Quelle chronologie des médias demain ? (2e partie)

Suite de notre article relatif au débat particulièrement enflammé sur la chronologie des médias et le piratage qui a fait l’ouverture des Rencontres cinématographiques de Dijon organisées par la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP). Sont donnés ici les avis du régulateur, des salles, des distributeurs et des producteurs.*
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L’AVIS DU RÉGULATEUR :

Six mois pour définir les contours de la vertu.

Après avoir fait moult propositions, le CNC est resté dans une impasse… Avec la nomination d’un médiateur, « les pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités ; on ne peut plus, dans le monde actuel, rester dans un monde figé avec une chronologie des médias datant des débuts d’Internet », a salué Frédérique Bredin, présidente du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée).

À l’heure où l’Europe parle enfin d’une seule voix sur la culture, l’enjeu est d’arriver à intégrer « ses nouveaux acteurs, qui ne le sont plus et qui sont d’une puissance incroyable dans notre exception culturelle », a-t-elle expliqué, indiquant que le moment était « charnière ».

« Après trois ans de combat, les choses bougent », a repris Frédérique Bredin, saluant le vote de la taxe Netflix, d’abord en Allemagne, puis en France, avec un élargissement aux plates-formes gratuites.

« Un premier acte, une victoire. La seconde est la directive SMA qui a progressé, ancrant le paiement des taxes dans le pays de destination et l’exposition à 30 %. Bruxelles considère dorénavant que ces plates-formes ne sont pas hors sol », s’est-elle réjouie, alertant toutefois que « le diable est vraiment dans les détails ».

 

Que signifient ces 30 % ? « Dans l’audiovisuel, parle-t-on d’une série ? Du nombre d’épisodes ? De la durée ? Qui va les contrôler ? Il est précisé que cela doit être l’instance de régulation du pays d’origine (le CSA en France)… Tout cela va se jouer dans les débats et sa transposition qui devra être affinée. De plus, notre force, via la chronologie des médias, va nous permettre d’aller au-delà de la directive SMA et de rendre ces plates-formes vraiment vertueuses », a-t-elle déclaré, ajoutant que pendant six mois, le travail va être de « définir les contours de la vertu ».

La frontière entre services linéaires et non linéaires s’efface et tend à disparaître selon la présidente du CNC et il va falloir définir les obligations de financement, mais aussi celles de financement (12,5 % pour Canal+), celles d’exposition… mais ce sont aussi les accords avec les professionnels : « Pourquoi ne peut-on faire, comme dans le sport, des accords à cinq ans ? », a-t-elle ajouté, précisant tout de même que la directive SMA ne concernait que les services non linéaires. « Il y a un petit trou dans la raquette que nous allons devoir résoudre afin que les services linéaires soient traités pareillement ».

 

 

L’AVIS DES SALLES :

Étendre le nombre de films pouvant bénéficier d’une dérogation.

« La salle virtuelle n’est pas une salle de cinéma (…), c’est de la VOD, de la télévision, attention », a déclaré Richard Patry, président de la FNCF (Fédération nationale des cinémas français), ajoutant « notre position est assez connue : il est capital de protéger la vraie salle de cinéma ».

Ce ne sera donc pas simple de faire évoluer la chronologie du côté de l’exploitation ; elle reste campée sur ses positions : « Ne nous opposez pas les uns aux autres, il n’y a pas des méchants grands exploitants et des gentils petits exploitants, nous sommes concurrents. Réduire la fenêtre de la salle est aujourd’hui un suicide pour l’ensemble de la filière », a-t-il martelé. « Nous sommes les seuls à être en conformité avec la loi, nous avons toujours dit que nous étions d’accord pour discuter de l’extension de la dérogation qui permet actuellement à 25 % des films qui sortent d’avoir une fenêtre de VOD plus rapidement, pour un nombre plus important de films, pourquoi pas 50 %. Nous sommes d’accord pour que la moitié des films qui sortent en salle en France soient mis en VAD au bout de trois mois, sans donner un avantage concurrentiel aux pirates », a concédé Richard Patry.

 

 

LES DISTRIBUTEURS :

Créer des engagements de diffusion.

Pour Carole Scotta, présidente de Haut et Court, coprésidente du Dire (Distributeurs indépendants réunis européens), cette nouvelle chronologie des médias doit optimiser la lutte contre le piratage et accompagner les usages.

« Il faut accepter l’idée, en tant que consommatrice, que regarder un film sur la télévision payante et une plate-forme de SVOD est identique et on peut avancer la fenêtre de la SVOD en protégeant les acteurs historiques qui contribuent le plus au financement du cinéma », souligne-t-elle, précisant aussi l’importance d’avoir des films mieux financés (40 réalisés en 2016 avec moins d’un million d’euros) pour avoir un meilleur rayonnement.

« Vous avez une fenêtre très protégée », a-t-elle lancé à Richard Patry, « avant de révolutionner les usages, nous nous battons depuis très longtemps pour que cette fenêtre soit optimisée », rappelant la création des engagements très récents de programmation.

« Les salles doivent avoir une logique d’éditorialisation et non de parts de marché », a souligné Carole Scotta, « plus les salles se différencieront, plus les spectateurs choisiront d’y aller. Nous demandons des engagements de diffusion ».

Celle-ci a souligné aussi l’explosion des frais de sorties, les distributeurs devant payer la publicité dans un grand nombre de salles, et affirmé son opposition totale à l’ouverture de la publicité pour le cinéma à la télévision.

 

 

LES PRODUCTEURS :

La salle de cinéma passe les films au micro-ondes pendant deux semaines et les met au congélateur pendant trois mois.

« Nous sommes dans un marché de l’offre et non de la demande », a précisé Xavier Rigault, producteur – 2 4 7 Films, coprésident de l’UPC (Union des producteurs de cinéma), « il ne faut pas perdre la boussole dans cette réforme de la chronologie : l’objectif n’est pas de créer des rentes à des diffuseurs, mais d’aider à préfinancer la création », a-t-il asséné, tout en suivant les usages du public.

 « La salle de cinéma passe les films au micro-ondes pendant deux semaines et les met au congélateur pendant trois mois », a souligné le producteur. « Nous n’arrivons pas à discuter avec l’exploitation dont les discours sont très protectionnistes (…) le public veut du ici et maintenant », précise Xavier Rigault, les spectateurs alternant entre désir du film et frustration.

« Le film perd sa chaîne de valeur, s’il est gâché par la salle. La chronologie doit être pensée dès la salle », a repris le producteur, entre linéaire et non linéaire. « La production est asphyxiée, le budget moyen d’un film a baissé, réduisant la prise de risque des producteurs indépendants. La production va très mal. Nous tirons une sonnette d’alarme », s’est-il exclamé.

Parmi les propositions de l’UPC visant à décongestionner la salle : donner à un film le statut d’œuvre de cinéma, sans toutefois passer par la salle. Une idée rejetée tant par les exploitants, que par les distributeurs ! « Les engagements de programmation des circuits ne sont pas raisonnables », a-t-il conclu.

 

*Extrait de l’article paru pour la première fois dans Mediakwest #24, p. 106-110Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage) pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.

 

La première partie de cet article est à lire ici « Révision de chronologie des médias ».


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