Mediakwest : Pouvez-vous nous présenter la genèse d’Airborne Films ?
Éric Magnan : Je suis réalisateur et extrêmement spécialisé dans tout ce qui est cinématographie aérienne depuis de nombreuses années. Nous nous sommes rencontrés, avec François-Olivier Robin, au moment du tournage des « Chevaliers du ciel » réalisé par Gérard Pirès, où j’avais en charge toute la partie aérienne du film. Suite à cela, j’ai travaillé à deux ou trois reprises avec François-Olivier qui, lui, faisait de la production. En 2009, nous avons décidé de nous associer, créant tous deux Airborne Films. Nous prenons ainsi en charge la totalité d’un projet : choix des avions, autorisations de tournage, choix des matériels de prise de vue dans notre parc de matériels Canon.
M. : Vous travaillez en France, mais aussi à l’international…
E. M. : Oui, nous tournons dans pas mal d’endroits. Récemment, nous avons fait plusieurs films pour Boeing, aux États-Unis où nous nous rendons souvent, comme ailleurs dans le monde, c’est le propre de notre métier. Nous avons tourné en Amérique du Sud, au Groenland, au Japon… Enfin, nous allons partout où les sujets nous portent.
M. : Que se passe-t-il en amont d’un tournage aérien ?
E. M. : Pour réaliser un tournage aérien, la première chose est de bien savoir ce qu’on doit faire, quel est le rendu qu’on doit obtenir au final. Ensuite, il faut savoir comment on va le faire. Cela peut être extrêmement varié, cela peut aller de l’ULM à l’avion de chasse, au gros porteur, à l’avion de ligne ; on ne va pas utiliser les mêmes moyens techniques. Ensuite, se pose le choix des pilotes. Certains ont des spécificités, vol en montagne, vol en patrouille, vol en très basse altitude, des choses qui demandent des compétences très précises. Enfin, il faut énormément préparer. Il est vrai que si je n’étais pas pilote, je ne pourrais pas faire la même chose qu’actuellement. Il est en effet compliqué de briefer, d’imaginer et de faire le « chef d’orchestre » en vol si l’on n’a aucune notion aéronautique. Mes milliers d’heures de vols m’aident aussi beaucoup pour savoir où placer précisément les caméras et les appareils photo.
M. : Comment préparez-vous ces tournages ?
E. M. : Je fais ce que j’ai appelé un story-board technique. Je commence par faire des dessins avec mes avions, leurs positions, à l’échelle réelle, et comment je vais les filmer. Ce travail me permet déjà de visualiser ce que je vais faire, de choisir les focales des optiques Canon. J’utilise aussi des logiciels 3D pour regarder les avions sous différents angles. Après, je mets cela en forme. Je vais discuter avec les pilotes impliqués dans l’histoire. Nous retravaillons ce document. Une fois que nous sommes tous d’accord, nous faisons des briefings qui vont être extrêmement longs par rapport au vol, beaucoup plus longs que le vol lui-même. L’idée est d’être extrêmement économes en paroles une fois qu’on est en l’air, parce que le temps va très vite quand on vole. Chacun dispose de mes dessins. Cela m’est arrivé de faire des plans avec quinze avions en l’air ! Tout le monde connaît sa place.
M. : Venons-en à votre collaboration avec Canon. Quel est l’historique de votre relation ?
E. M. : Suite aux « Chevaliers du ciel », j’ai fait un film publicitaire pour Breitling. Mon chef opérateur, Éric Dumage, m’a informé que Canon venait de sortir un appareil photo qui filmait avec une bonne qualité. C’est marrant de dire cela aujourd’hui, mais à l’époque j’étais quelque peu méfiant. Et puis nous avons commencé à faire des essais. C’était autour de 2009. Nous avions sept ou huit Canon EOS 5D Mark II qui filmaient en HD. Parallèlement, nous faisions des images 35 mm au sol et c’est vrai que, bien étalonné, on s’est dit que c’était extraordinaire car cela raccordait parfaitement avec les images 35 mm. Tout d’un coup, nous avions de nouveaux moyens de prise de vues. L’encombrement est un problème en l’air, et là nous avions un outil complètement dingue qui rivalisait avec le cinéma, donnant des résultats formidables.
Cette découverte fut pour nous fantastique. Nous avons commencé à faire énormément de films avec ces appareils. Un peu plus tard, il y a cinq ans environ, quand Canon a sorti les premières C300, nous les avons adoptées car elles avaient l’image Canon et une ergonomie beaucoup plus pratique que les DSLR, tout en restant compactes et dans l’univers de la chimie numérique propre à Canon. Nous avons alors énormément utilisé cette caméra, nous continuons à le faire et nous faisons l’acquisition des derniers produits pouvant servir nos projets.
M. : Du coup, vous avez investi… Vous possédez votre propre matériel ou vous préférez louer ?
E.M. : Nous possédons notre propre matériel car, bien que nous tournions énormément, il faut être prêt à tourner parfois en quelques heures. Nous avons un large panel de caméscopes Canon (C200, C300, C300 MKII…). Nous disposons également d’une base complète d’optiques pour répondre à tous nos besoins avec, entre autres, Canon EF 100 mm F/2,8 L, EF 100-400 mm F/4,5-5,6 L, EF 24-105 mm F/4 L, EF 16-35 mm F/2,8 L. Nous utilisons aussi des optiques cinéma comme les CN-E 30-300 mm T2.95-3.7 L S, CN-E 14,5-60 mm T2.6 et la série de focales fixes CN-E14-24-35-50-85-135 mm. La parfaite adéquation de cette gamme optique Canon avec nos caméras EOS Cinema crée un écosystème qui a permis aux garçons, Alec et Alexandre, de travailler dans les meilleures dispositions. Ils sont partis en opération sur le Charles-de-Gaulle. Ce sont des endroits où il est préférable d’avoir du matériel super compact et le matériel Canon est parfait pour ça. Le tout est de savoir comment s’en servir, comment étalonner, comment demeurer pointilleux. Le résultat est assez exceptionnel.
M. : Pouvez-vous nous présenter le projet Alpha Jetman ?
E. M. : Yves Rossy, pilote de chasse et de ligne, a inventé une aile volante avec quatre réacteurs. En fait, c’est une sorte d’homme volant ! Yves Rossy et le colonel Arnaud Amberg de la Patrouille de France, se connaissaient depuis longtemps. Ils pensaient que ce serait super de faire un vol ensemble. Ils m’ont contacté pour savoir si cela m’intéressait de les filmer. C’est un bon exemple, un film que personne n’avait jamais fait ; on n’a jamais vu une patrouille de huit avions avec des hommes volants ! C’était nouveau pour tout le monde : pour moi, en matière de tournage, mais aussi pour les jetmen et les pilotes de la Patrouille de France. Nous avons beaucoup discuté en amont. Nous avons tout phosphoré et trouvé une méthode pour filmer et rendre au mieux sur écran le résultat le plus satisfaisant avec des avions et des hommes volant à 300 km/h.
M. : C’est tout de même rapide…
E. M. : Cela semble même un peu fou, mais en fait c’est extrêmement préparé. Pour faire ça, j’ai mis Alexandre et Alec dans deux Alphajet avec leurs C300 MK II. Moi j’étais au-dessus, dans un petit avion de voltige de l’armée de l’air, un Extra 300. L’avion volait sur le dos. Ceci me permettait de faire des plans au-dessus. Il y avait aussi un caméraman dans l’hélicoptère et un autre au sol. Deux mois de discussions, d’échanges ont été nécessaires. Il faut, dans ce genre de tournage, que le matériel soit robuste et le choix de notre partenaire Canon repose, entre autres, sur l’excellence de leurs produits.
M. : Alec et Alexandre, que pourriez-vous me dire sur vos propres expériences ?
Alec : En vol, nous sommes tout le temps concentrés, les yeux dans le viseur de la caméra, on prend une seconde à peine pour voir l’environnement. C’est assez épuisant, physiquement et intellectuellement. On subit les accélérations des avions, des manœuvres très serrées, on a tendance à se sentir beaucoup plus lourds, six fois plus lourds. Disposer de matériel qui fait de superbes prises de vue avec de petits objectifs, cela compte vraiment ! C’est pourquoi nous adorons les Canon C300 Mark II et C200. Nous n’avons jamais trouvé une telle ergonomie sur d’autres caméras, et l’ergonomie est cruciale quand il faut filmer vite et dans des endroits exigus. L’accès aux menus est très rapide, nous ne pouvons pas perdre de temps quand il faut agir immédiatement sur un réglage.
M. : Préparez-vous vos caméras en amont en fonction des tournages ?
Alexandre : Nous avons souvent les mêmes presets, on prépare toujours tout. Quand on prend place dans un petit avion porte ouverte, il peut faire 0°, il y a un vent de fou, on a des casques, on s’entend plus ou moins. Tout doit être prêt ; tu n’as pas d’assistant qui t’aide à sortir ton matériel. Tu as préparé ta configuration avant le vol, tu peux tout faire, à priori tu ne seras pas obligé de changer d’objectif. Ou alors, on prend deux boîtiers.
M. : Avez-vous choisi un codec particulier quand vous filmez, pour ensuite postproduire ?
Alexandre : Nous trouvons la C300 Mark II très agréable, la caméra la plus agréable avec laquelle nous ayons jamais travaillé, avec des proxys directement produits dans la caméra. Nous faisons maintenant à peu près tout, y compris du 4K. C’est super pratique. Il n’y a pas d’enregistrement externe. Cela nous laisse le temps de nous installer. Avec les Canon, on peut être prêt à tourner en dix minutes. Nous utilisons le Canon Cinema RAW Light avec la C200, qui est génial, car nous avons tous les avantages du RAW, c’est-à-dire la possibilité de jouer ensuite en postproduction sur la dynamique de l’image, sans avoir la contrainte de fichiers aussi volumineux que le RAW classique et des temps de transfert qui n’en finissent pas.
M. : Comment s’effectue le choix entre les C300 Mark II et les C200 ?
Alexandre : La C200 présente beaucoup d’avantages, notamment son autofocus qui est fabuleux et sa plage dynamique ; donc on l’utilise lorsqu’il y a du jeu d’acteurs et que nous devons avoir un visage toujours net et bien exposé. Sur la C200, l’autofocus est super agréable, c’est même hallucinant. Sur le film des forces spéciales, un hélicoptère arrive de loin, longe les sapins, et se retrouve juste devant nous. L’autofocus a géré le plan en entier, de l’infini jusqu’à ce que l’hélico soit à cinq mètres de nous. Quand on est seul, cela aide vraiment. L’autofocus de la C200 est encore plus puissant que celui de la C300 Mark II car il bénéficie des plus récents processeurs de la caméra et la mise au point sur l’écran tactile facilite encore plus son utilisation. L’autre point fort de la C200 est sa dynamique. Nous travaillons beaucoup en cockpit, donc la plage dynamique est importante. Il faut être capable de voir le cockpit, les hommes et l’extérieur. Dans ce cas, le HDR en 4K est un allié précieux. Les deux caméras C300 Mark II et C200 sont compatibles HDR et leur espace colorimétrique étendu BT 2020 nous donne entière satisfaction. Quand il faut aller encore plus loin dans l’étalonnage, nous filmons alors avec la C200 en Canon Cinema RAW Light.
Le Cinema RAW Light permet un enregistrement 4K interne sur une carte CFast 2.0 haute vitesse, un certain nombre de paramètres peuvent être retravaillés bien après l’enregistrement de la séquence. La luminosité, la balance des blancs et la netteté peuvent, par exemple, être ajustées dans le logiciel Cinema RAW Development de Canon. En outre, vous pouvez affecter au fichier exporté un espace colorimétrique et une courbe gamma différents de ceux définis sur la caméra au moment du tournage. Au résultat, on obtient des images bluffantes.
Pour les projets où il faut tourner longtemps, la C300 Mark II est idéale, avec un codec qui permet d’enregistrer des fichiers vidéo de plus de 80 minutes sur une carte de 256 Go. Et en utilisant les deux emplacements de cartes en mode relais, cela nous permet d’obtenir jusqu’à 160 minutes d’enregistrement ; lorsque nous sommes dans des conditions extrêmes, cela nous aide énormément.
Il faut des caméras à toute épreuve. La moindre faute peut avoir des conséquences catastrophiques. Et cela a un coût aussi. Parfois, il s’agit de missions dédiées, d’autres fois les militaires sont en l’air pour nous. Impossible de leur dire « on refait ». Il ne faut pas se louper. Il faut que cela fonctionne dès la première fois. Une heure de vol d’hélicoptère ou d’avion de chasse coûte cher. Il faut donc vraiment tout préparer à l’avance. Le matériel Canon ne nous a jamais laissé tomber. Notre devise : « On dit ce qu’on fait, on fait ce qu’on dit ».
M. : Combien de films avez-vous produits depuis la création de la société ?
E. M. : Nous avons dresser un inventaire avant la refonte de notre site web qui devrait être lancé mi-novembre, nous en sommes à quelque soixante-cinq films.
M. : Quelle est la répartition de marché entre fiction, corporate, pub… ?
E. M. : Nous avons fait beaucoup de pubs, de corporate, des documentaires, des parties de longs-métrages…
M. : Pourriez-vous nous parler d’un tournage en cours ou en projet ?
E. M. : J’évoquerais notre documentaire sur Thomas Pesquet, le spationaute qu’on ne présente plus. Celui-ci a passé sa qualification pour faire du vol Airbus Zéro-G [NDRL, vol recréant les conditions régnant en orbite spatiale]. C’est un pilotage assez particulier ; au départ, seuls les pilotes d’essai avaient accès au Zéro-G ; depuis un an, le pilotage s’est ouvert à d’autres. Le tournage se poursuit actuellement et les prises de vues sont faites par Alexandre et Alec avec le Canon C200, en zéro gravité. Ce projet verra le jour en 2019.
Article paru pour la première fois dans Mediakwest #29, p.18/20. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.