Red à la manœuvre
Red, qui est né avec les capteurs S35 (déjà dix ans !), avait très tôt annoncé son intention de faire plus grand. Au-delà du 24 x 36, Red fait renaître aujourd’hui le VistaVision, un format film utilisant le 35 mm, mais en défilement horizontal et sur huit perforations. Les photographes se souviennent que l’actuel full frame, le 24 x 36, était à l’origine un petit format photo ! Car c’est en retournant à l’horizontale le film 35 mm du cinéma qu’Oscar Barnack, créateur du premier Leica a agrandi l’image 18 x 24 du film des frères Lumière pour faire un petit appareil photo.
Cette évolution a abouti à trois caméras Weapon à capteurs 8K, l’Helium S35 et deux capteurs VistaVision. Le Dragon 8K VV, sorti en 2016, a été remplacé à l’automne 2017 par le Monstro 8K VV. Le Monstro apporte une amélioration de la qualité de l’image, surtout dans les basses lumières. Ces trois capteurs sont des 35,4 mégapixels puisqu’ils mettent en œuvre 8 192 x 4 320 photosites pour l’image utile la plus grande. L’Helium est un S35 tandis que la taille d’image des capteurs VV est de 40,96 x 21,60 mm (ratio 1,9:1), une largeur supérieure donc aux capteurs dits FF (full frame) le 24 x 36 de la photographie et son ratio de 1,5:1.
La taille des photosites est rarement donnée par les constructeurs ; on doit se contenter de calculer leur pas, qui donne des indications sur la taille théorique maximale d’un photosite. Il faut préciser que la surface utile servant à capter la lumière est inférieure, quelquefois de beaucoup. Ainsi, selon les fiches techniques des constructeurs, le pas des photosites est de 5 μm pour le Monstro, alors qu’il est de 5,99 μm pour la Venice et de 3,65 μm pour l’Helium 8K ! Avec le nouveau capteur FF de l’Alexa LF, Arri conserve les plus grands photosites des caméras de cinéma actuelles, puisque le pas des photosites est de 8,25 μm.
Étant donné que la taille des photosites diminue mathématiquement avec l’augmentation de la définition pour une même taille de capteur, l’un des intérêts de l’augmentation de la taille des capteurs est donc de retrouver une surface suffisante pour la captation de la lumière et ainsi maintenir un bon « fill factor », le facteur de remplissage.
Bien sûr, les nouvelles générations de capteurs apportent des traitements de réduction du bruit améliorés pour compenser la diminution de la surface utile des photosites. Mais il est toujours préférable de partir d’un faible niveau de bruit dans le capteur lui-même.
La Weapon Monstro VV tourne jusqu’à 60 i/s en 8K plein capteur. En réduisant à 8K 2,4:1 (8 192 x 3 456), la cadence monte à 75 i/s, et en 4 096 x 2 160 à 120 i/s. Beaucoup d’autres combinaisons sont possibles.
De nombreux ratios d’écran sont envisageables selon les tailles d’image, 2:1, 2.4:1, 16:9, 14:9, 8:9, 3:2, 6:5, 4:1, 8:1, mais aussi anamorphiques 2x, 1.3 ou 1.25x.
L’enregistrement en Raw 16 bits se fait en compression Redcode jusqu’à 300 Mo/s sur magasin Red Mini-mag 480 et 960 Go. En parallèle, l’enregistrement peut aussi se faire en codecs ProRes ou Avid DNxHR/HD. Les corps de caméra Weapon Dragon 8K sont upgradables en capteur Monstro.
Panavision Millenium DXL
Panavision a été le premier dans les années 2005 à concevoir une caméra numérique à capteur S35, la Genesis, associé avec Sony pour concevoir le capteur, un CCD à l’époque. Panavision a conçu la Millenium DXL autour du capteur Red 8K VV dans une alliance américaine. Les tailles d’image, cadences et définitions de tournage sont donc les mêmes que la Weapon 8K VV, ainsi que l’enregistrement en Raw RedCode 16 bits et fichier .r3d, en proxy 4K ProRes ou DNx. La postproduction se fait avec le Red SDK. Le traitement interne de l’image est différent, Panavision s’étant associé à Light Iron pour concevoir le traitement de la couleur.
L’ergonomie de la DXL est celle d’une caméra d’épaule, compacte et légère (4,5 kg), prévue aussi bien pour le studio que pour être montée sur un Steadicam. Elle est très modulaire et pensée pour faciliter le travail, tant du cadreur que de l’assistant. Ainsi, elle comporte deux écrans complets d’accès aux menus, l’un à gauche, l’autre à droite. Comme sur les Red, le capteur est réglable sur une grande latitude, du 8K full au 2K 2,41:1, avec un cercle image variant de 46,31 mm à 11,11 mm.
Le module DXL Hot Swap est un support de batterie Gold Mount réglable en hauteur pour équilibrer la caméra. Il fournit des prises d’alimentation pour les accessoires (24 et 14 V, 10 A). En face avant, le module FIZ (focus, iris, zoom) permet le raccordement et la commande des moteurs d’objectif (compatibilité prévue avec Cmotion, Preston, RTMotion, Tilta).
La monture d’origine est la SP70 des optiques Primo 70 à moteurs intégrés. Un module wi-fi 2,4 GHz est intégré, permettant la télécommande de la caméra au protocole RCP (Red Command Protocol). Cinq prises BNC sont en 3G SDI (du 720P jusqu’au 1080/60P), les prises 4 et 5 sont commutables en 6G (du 720P à l’UHD/30). Seul le balayage progressif est supporté, pas le PsF ni, bien sûr, l’entrelacé. Le déclenchement de l’enregistrement et les données auxiliaires (nom du plan…) sont transmises selon la norme SMPTE RP-188 VITC2 HANC.
Sony Venice
Dévoilée à l’été 2017, la Sony Venice ressemble à une F55 avec un nouveau capteur. Le capteur est un vrai 24 x 36, soit un ratio de 1,5:1 ou 3/2, dans lequel on peut tourner en 17:9 4096, en 16:9 UHD, mais aussi en 1,33:1 (4/3) avec une définition 4K. Un vrai anamorphique est donc possible. Ce que Sony n’avait pas voulu faire avec la F65 se concrétise avec la Venice. Bien sûr, d’autres modes sont possibles, en particulier en 6K, dont certains avec le paiement d’une licence (6K anamorphique 2,39:1 ou 1,85, 6K 17/9 ou 5K 16/9…).
Le corps de caméra – référence MPC-3610 – est modulaire avec le bloc capteur qui est démontable pour une évolution future. Ce bloc intègre la face avant de la caméra et la monture de base qui est une Sony E, avec une bague de verrouillage. C’est cette bague qui tourne pour verrouiller l’objectif et non l’objectif lui même, ce qui est en adéquation avec l’usage cinéma. Cette monture E reçoit une monture PL, mais permet aussi d’envisager d’autres types de bagues. La monture PL comporte les doubles contacts électriques pour les données des objectifs LDS et Cooke /i et l’enregistrement des données d’objectif se fait à chaque image. Le corps de caméra est compact pour un grand capteur, avec un poids sans accessoires de 3,9 kg grâce à une structure en alliage de magnésium. Un double circuit de refroidissement préserve l’électronique de l’introduction de sable, poussière et humidité. Les filtres neutres sont intégrés sur deux roues motorisées et télécommandables, échelonnés sur huit valeurs de 0,3 à 2,4. Le viseur est démontable et peut se régler avec une grande amplitude. Il se connecte sur une prise Lemo 36 broches à l’avant, ce qui fera oublier la prise latérale fragile de la F55. Le viseur DVF-EL200 est un écran Oled de 1 920 x 1 080. Le corps de caméra est légèrement plus grand que celui de la F55, mais l’axe optique est à la même hauteur pour permettre l’utilisation des mêmes embases et supports.
Autre filiation avec la F55, la Venice reçoit le même enregistreur AXS-R7 pour le Raw et le codec X-OCN. Sur ses deux cartes SxS internes, elle enregistre en compression XAVC ou Mpeg HD.
À l’inverse de la F55, l’écran principal d’accès aux menus est du côté droit. Mais le cadreur a aussi accès aux fonctions essentielles, telles que les filtres ND, l’indice d’exposition, l’obturateur, la balance de blanc. Sony revendique pour la Venice la capture d’un espace couleur supérieur au BT 2020, donc plus large que le DCI P3. L’X-OCN est un codec RVB 16 bits linéaire avec une compression non destructive. L’X-OCN ST est 30 % moins encombrant que le Raw, jusqu’à 168 mn sur 1 To. Les réglages d’indice d’exposition, d’espace couleur, de Lut, de gamma ou de log sont enregistrés comme des métadonnées sans être appliqués aux images. C’est pourquoi Sony revendique le process X-OCN comme non destructif.
Un grand capteur dans la continuité ARRI
Si, depuis sa sortie en 2010, l’Alexa a évolué sous de nombreuses formes (M, Studio, Mini, et même Amira), toutes ces versions partagent le même capteur Alev III, un Cmos S35 de 3,4K conçu en 2009. Arri sort en ce début 2018 une nouvelle caméra avec un nouveau capteur de grande taille. L’Alexa LF – Large Format – est toujours une Alexa avec un corps de caméra presque sans changement, un petit peu plus volumineux. Les changements sont à l’avant : le capteur est plus grand, et Arri l’accompagne d’une nouvelle monture, dénommée LPL et d’une gamme d’objectifs, les Arri Signature Prime, succédant à l’Alev III ; le capteur LF Arri en reprend certaines caractéristiques, en plus grand. La surface image annoncée est de 36,70 x 25,54 mm, légèrement supérieure au 24 x 36 photo et comporte 4 448 x 3 096 photosites.
Le LF est présenté par Arri comme le plus grand capteur derrière celui de l’Alexa 65 (voir tableau), un peu plus grand donc que le Monstro VV et le FF de la Venice : 937 mm2 contre respectivement 885 et 872 mm2.
Côté définition, Arri ne relance pas la course puisque ce grand capteur n’a une définition horizontale « que » de 4,5K. On retrouve l’argumentation de la marque allemande, « la définition n’est pas tout, il faut un capteur aux performances homogènes, sensibilité, bruit… ». Le pas des photosites reste le même, 8,25 μm, ce qui confirme la continuité de conception.
Entre l’Alexa S35 et la 65
L’Alexa LF fonctionne selon trois modes principaux. Le « LF Open Gate » exploite toute la surface utile de 4 448 x 3 096 photosites. Le mode LF 16/9 est en définition 3 840 x 2 160 (UHD et curieuse- ment pas 4K !), avec un cercle image de 36,35 mm, nécessitant donc des optiques FF/VV. Le troisième est le LF 2,39:1 qui exploite la pleine largeur du capteur avec 4 448 x 1 856 photosites dans un cercle image de 39,7 mm. Notons que le mode LF 16/9 n’utilisant pas la pleine largeur du capteur, il préserve un surround view pour la visée.
Arri revendique la continuité dans le traitement de la couleur (color science) pour une compatibilité visuelle avec les autres Alexa, une dynamique élevée, un large espace couleur. Le bruit par photosite reste le même, mais Arri promet un niveau de bruit en baisse du fait de l’augmentation du nombre de pixels dans l’image. La ré-étude du capteur a abouti à un bruit plus « organique ». En option, on pourra appliquer une réduction de bruit par traitements spatial et temporel qui, en Raw, sera ajoutée aux métadonnées, donc pas appliquée aux images.
Les images LF Open Gate et Raw ne s’enregistrent que sur le SXR Capture Drive. Côté ralenti, avec le SXR Capture Drive, la fréquence image grimpe à 90i/s en LF Open Gate et LF 16/9, et à 150i/s en LF 2,39. En enregistrement ProRes, les vitesses culminent à 60 i/s (OG et 16/9) et 100 i/s en 2,39 sauf pour le ProRes 444 XQ, plus volumineux qui stagne à 40 i/s en LF OG et 60 i/s pour les deux autres modes.
Une monture plus courte
L’autre bouleversement de l’Alexa LF est l’arrivée d’une nouvelle monture adaptée aux grandes images. Basée sur la PL de 54 mm, elle est aussi robuste et fiable.
La PL présente deux inconvénients : basée sur les formats 35 mm, son diamètre de 54 mm devient restrictif avec les grands capteurs. Son tirage optique (52 mm) était basé sur l’obturateur des caméras film, il est maintenant inutilement long. Pour la LPL, les ingénieurs de Arri ont choisi un diamètre de 62 mm et un tirage de 44 mm.
Ainsi, la LPL ouvre la voie à la conception d’optiques grands formats plus compactes et plus légères avec une plus grande ouverture. Elle permet aussi la conception d’optiques « télécentriques » bien adaptées aux capteurs électroniques (moins de défauts avec les micro-lentilles, bokeh plus esthétique…).
L’Alexa LF est munie d’origine de cette monture LPL, mais logiquement, Arri livre avec la caméra une bague d’adaptation PL. Bien sûr, les protocoles LDS et /i sont compatibles et un LDS-2 est en cours de finalisation. La monture LPL de l’Alexa LF pourra être montée sur toutes les Alexa, sauf la Studio, du fait de la proéminence de l’obturateur rotatif. Une monture LPL spécifique équipera la Mini.
Avec l’Alexa LF, les opérateurs restent en terrain connu. Elle reprend toutes les fonctionnalités de l’Alexa SXT W, son ergonomie, les menus, la connectique, le monitoring HF. Du côté des branchements, l’Alexa LF comporte six sorties SDI 6G pour le monitoring en UHD jusqu’à 30 i/s. À noter que le passage d’un mode capteur à un autre se fait plus rapidement car il ne nécessite pas de redémarrer toute la caméra (ni reboot, ni factory reset).
Les grands capteurs en tournage
Courant 2017, Yves Angelo, directeur de la photo, a tourné deux films avec des caméras 8K fournies par RVZ : le film d’Agnès Jaoui Place publique avec une Red Weapon à capteur Dragon 8K VV, puis le film Deux fils de Félix Moati avec une Weapon Helium 8K S35.
« Le 8K ne m’intéresse pas pour l’augmentation de la définition, puisque les DCP sont en 2K et que je ne veux pas travailler en 4K, explique Yves Angelo. Ce n’est pas pour avoir une suprématie plus grande de la définition, simplement, la taille du capteur fait que le rapport des focales n’est plus le même. Un 50 mm a l’angle de champ d’un 25, et en termes de profondeur de champ, de perspective, de rapport des plans, c’est incomparable. Il n’y a plus de courts foyers qui déforment. »
Yves Angelo n’a pas pu tester la Weapon Monstro, qui venait seulement de sortir au moment du tournage du film de Moati. Il aime le rendu des peaux des caméras Red. « Je n’ai pas trouvé que la définition soit exceptionnelle, pas chirurgicale, même en projection d’essais en 4K. »
Yves Angelo apprécie l’évolution actuelle vers les grands capteurs. « J’ai proposé ce rapport de focales qui se prête bien pour isoler un personnage dans un groupe. La Red reste une caméra légère et compacte, très facilement portable. Le film d’Agnès Jaoui s’est tourné à 80 % caméra à la main, car la présence du regard de la caméra était importante. »
Bien sûr, le travail des pointeurs devient très difficile, avec en particulier le pouvoir de résolution des capteurs et la profondeur de champ très réduite des focales plus longues.
Le choix des optiques dépend du film. Les optiques modernes sont très définies, mais elles doivent rester compactes, avec une grande course du point pour ne pas compliquer le pointage. Ainsi les Primo Panavision sont de très haut niveau, et, de plus, ont une motorisation intégrée. « Avec des objectifs aussi parfaits, il faut bien gérer le rendu, il peut être bon pour certains types de films, mais catastrophique pour d’autres. »
Yves Angelo utilise aussi des optiques anciennes, « pour éviter le côté papier glacé, brillant, trop propre et trop défini de l’image numérique ». Mais il se méfie de la différence de rendu entre des objectifs d’une même série, mal adaptés aux capteurs des caméras numériques.
Merci à Danys Bruyère, directeur d’exploitation du Groupe TSF et Patrick Leplat, directeur exploitation et marketing technique de Panavision-Alga pour leur grande expertise et leur disponibilité.
* Article paru pour la première fois dans Mediakwest #25, p. 24-30. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.