Restauration à l’Ina des archives sonores et du son à l’image

Comment, aujourd’hui, les programmes radio, les archives sonores, les enregistrements musicaux, ou encore les bandes-son d’émissions ou de films anciens sont-ils restaurés ? Comment traiter ces précieux témoignages du passé qu’il faut transmettre et diffuser dans les meilleures conditions dans le respect des normes actuelles ?
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C’est avec ces questions en tête que nous rejoignons les équipes de l’Institut national de l’audiovisuel, plus précisément le Service de l’exploitation technique situé à Bry-Sur-Marne où nous attendent deux spécialistes de la restauration sonore évoluant dans des contextes différents. Radio et archives sonores pour Vincent Fromont, responsable du Set Radio, et son à l’image pour Alexis Brusset, restaurateur numérique…

 

 

Des Radioscopies de Jacques Chancel aux CD de musique (Maria Callas, Debussy, Jazz sur la Croisette, Musiques du monde…) sans oublier les grandes voix du XXe siècle, les fictions TV, les films « collector » ou les rétrospectives, le travail de restauration sonore effectué à l’Ina se diffuse aujourd’hui aussi bien sur support (CD/DVD) que sur les ondes radio ou TV, sans oublier Internet, les salles de cinéma, les expositions ou les festivals, en France ou à l’étranger.

 

Vincent Fromont, notre premier interlocuteur, anime le Set Radio, une équipe de quatre personnes réparties entre le site de Bry et celui de l’avenue du Général Mangin situé à proximité de la maison de la radio dans le 16e arrondissement parisien où deux techniciens concentrent principalement leur activité sur les besoins liés aux antennes de Radio France…

Vincent Fromont nous précise la position du service dans l’organigramme de cette vaste maison : « Le Set (Service de l’exploitation technique) se situe au sein de la Direction technique du département des collections (DDCOL) en charge des archives au sens large. Mon unité concentre le gros de son activité sur la restauration et le mastering sonore réalisé à partir des archives radiophoniques issues de la radio nationale française (RDF, RTF, ORTF, Radio France). »

 

 

De la copie d’archive à l’amélioration sonore

Si la mission historique consistait initialement à fournir aux antennes de la Radio nationale française des copies de programmes archivés pour le besoin des émissions, ce service que l’on appelait alors La Phonothèque évolue au cours des années 80.

« À cette époque, on commençait à percevoir un décalage de qualité entre les archives copiées, particulièrement les disques acétates, et le son produit à l’antenne, d’où la naissance du besoin de restauration sonore que je préfère aujourd’hui qualifier d’ “amélioration sonore”, une description sans doute plus proche de la réalité. En fait, nous sommes passés d’un travail de fourniture de copie à la fourniture de copie améliorée. Et puis, parallèlement à ce partenariat historique avec la Maison ronde, l’Ina a créé une entité éditoriale. Outre la collection Ina Mémoire Vive et les coproductions Radio France comme la fameuse collection Radioscopie de Jacques Chancel, nous avons alors commencé à fournir de l’archive traitée pour des éditeurs tiers spécialisés dans la musique classique, le jazz, les musiques du monde. »

 

Suivant les années, l’activité du service représente entre 200 et 300 heures de restauration par an, sachant que certains projets nécessitent une attention particulière dès l’étape de numérisation, due à l’ancienneté et à l’état physique des supports originaux. Parmi les collaborations marquantes récentes, on peut citer certaines émissions emblématiques comme Les Légendes du Jazz sur France Musique, La Fabrique de l’Histoire sur Inter ou encore Les Nuits de France Culture et quelques éditeurs étrangers comme le coréen Spectrum Sound qui commercialise des concerts classiques provenant du fonds Ina sous le label Belle Âme, l’américain Resonance Records ou le français Outhere Music.

Notons également la collaboration avec des festivals comme Longueurs d’Ondes à Brest ou La Nuit de la Radio à la SCAM. Avec le temps, la demande technique évolue vers la haute définition sonore, notamment en provenance des marchés asiatique et américain qui exigent de plus en plus souvent des fichiers son au format 24/96 ou 24/192 kHz.

 

 

De la paire de ciseaux aux plugins

Dans les premiers temps, la restauration s’oriente principalement vers le « déclicage », une opération visant à supprimer les clics apparaissant sur les disques acétate. À partir d’une copie réalisée sur bande, le restaurateur procédait alors par fines coupes aux ciseaux afin d’enlever le plus gros de ces artefacts.

« On se retrouvait rapidement avec des bandes tellement constellées de collants qu’il nous fallait ensuite les recopier une seconde fois avant livraison pour assurer une meilleure conservation, le tout à la vitesse nominale », se souvient Vincent Fromont. « Autant dire qu’avec les outils informatiques qui ont suivi, ces opérations sont devenues plus rapides et efficaces ».

 

Parmi les autres traitements constituant la base du travail, figure également la réduction de souffle ou bruit de surface, effectué au départ avec des compresseurs/expandeurs multibandes hardware progressivement supplantés par le traitement logiciel. Aujourd’hui, l’acquisition, le montage et le mixage sont effectués sur des stations Pro Tools HD. Le logiciel Pro Tools souvent utilisé en lien direct avec l’application RX 6 d’iZotope via RX Connect est alors mis à contribution aux côtés d’une armada de plugins signés Waves, Sonnox, Flux::, iZotope, Fab Filter, Cedar pour ne citer que les principaux : «

Aujourd’hui nous utilisons d’un côté les outils traditionnels du mastering type EQ, compresseur/expandeur et de l’autre ceux qui permettent le travail sur la représentation graphique du son, notamment le spectrogramme que nous utilisons beaucoup avec des outils comme RX d’iZotope. Le retour visuel fourni par Insight d’iZotope constitue un complément intéressant, ne serait-ce que pour valider une écoute. »

 

 

Assumer ses choix esthétiques

À la question qu’est-ce qu’une restauration réussie, Vincent Fromont répond d’entrée de jeu : « C’est ce qui va être au plus proche des attentes du client, un résultat satisfaisant à l’écoute tant pour le client que pour le restaurateur. »

Il précise ensuite son propos : « En fait, il y a deux phases dans notre travail, une phase de numérisation où l’on cherche à rester au plus près de la trace sonore historique, même si, dès que l’on pose une bande sur un magnétophone ou un disque sur une platine, intervient le choix de la pointe, le choix de la tête ou le type de préamplification. Bref, la chaîne n’est jamais totalement transparente. Ensuite, viennent les phases d’amélioration sonore et de mastering, où l’on doit s’adapter au type de diffusion et aux besoins du client. Mettre en avant certains éléments de la scène sonore, conserver le rythme d’une émission afin de rester dans le ton de l’époque ; tous ces choix doivent être assumés et, si besoin, expliqués au client. Ils demandent des connaissances historiques et une sensibilité artistique développée avec le temps et les échanges entre collègues. C’est cette approche que je partage et transmets dans les formations que j’ai le plaisir d’animer régulièrement. »

 

Reste enfin la question de la gestion du temps de travail qui, on s’en doute, est cruciale pour ce type d’activité : « La numérisation et l’amélioration d’un programme vont prendre entre deux et trois fois la durée nominale pour une archive sur bande en bon état, et jusqu’à plusieurs jours si l’original est sérieusement détérioré. C’est pourquoi l’écoute du support original par un technicien est indispensable pour effectuer un devis et déterminer les délais de livraison. »

 

 

Son à l’image : une activité diversifiée

Toujours au sein du Set, nous retrouvons Alexis Brusset, restaurateur spécialisé dans le son à l’image. Entre les éditions commandées en interne en vue d’éditer un DVD, les besoins du site ina.fr, les mandats nationaux passés avec les institutions culturelles en France comme le Centre Pompidou ou à l’international dans le cadre de partenariats (actuellement Cuba) sans oublier les éditeurs tiers, les coproductions, les festivals, l’activité se montre tout aussi variée.

Pour la télévision, le volume de restauration varie selon les années entre 150 et 300 heures de programmes par an avec des durées de travail très variables en fonction de l’état initial et du type de demande. Outre les commandes passées pour les diffuseurs ou les éditeurs, le plan de remastérisation en hautes résolutions d’une sélection de programmes à fort potentiel commercial ou patrimonial représente près de 800 heures par an.

 

 

Optimiser la conformation

Le service compte trois techniciens pour un total de trois stations Pro Tools, dont deux régies identiques dotées de surfaces Avid S6 et interface MTRX, tandis que la troisième comprend une station HD Native équipée d’une Artist Mix.

Du côté des traitements, on retrouve un arsenal comparable à celui du Set Radio, chaque technicien étant libre d’y sélectionner les composants de sa trousse à outils.

« Par rapport au travail sur le son seul, s’ajoute ici toute la phase de conformation, sans oublier les rapports image/son qui évidemment orientent notre approche de la restauration sonore », précise Alexis Brusset.

« En phase d’acquisition, nous travaillons sur deux familles de support avec d’un côté les sources magnétiques type bande perforée 16/35 mm ou bande lisse 6,25 mm ou encore les pistes audio de supports vidéo, et de l’autre, des sources optiques 16 ou 35 mm. Dans ce cas, nous passons soit par un scanner Lasergraphics qui numérise image et son, soit par un défileur optique Sondor, plus performant sur les sources abimées. »

 

Pour optimiser le rendu, la démarche consiste à sélectionner le meilleur support à chaque instant, ce qui implique souvent de travailler à partir de sources de différentes natures (optique, magnétique, scanner, défileur) qui sont ensuite comparées et conformées dans Pro Tools.

« C’est à partir de ce mélange composite que nous pouvons commencer à homogénéiser et améliorer l’ensemble. D’une manière générale, meilleure est l’acquisition, moins il y a à traiter ensuite et meilleur sera le résultat », constate notre interlocuteur qui poursuit : « Personnellement, j’estime qu’il ne faut pas entendre le traitement et je préfère entendre un peu de souffle, de buzz, de vie ou de défaut propre au support plutôt que du traitement. »

 

Reste à savoir où placer le curseur ? Pas si simple : « C’est assez subjectif. Certaines personnes sont très sensibles et entendent rapidement le traitement, d’autres beaucoup moins. Après, certaines demandes clients précises nous poussent à devenir plus interventionnistes. Il m’est arrivé par exemple d’aller jusqu’à enlever des bruits de bouches présents dans l’œuvre originale, donc dans ce cas, on intervient sur le montage son. Parfois, on nous demande de changer la musique pour des problèmes de droits, ou encore faire un Director’s Cut… »

Autre paramètre à prendre en compte, le respect des standards actuels, notamment de la norme EBU R-128. « Le mixage était plus libre il y a quarante ans, notamment en matière de dynamique générale et de niveau des voix. Pour rentrer dans la norme, on doit parfois remixer certaines séquences en gardant par exemple la voix autour de -27 (LU). Lorsque les voix sont trop faibles dans le mixage original, je pousse la tirette, mais dans le même temps, je remonte aussi le bruit de fond, ce qui m’oblige parfois à traiter plus. Après, tout est affaire de compromis… »

 

 

Améliorer l’acquisition du son optique

Selon Alexis Brusset, la panoplie de traitements audio disponibles est aujourd’hui satisfaisante et c’est sans doute sur la phase d’acquisition du son optique que la marge de progression reste la plus importante. Dans le cadre de son activité de veille technologique, l’Ina a ainsi récemment testé AEO Light. Actuellement en phase 2, ce logiciel open source permet l’extraction du son optique à partir de Scan DPX, Tif, ou d’autres sources vidéo et a été développé par l’Université de Caroline du Sud en collaboration avec Tommy Aschenbach. À suivre…

 

 

Mandats et international

Dans le cadre de partenariats internationaux, le Set Radio est régulièrement amené à travailler sur des mandats dont les départements des affaires internationales et le service de l’expertise sont très souvent à l’origine.

C’est par ce biais que le service a par exemple été amené à prendre en charge la restauration numérique du procès historique sud-africain dit de Rivonia (1963-1964) impliquant les dirigeants du Congrès national africain (ANC), parmi lesquels figurait Nelson Mandela.

La numérisation des 250 heures d’audiences effectuées à partir de Dictabelt, des cylindres en vinyle souples, a été assurée au préalable par Henri Chamoux sur son Archéophone, tandis que l’ensemble du processus de restauration s’étalera sur près de trois ans.

Sur ce projet, l’Ina prolonge le partenariat et accompagne les Sud-Africains au travers de modules de formation sur les archives et le traitement sonore. Cette démarche est emblématique de ce que l’Institut propose : de l’expertise, du service et de la formation. Notons qu’un œil sur le rapport d’activité 2017 laisse entrevoir l’ampleur de l’activité à l’international : 450 clients dans plus de 45 pays et 3 800 nouveaux mandats.

 

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #28, p. 52/54. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.


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