Making of des « Bleus 2018 : au cœur de l’épopée russe »

Dans la catégorie « Prix de la Découverte », les Sportel Awards – la partie festival de la convention monégasque – ont consacré Les Bleus 2018 : au cœur de l’épopée russe, produit par Federation Entertainment (Le bureau des légendes…), avec le concours de la Fédération française de football (FFF). Ses coréalisateurs, Théo Schuster et Emmanuel Le Ber, présents sur le Rocher, nous dévoilent les secrets de fabrication et les conditions de tournage d’un film qui, via un accord de distribution avec Amazon Prime Video, se lance maintenant à la conquête d’un public international, après avoir réuni près de sept millions de téléspectateurs sur TF1 en juillet dernier.
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Mediakwest : Quelles étaient les conditions de tournage fixées par le sélectionneur et l’encadrement des Bleus ?

Emmanuel Le Ber et Théo Schuster : Précisons d’abord que les choses se sont faites presque au dernier moment. On a eu un rendez-vous avec Didier Deschamps début avril et, le 20 mai, on était déjà à pied d’œuvre au Centre national du football de Clairefontaine pour suivre la préparation des Bleus avant leur départ pour la Russie. Quant au deal avec le sélectionneur, il était clair : vous êtes les bienvenus, mais je ne veux pas vous voir ! On ne pouvait pas le filmer, par exemple, lorsqu’il était en tête-à-tête avec un joueur, selon la technique du « confessionnal ».

Il a fallu également se plier aux règles de la Fédération internationale de football (Fifa), même si on a eu la chance d’avoir les mêmes accréditations que les joueurs. Pour autant, il y avait des zones où on n’avait pas le droit de filmer, typiquement dans le tunnel d’accès au terrain et sur le terrain lui-même. En 1998, Stéphane Meunier (ndlr : réalisateur du documentaire Les Yeux dans les Bleus, également présent à Monaco) avait pu le faire, mais c’est chose impossible aujourd’hui.

 

 

M. : Avec quel matériel avez-vous tourné ?

E.L.B. et T.S. : Chacun de nous a tourné avec du matériel léger, en l’occurrence un Alpha 7 III de la gamme Sony, et tout un panel d’objectifs : un 70-300 mm pour shooter les séances d’entraînement, un 50 mm f/1.2 pour jouer la proximité, et un 24-105 mm (Sony pour l’un, Canon avec une Metabone d’adaptation pour l’autre), qui servait un peu à tout. On avait aussi un Canon 5D ancienne génération et, pour les vues aériennes, on a utilisé un drone Phantom 4 de la marque Dji, sans oublier une Superloupe à 500 i/s lors d’un match de préparation contre les États-Unis à Lyon. Enfin, côté éclairage, on n’avait pas de minette, et très peu d’éclairage pour les interviews en chambre réalisées avec un pied Manfrotto ou, à défaut, un monopode.

 

 

M. : Pour satisfaire aux conditions de tournage, avez-vous dû customiser le matériel ?

E.L.B. et T.S. : Chaque boîtier était harnaché d’un micro canon, d’une cage et d’une poignée de chaque côté pour être un peu plus stable dans les mouvements, si bien qu’effectivement ce n’était plus tout à fait le petit appareil passe-partout de série. D’autre part, comme l’écran du boîtier est tout petit, on a eu recours, à un moment, à des mini-logiciels qui permettent de basculer sur son propre écran de téléphone la scène qu’on est en train de filmer. On a également utilisé un crane un peu spécial pour nous permettre de filmer de manière beaucoup plus fluide, un peu dans le goût cinématographique, et sur lequel, pour des questions de poids, on montait souvent un 50 mm.

 

 

M. : Un autre choix de matériel était-il envisageable, compte tenu des conditions qui vous étaient créées ?

E.L.B. et T.S. : Au départ, on a songé à prendre une Canon C300. L’idée c’était quand même d’être discret et de choisir un matériel en conséquence, d’autant qu’on était deux. Avec du gros matériel en plus, cela aurait sans doute fait trop, notamment pour tourner dans le bus des joueurs. D’autre part, l’une des raisons pour lesquelles on a opté pour le Sony Alpha, c’est qu’il possède un mode slow motion à 150 images/seconde – dans le film, plusieurs séquences sont tournées de cette façon – sachant qu’en plus, dans la version 7 III, il n’y a pas de croppage, on peut tout de suite relire la séquence qu’on vient de tourner sans avoir besoin de modifier la valeur du plan.

 

 

M. : Dans quel format avez-vous filmé ?

E.L.B. et T.S. : On a décidé de ne pas tourner en 4K parce que les rushes étaient beaucoup trop lourds et c’était compliqué de les enregistrer pour pouvoir monter directement. Donc, on a tourné en HD 25p et 50i et on a utilisé un S-log2 pour retravailler les images à l’étalonnage, réalisé par Sylvain Bérard qui s’est aidé d’un logiciel DaVinci.

 

 

M. : Et pour le montage ?

E.L.B. et T.S. : Pendant la période de préparation des Bleus à Clairefontaine, on disposait d’un bureau qu’on avait aménagé en studio, afin de pouvoir tourner et monter en même temps. Ensuite, on l’a délocalisé à Istra, au camp des Bleus, où l’on avait une chambre également transformée en studio. Comme on était deux, quand l’un était à la prise de vue, l’autre suivait le montage opéré par Bertrand Briard, chef monteur, et son assistant sur Adobe Premiere, alors qu’au départ on pensait monter sur Avid. Mais on s’est rendu compte que le process était beaucoup trop lourd par rapport au nombre d’heures enregistrées et, surtout, par rapport à la réactivité qu’on devait avoir pour monter les séquences et être dans les délais. Parce que l’idée de départ était de produire quatre épisodes de trente minutes chacun (ndlr : en juillet dernier, TF1 les a diffusés sous la forme d’un unitaire de deux heures), avec une livraison prévue le lendemain soir de la finale.

Sur un projet comme celui-là, le temps est compté. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a dû se séparer. Après le quart de finale contre l’Argentine, l’un de nous est rentré à Paris pour se charger de la postproduction et l’autre est resté sur place pour tourner les dernières séquences et les envoyer par FTP.

 

 

M. : Le film comporte quelques séquences sonores d’anthologie, notamment celle où Deschamps, divinateur, demande à Pavard, à la mi-temps du match contre l’Argentine, de placer une « mine » (sic) à la première occasion. On connaît la suite… Quel matériel avez-vous utilisé pour les prises de son et d’ambiance ?

E.L.B. et T.S. : On avait un NTG4 de Rode, en plus de micros HF qu’on utilisait uniquement pour les interviews posées, car les joueurs et le staff technique ne voulaient pas entendre parler de HF. C’était impossible de sonoriser l’endroit. Tout allait trop vite et, encore une fois, il fallait être très discret. De temps en temps, on collait un micro HF sur un rideau ou au milieu d’un vestiaire pendant une causerie de Deschamps. Le son a vraiment été la partie la plus critique parce qu’il y avait des zones où, malheureusement, on ne pouvait pas s’approcher comme on voulait, sans oublier la pollution sonore, comme le bruit des crampons ou celui du staff médical qui s’affairait. Même a posteriori, il y a certaines séquences qu’on a eu du mal à traiter.

 

 

M. : Réaliser ce genre de film, n’est-ce pas autant une prouesse physique que technique ?

E.L.B. et T.S. : Certainement, même si nous étions deux à la réalisation, contrairement à Stéphane Meunier qui, lui, était seul en 1998. Ce dernier nous racontait qu’il commençait ses journées à 7 heures avec les premiers joueurs venus prendre leur petit déjeuner et qu’il les terminait à 2 heures du matin avec les derniers venus se faire masser. Et ce tous les jours ou presque pendant un mois. Bien sûr, sur une telle amplitude horaire, il ne tournait pas en permanence, mais il faisait acte de présence, sympathisait avec les joueurs et savait à quel moment il fallait déclencher sa caméra Sony PD 150, ce qui lui a permis au final de réaliser de très belles choses.

 

 

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #30, p.103/104. Abonnez-vous à Mediakwest (5 numéros/an + 1 Hors-Série « Guide du tournage ») pour accéder, dès leur sortie, à nos articles dans leur intégralité.