virtuelle pose-t-elle les mêmes problèmes que l’animation en termes d’écriture de scénario ?
X. K.-T. : Nous sommes tout au début de cette réflexion. Vaysha l’aveugle (un court métrage suivi d’une installation en VR remarquée à Annecy cette année) a été écrit par Theodore Ushev à Fontevraud. C’était notre première expérience. Nous réfléchissons depuis à une mise en place pour 2018 d’une résidence spécifique prenant en compte les enjeux artistiques et scénaristiques de la VR pour l’animation. Même si les auteurs arrivent souvent ici avec un projet de court, nous ne nous interdisons aucun format (long, série, unitaire, dispositif multimédia…). Outre la VR, nous réfléchissons à des résidences d’animation en relation avec le design, l’architecture ou les beaux-arts de façon à travailler l’animation sur des projets de plus en plus hybrides.
M. : Quels sont les projets de NEF Animation hors Fontevraud ?
X. K.-T. : NEF Animation a été créée il y a deux ans pour que les résidences et les rencontres professionnelles puissent perdurer et se développer au-delà du site de Fontevraud. Nous avons ouvert des résidences d’écriture à Meknès pour les auteurs francophones et développons aujourd’hui un projet de résidence d’écriture pour le son et la création musicale autour de l’animation à Rochefort.
LA TRAVERSÉE DE FLORENCE MIAILHE
La réalisatrice Florence Miailhe a inauguré en 2007 les résidences d’écriture à l’abbaye de Fontevraud où elle a pu élaborer les premières recherches graphiques de son long métrage La Traversée.
Co-écrit avec Marie Desplechin et produit par les Films de l’Arlequin, ce film, qui traite sur un mode métaphorique du thème tragiquement récurrent de l’exode (deux enfants errant sur les routes de l’exil), aura pris presque dix ans pour se financer. Sa fabrication se répartit entre la France (chez Xbo Films à la Ménagerie), l’Allemagne (Leipzig) et la Tchéquie (Prague) : chaque studio prenant en charge un « chapitre » complet de l’histoire.
Comme les courts-métrages de la réalisatrice (Cristal d’honneur à Annecy 2015), il est entièrement réalisé en peinture animée : les décors peints sur des cellulos et papiers de soie posés sur une vitre rétro-éclairée sont filmés, tandis que les personnages animés sont directement peints sur verre.
« La résidence à Fontevraud m’a permis de réfléchir aussi à la manière d’adapter ma pratique artistique et artisanale à la production d’un long métrage », note la réalisatrice.
La sortie du premier long-métrage de Florence Miailhe, qui sera aussi le premier long-métrage d’animation réalisé par une Française, est prévue pour début 2020.
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #24, p. 112-113. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.