Entretien avec Nick Pearce, d’Object Matrix

Object Matrix est concerné par la volumétrie croissante dans le stockage. Acteur incontournable dans les technologies de stockage objet et du concept du stockage near on line, la société se dédie aux groupes médias. Nous nous sommes entretenus avec Nick Pearce, cofondateur et actuel directeur commercial et marketing.
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Mediakwest : Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre entreprise ?

Nick Pearce : Object Matrix est pionnier du stockage objet ainsi que de la modernisation des workflows de cloud hybride ou privé pour l’industrie média. Aussi, nous fêtons cette année nos 15 ans d’existence. Nous avons contribué à la création de la toute première plate-forme au monde dédiée au stockage orienté objet, et depuis 2003 nous développons notre propre plate-forme appelée MatrixStore, que nous enrichissons sans cesse de nouvelles fonctions. Nous avons donc parmi nous de véritables vétérans !

Au début, notre ambition était de détrôner le stockage sur bandes : la demande de technologies permettant un accès immédiat aux contenus était sur le point d’exploser et, à l’époque, les bandes magnétiques n’étaient pas en mesure de répondre à ce besoin.

Quinze ans plus tard, cette vision s’est enfin concrétisée, puisque le stockage sur bandes est remplacé de plus en plus par des clouds privés orientés objet pour certains workflows. Cela permet aux groupes médias de rester compétitifs dans un monde où il faut répondre de manière immédiate à une demande très importante de contenus.

Dès nos débuts, nous anticipions qu’il faudrait organiser et partager des montagnes de données ; nous étions vraiment en avance sur le marché dans son ensemble, et notamment sur le marché du broadcast.

 

 

M. : Vos technologies sont-elles basées sur vos propres brevets ?

N.P. : Toutes nos technologies nous appartiennent entièrement, même s’il est vrai que nous nous sommes appuyés sur l’expérience acquise en travaillant dans le secteur des technologies et du stockage avant de fonder Object Matrix.

À l’époque, le stockage média était l’un des rares maillons de la chaîne qui ne se soit pas encore démocratisé : les géants du secteur pratiquaient des tarifs élevés sur des plates-formes propriétaires, et toute nouvelle fonctionnalité pouvait s’avérer prohibitive à l’usage. Nous avons donc décidé de mettre au point une couche logicielle, un produit sans coûts cachés et qui n’imposerait pas l’utilisation d’une plate-forme ou d’un format propriétaire. Après tout, les données appartiennent au client, pas à l’hébergeur !

Notre plate-forme se devait donc d’être tournée vers l’avenir, là où nos concurrents cherchaient au contraire à maintenir une clientèle captive de telle plate-forme ou de tel format. C’est sur ce point que nous avons décidé de nous démarquer.

 

 

M. : Quels ont été les principaux jalons de l’histoire d’Object Matrix, de sa création jusqu’à aujourd’hui ?

N.P. : Nous étions très naïfs à nos débuts, une bande de « geeks » qui avait décidé de créer un produit bourré de toutes les fonctions imaginables, mais sans savoir à qui nous allions le vendre ! En 2005, nous avions donc un produit et une API, mais à cette époque très peu d’acteurs proposaient des API, et nous avions beaucoup de difficultés à vendre la nôtre. C’est ainsi que nous avons appris une leçon très importante : il convient d’identifier un besoin et un marché avant de mettre au point un produit. Mais Jonathan, Francisco et moi-même sommes têtus, et nous avons maintenu le cap.

Au début, nous avons créé notre produit avec un budget très limité. En comparaison avec des acteurs comme Scality et Cloudian, qui ont reçu des centaines de millions de dollars d’investissements, Object Matrix a levé seulement un million de dollars en quinze ans d’existence. Le véritable tournant, pour nous, c’est quand nous avons arrêté de proposer notre produit aux secteurs de la défense, de la finance ou de l’industrie pharmaceutique pour nous concentrer exclusivement sur les médias. Et plus précisément, sur le marché britannique des médias. Nous étions une petite équipe, et pour survivre il fallait nous spécialiser.

En 2009, nous n’avions que deux clients, et nous nous sommes fixé un objectif : si nous n’atteignions pas les quinze clients, nous mettrions la clé sous la porte. À la fin de la même année, nous avions quatorze clients, et nous avons tout de même décidé de poursuivre l’aventure. C’est à ce moment-là que nous sommes entrés sur le marché français, puis européen, avant de gagner l’Amérique latine. Avec le recul, le changement le plus important a été notre décision de nous concentrer sur le marché des médias et de rejoindre la communauté mondiale des médias.

 

 

M. : Est-ce en cela que vous vous démarquez de vos concurrents ?

N.P. : Nos produits sont exclusivement destinés aux workflows médias, et en particulier la vidéo. Si nous traitons un problème donné, pour France Télévisions par exemple, il est très probable que la solution soit également utile à NBC Universal. Nos produits peuvent être utiles à de nombreux marchés, mais l’expertise de notre équipe est résolument tournée vers les workflows médias et pour le broadcast. Nous avons, parmi nos clients, des banques et des entreprises du marché de l’énergie, mais ils utilisent nos produits pour des workflows vidéo liés à la communication, la formation ou la conformité à la législation. Cette spécialisation est très appréciée de nos clients, car nous comprenons parfaitement leurs besoins et ce sont même ces besoins qui définissent notre stratégie.

À l’inverse, nos grands concurrents, ceux qui ont reçu des centaines de millions de dollars d’investissements, doivent servir des marchés bien plus larges, comme les secteurs de la défense, des Telcos ou de l’énergie pour être rentables. Le marché mondial du broadcast est important et servi par des milliers de petites entreprises, comme la nôtre… ou la vôtre d’ailleurs. Sans tous ces petits acteurs et leurs talents respectifs, le broadcast ne serait pas là où il en est aujourd’hui. Dans les milieux du broadcast, de la postproduction et des effets spéciaux, les clients préfèrent travailler avec des spécialistes… et nous sommes sans conteste des spécialistes des clouds privés orientés médias, du stockage objet et des workflows vidéo.

 

 

M. : Quels sont vos projets pour les prochaines années ?

N.P. : Nous avons certainement une « vision », puisque c’est ainsi que nous avons baptisé l’un de nos produits ! Il s’agit d’une interface web permettant l’accès aux contenus archivés ; peu importe l’application ayant été utilisée pour les stocker. Beaucoup de nos clients qui possèdent des DAM, des MAM ou des PAM utilisent cet outil. Mais l’un de nos plus grands projets, en ce moment, c’est notre nouveau partenariat avec Amazon Web Services (AWS).

Les entreprises qui se sont tournées vers un cloud public s’aperçoivent progressivement que cette solution n’est pas la plus rentable ni la plus efficace pour les flux importants de données ; elle se prête bien aux transformations et aux collaborations, mais lorsqu’il s’agit de stocker des données et d’y accéder fréquemment, les frais et la latence s’avèrent inadaptés. C’est un obstacle qui freine de nombreux acteurs de la postproduction, des effets spéciaux, de la VOD et de l’OTT à adopter le cloud public : ils ont toujours besoin de workflows puissants et d’un contrôle absolu de leurs données en local, ou dans un centre de données qu’ils louent, mais ils ont également besoin de la flexibilité, de l’élasticité et de l’envergure mondiale des clouds publics.

Ainsi, nous avons des clients au Royaume-Uni qui ont des pétaoctets de données sur MatrixStore, mais n’ont pas assez de place dans leurs locaux pour augmenter leur stockage. S’ils prennent en charge un projet de 20 To qui pourrait finir par nécessiter 400 To, ils ne veulent pas prendre le risque d’investir du capital dans une capacité supplémentaire de 400 To qui pourrait ne pas être utilisée à terme. C’est là que la flexibilité du cloud trouve tout son intérêt.

Nous avons donc adapté nos outils, comme Move2 et Vision, pour permettre à nos clients de déplacer leurs médias entre leur stockage local et la plate-forme d’AWS. C’est ainsi que procède l’un de nos clients, une grande entreprise d’informations qui possède des bureaux dans le monde entier, et ce fonctionnement hybride sera de plus en plus courant, alliant la puissance du stockage local et la flexibilité d’un cloud public.

Nos solutions sont également de plus en plus intelligentes : nous avons mis au point la solution Process-in-Place, qui extrait et indexe automatiquement les métadonnées afin que les contenus puissent être retrouvés facilement par Vision sans indexation préalable par les utilisateurs.

 

 

M. : Vous faites donc appel à une intelligence artificielle ?

N.P. : L’IA, c’est la deuxième étape. La première consiste simplement à interpréter le contenu des en-têtes de données, ce qui est raisonnablement simple. Mais nous travaillons en ce moment avec un partenaire dans le domaine de l’IA. Chacun de nos nœuds de stockage possède un processeur, et nous pouvons donc effectuer le traitement en local, mais lorsqu’un unique moteur d’IA doit traiter des pétaoctets de données à distance, cela peut prendre un certain temps. Et ne parlons même pas du coût !

Avec MatrixStore, le traitement a lieu là où les données sont stockées. Par exemple, un de nos clients utilise des fonctions de reconnaissance d’objets. Une fois les données stockées dans MatrixStore, le client exécute ses propres algorithmes sur les données pour créer des versions vectorielles des images. Ainsi, si l’on prend une photo de cet immeuble devant nous, cette solution sera capable de rechercher, dans sa base de données, des images similaires, même depuis un angle différent, ou des images contenant le même logo, et ainsi de suite. Cet outil peut être inestimable pour les acteurs qui possèdent d’importants volumes de vidéos et de photos, et sa sortie est prévue au premier semestre 2019.

Nos clients dans le domaine du sport ont déjà manifesté un très vif intérêt : on peut imaginer, par exemple, d’archiver une photo où figure le maillot no 6, et le logiciel pourra retrouver automatiquement toutes les images où le joueur portant ce maillot est apparu dans le passé. Il s’agit cependant d’une technologie relativement coûteuse. L’IA est loin d’être bon marché, et il faudra une accélération de l’adoption de ces technologies avant que les coûts ne deviennent assez raisonnables pour traiter d’importants volumes de données.

 

 

M. : Quel est ce partenaire avec qui vous travaillez sur l’IA ?

N.P. : Il s’agit de Visual Atoms. Ils étaient présents sur notre stand au salon NAB, et ils mettent également au point des solutions de reconnaissance vocale. Le fondateur a énormément d’expérience avec l’IA, et sur le marché actuel on n’existe pas si on n’utilise pas l’IA ! Et notre technologie se prête naturellement à cette utilisation, puisque le traitement s’effectue au même endroit où sont stockées les données, d’autant plus que MatrixStore utilise des copies intégrales des données sur chaque nœud, comme le font également Google et Amazon sur leurs plates-formes, alors que d’autres répartissent les données entre plusieurs nœuds. Or, pour traiter des données ainsi réparties, il faut d’abord les rassembler, ce qui représente une étape supplémentaire.

 

 

M. : Quel est votre positionnement dans l’écosystème du broadcast ?

N.P. : Nous avons décidé en 2009 de rejoindre la communauté des créateurs de contenus du Royaume-Uni, et nous avons ensuite fait des rencontres dans d’autres pays, dont la France. Je travaille actuellement à notre développement sur la côte Est des États-Unis ; c’est donc un début de présence pour nous sur ce territoire. En fin de compte, ce sont des personnes qui achètent à d’autres personnes, et il faut donc être présent sur les salons et comprendre les besoins des clients dans chaque géographie.

Nous sommes les cofondateurs du Workflow Innovation Group (WIG), une association d’entreprises qui vise à rassembler les acteurs du broadcast et de la postproduction pour mieux comprendre leurs enjeux, et c’est sur la base de ces échanges que nous décidons de notre stratégie pour l’avenir.

Nous faisons également partie d’autres groupes : le DPP, l’IABM, ou encore l’HPA, auxquels nous contribuons régulièrement. Nous aimons dire que nous sommes le premier fournisseur de solutions de stockage orienté objet dans le domaine des médias, mais nos amis de Scality diraient sans doute le contraire ! [rires] Nous entretenons une relation de concurrence cordiale avec eux…

 

 

M. : Avez-vous une stratégie particulière pour le marché français ?

N.P. : C’est un marché important sur la scène mondiale : lorsque j’annonce que mes clients incluent des acteurs comme France Télévisions et Orange, on m’écoute avec plus d’attention. Ces entreprises sont respectées à la fois pour leurs contenus et pour leurs innovations technologiques.

En ce qui concerne le marché français lui-même, il est certain que les chaînes publiques sont influencées par les changements dans le gouvernement, notamment en termes de budgets. Dans le privé, on observe une importante pression de l’étranger, même si la demande de contenus français demeure importante face à Netflix et autres Amazon. Pour l’instant, le marché français se porte bien et présente un certain potentiel de progression, mais c’est la demande des consommateurs qui déterminera l’évolution de la technologie : on ne peut pas distribuer des centaines de flux vidéo en stockant les données sur des bandes magnétiques, il faut faire appel à un cloud privé ou hybride.

Parfois, quand le succès commercial n’est pas au rendez-vous, cela signifie qu’il faut remettre en question l’offre de contenus et déterminer si les outils existants permettent d’offrir ces contenus de manière efficace. Un client français, que nous ne pouvons pas nommer, a investi dans l’un de nos produits qu’il propose à ses propres clients sous la forme d’un service géré, et il rencontre un franc succès. C’est une histoire formidable, c’est dommage que je ne puisse pas vous en dire plus !

 

 

M. : Pouvez-vous nous parler d’Ivory, votre partenaire notamment pour la France ?

N.P. : Pour travailler dans une région donnée, il faut s’intégrer à la communauté, et notre succès au Royaume-Uni tient pour beaucoup à notre fort ancrage dans ce territoire. Nous avons également un excellent partenaire au Brésil, avec qui nous entretenons une bonne relation grâce à une présence constante dans le pays.

En France, quand Julien Gachot [président d’Ivory] a enfin décidé de me contacter en 2009, c’était manifestement un pilier de la communauté, il connaissait tous les décideurs et prescripteurs. L’équipe d’Ivory est très impliquée dans l’industrie média au sens large, et nous sommes particulièrement attentifs à leurs conseils en matière de stratégie et de besoins des clients. Notre relation avec Ivory est de plus en plus étroite, et ce sont d’ailleurs eux qui gèrent notre présence aussi en Belgique et en Espagne.

Chez nous, on dit que Julien peut s’installer partout où l’on mange des baguettes ! C’est vraiment un partenariat fructueux, et comme toujours il y a des domaines dans lesquels nous pouvons nous améliorer, mais de manière générale nous partageons une même perception du marché et des clients, et nous considérons qu’une relation de long terme est plus importante que des succès rapides qui peuvent se faire au détriment d’une bonne réputation. Pour l’instant tout va bien, et nous envisageons l’avenir avec confiance !

 

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p.70/71. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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